Omar Kettani: "L’alternative au modèle actuel serait la création d'un troisième secteur social"
Omar Kettani, économiste et professeur à l'Université Mohammed V de Rabat,

Dévoilé il y a quelques jours, le rapport sur le nouveau modèle de développement continue de faire remuer les méninges. Analyse de l’économiste et professeur à l'Université Mohammed V de Rabat, Omar Kettani.

LObservateur.info : Quelle lecture faites-vous des conclusions du rapport sur le nouveau modèle de développement au Maroc ?

Omar Kettani: Dans ce rapport on trouve deux discours distincts. Un discours classique sur la nécessité de la réforme de l’administration, de l’encouragement de l’initiative privée et de la baisse du coût de l’énergie et de la logistique. Ainsi que sur la nécessité d’orienter les investissements privés et publics vers de nouveaux secteurs avec des propositions qui ont déjà été abordées notamment le développement de la souveraineté alimentaire pour le secteur agricole et les ressources humaines dans le secteur touristique. Il y a aussi un discours furtif à la fois timide et discret et parfois ambigu sur trois axes importants : l’indépendance de la justice, la lutte contre la rente et la création d’un troisième secteur non défini. Ces trois axes auraient pu être considérés véritablement les leviers d’un nouveau modèle de développement plutôt que l’administration et la numérisation. Le résultat est donc un ensemble de propositions décousues non liées véritablement à un diagnostic clair du modèle précédent et non liée à un repère directeur.

Et que pensez-vous alors du modèle actuel ?

Le modèle actuel a atteint ses limites parce qu’il est centré sur le développement urbain, et non rural surtout que la plupart des investissements publics dans l’espace rural se concentrent sur le secteur agricole. Aussi, le modèle actuel investi principalement dans de grands projets à capital élevé. Ces investissements sont principalement concentrés dans les grandes villes consacrant la centralisation financière. L'État protège le capital privé légalement, financièrement et de manière privilégiée. De plus, la jeunesse marocaine n'a pas beaucoup bénéficié de ces investissements car ils sont plus capitalistiques que créateurs d’emplois, selon les experts de la Banque mondiale. Dans ce modèle les secteurs sociaux appartenant au secteur public (écoles et hôpitaux et logement économique) sont considérés comme non imposables, par opposition au secteur privé, et il est donc préférable de faciliter leur privatisation. Une pierre, deux coups : réduire les dépenses occasionnées de leur fonctionnement public et percevoir l'impôt sur les bénéfices de ces entreprises privées.

Quel est selon vous le le véritable handicap de l’économie marocaine ?

Au niveau de la croissance économique au Maroc il a été observé que lors d’une année pluvieuse le taux atteint les 6% et en année de sécheresse, il tourne autour de 2,5%. Comment un secteur agricole ne représentant que 13 % du PIB détermine les 2/3 de la croissance globale ? La réponse est simple : la population rurale (40% de la population totale) n’a qu’une activité principale liée à l’agriculture. Si l’année est pluvieuse, la demande à l’économie augmente fortement ainsi que la croissance, et si elle ne l’est pas, la population rurale identifiée à la population agricole ne produit rien d’autre, faute d’éducation et de formation. On observe donc une émigration annuelle régulière des jeunes ruraux (entre 60 000 et 100 000) vers les villes en étant pauvres sans travail et sans formation. C’est eux qui nourrissent principalement le logement insalubre et le secteur informel dans les villes. Voilà le principal point noir de l’économie marocaine, le fait d’avoir deux pieds, un pied économique urbain performant, et un pied social rural malade. Ce qui est réalisé en performance par le premier est rapidement rétrécit par le deuxième. Il est donc impossible d’atteindre une croissance moyenne régulière de 6 ou 7%.

Que préconisez alors pour un nouveau modèle de développement ?

A mon sens, la création d’un troisième secteur de nature social est nécessaire. Ce secteur permettra de regrouper quatre services sociaux l’éducation et la formation, la santé, le logement économique et les transports publics.La population rurale souffre d'un déficit énorme en matière de couverture sociale en formation, en santé, en logement et en transport. C’est pour cela qu’elle est improductive en cas de sécheresse. Ce secteur social se situera principalement donc dans l’espace rural et plus précisément dans les grands villages. Il pourra être financé principalement par la société civile et particulièrement par la mobilisation de caisses sociales, des ONG et des institutions à caractères sociales (banques sociales ; assurances takaful, caisse du Haj ,sukuk etc.. L’alternative au modèle ancien aurait donc été la création de ce troisième secteur social. Cette façon de raisonner d’une manière sociale est totalement absente du rapport ce qui nous pousse à considérer que le rapport ne porte aucun projet social ; mais tout simplement un nouvel langage pour reproduite l’essentiel du modèle purement économique ancien.