Abdoulaye Konaté ou « Les plis de l’âme »
Abdoulaye Konaté

Pour sa 2ème exposition à La Galerie 38, Abdoulaye Konaté, l’un des plus grands artistes contemporains africains, évoque son exposition personnelle composée d’un ensemble de 11 œuvres monumentales, toutes réalisées durant le confinement et tissant un fil rouge entre le Maroc et le Mali. À découvrir du jeudi 17 juin au jeudi 29 juillet 2021 à Casablanca à la Galerie 38.

Né en 1953 à Diré, Abdoulaye Konaté est l'une des grandes figures des arts plastiques en Afrique. Abordant la tapisserie, la confection, la peinture et la sculpture, il fait du tissu son principal matériau de création et puise son inspiration tant dans les spiritualités africaines que dans l'actualité mondiale.

Reconnue dans le monde entier, son approche contemporaine métissée, associe ainsi modernisme occidental et symbolique traditionnelle africaine.

Tel un peintre, Konaté choisit le bazin comme toile de fond et travaille la texture en lui donnant du relief. Il fait ainsi du tissu son matériau de prédilection. Ses sculptures et installations textiles dévoilent un univers conscient des enjeux et des réalités économiques, politiques et sociales à l’échelle mondiale.

En abordant les thèmes de la mondialisation et des nombreux maux qui affectent nos sociétés, tels que les guerres, la liberté d’expression le changement climatique, les maladies mortelles, le fondamentalisme islamique, la satire politique, la migration et la spiritualité, Abdoulaye Konaté s’interroge sur l’avenir de l’humanité.

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Abdoulaye Konaté - Les plis de l'âme
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Expo Les plis de l'âme Abdoulaye Konaté
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Pourquoi « les plis d l’âme » ?

Pour cette exposition, je me suis basé essentiellement sur la couleur et beaucoup sur le fond patrimonial de trois grandes zones : marocaine et malienne (Touareg et Peuls). C’est un travail qui pour moi, est axé sur la sensibilité, dans le sens : « qu’est ce qui peut attirer, impressionner ou être considéré comme Amour ? ». Une sorte de sensibilité esthétique que nous avons tous en nous, pour sentir les choses.

« Les plis de l’âme » font également référence à la bande qu’on retrouve dans mes œuvres, et au rythme qu'elle a en sens vertical et horizontal. Sachant que toutes ces bandes sont pliées deux fois et cousues trois ou quatre fois.

En quoi est ce que cette exposition se démarque-t-elle des autres ?

Pour ce qui est du style de mon travail et du concept, c’est est une suite. Ceci étant, cette exposition est particulière car elle dresse une sorte de fil rouge entre le Maroc et le Mali. Dans la 1ère exposition à la Galerie 38, j’avais intégré des textiles marocains, alors que dans celle-ci, il y a beaucoup plus de travail sur le passé et sur l’actualité visuelle. Dans l’autre exposition, j’évoque d’autres thèmes et d’autres continents, là, je me concentre uniquement sur le Maroc et le Mali ainsi que sur le travail des symboles et une analyse particulière des couleurs.

L’exposition a été conçue en plein confinement. Quelle a été votre source d’inspiration ?

Je m’inspire beaucoup de tout ce qui est couleurs végétales et animales mais aussi de l’habillement des populations, mais là aussi, je me suis inspiré de tout ce fond patrimonial, des petits détails qu’on retrouve dans le textile ancien. En fait, je prends quelques motifs existants que je retravaille un peu à ma manière.

Vous avez également intégré des motifs marocains.

En fait, j’ai essayé d’étudier et d’approfondir trois motifs très anciens qu’on retrouve dans la bande du Sahel, à savoir : des motifs marocains, Touaregs et Peuls.

Pour mon système de bandes, je m’inspire des tenues des danseurs musiciens sénoufos du Mali. Tels des bouffons, ces derniers jouent un rôle social et d’unité, au niveau de la population, ils résolvent les problèmes grâce à leur comédie et leur satire. C’est un corps social intouchable et on considère qu’ils sont le trait d’union pour la stabilité du village.

Je m’inspire donc souvent des formes traditionnelles, qu’ils soient africains, européens ou asiatiques, et à cela, j’ajoute une pincée d’actualité.

Comment avez-vous choisi vos couleurs ?

On retrouve souvent le bleu chez les Touareg, mais moi, je fais ma propre composition des couleurs, à partir de l’observation de la nature, des insectes, des animaux. Souvent, en classe, on nous parlait de « la théorie des couleurs » mais quand on se réfère à la nature, on voit le contraire de ce qu’on nous a enseigné et la grande partie de ce qu’on nous a appris, on trouve l’opposé dans la nature. Je fais donc mes propres observations, mes propres analyses pour effectuer d’autres rapprochements de couleurs et rechercher une gamme propre à moi.

Je prends toutes les gammes pour faire une analyse en termes de composition et d’agencement des couleurs.

Qu’en est-il des symboles véhiculés dans cette exposition ?

En fait, je m’intéresse plus au côté esthétique du symbole qu’au sens qu’il véhicule. On a des symboles sur le vent, des formes de losanges, de triangles, ... qui sont inspirés de formes traditionnelles qu’on trouve dans le textile marocain et celui des Peuls chez nous. Je les combine avec d’autres formes et je crée moi-même mon propre symbole qui pour moi, a une vision esthétique.

Qu’est-ce qui vous a attiré dans l’art et l’artisanat marocains ?

Lorsque je suis venu au Maroc pour la première fois en 1993-94, je me suis lié d’amitié avec Farid Belkahia et Mohammed Kacimi, qui sont venus par la suite me rendre visite au Mali. Au-delà de cette relation humaine qui s’est tissée entre nous, je suis très sensible à la peintre, à l’artisanat et au textile marocain, parce que je sens qu’il y a énormément de points de jonction entre nos deux pays. Sans oublier bien sûr l’histoire de la ville de Tombouctou, qui a vu défiler plusieurs Marocains. Aujourd’hui, je m’intéresse plus à l’artisanat marocain et je découvre son côté humain, et même constat pour la peinture marocaine.

Qu’aimez-vous dans le travail de Farid Belkahia et de Mohammed Kacimi ?

Ce sont des artistes uniques et leurs œuvres sont reconnaissables parmi milles. Au-delà de l’immense travail de Belkahia sur la formation, j’aime son travail sur la peau, le cuir, ... on a beaucoup discuté sur le concept de l’Art en Afrique et qu’est-ce qu’un artiste africain doit pouvoir faire ?

J’ai également énormément échangé avec Kacimi lorsque j’étais Directeur du Palais de la culture, on se rencontrait souvent à Paris, chez des amis communs et je trouve que sa peinture est profondément humaine et son travail esthétique de la couleur est très profond. On reconnait son travail au premier regard et on ne peut pas le confondre avec un autre peintre. Idem pour Belkahia, que ça soit au niveau de la qualité, du volume mais aussi de l’unicité qu’ils ont dans leur travail et c’est souvent ce qui manque aux jeunes artistes.

Vous êtes connu pour être un artiste engagé. Quelle est la portée politico-sociétale dans vos dernières œuvres ?

Pour moi, c’est beaucoup plus sociétal, même si les journalistes parlent du côté politique. Ce sont les conséquences des choix politiques, des problèmes religieux, des guerres, ... qui se répercutent sur la population, sur l’Humain, qui m’interpellent.

Il y a un foyer d’extrémistes qui s’est créé un peu partout dans le monde, et ce sont les populations qui sont généralement sanctionnées. Je ne pense pas qu’aujourd’hui, sur le plan religion, on puisse forcer les gens à adopter une telle ligne religieuse, extrémiste jusqu’au fond, je ne pense que ça soit nécessaire aujourd’hui. On peut obliger les gens à le faire avec les armes mais dans l’âme, non ! La religion c’est l’âme d’abord.

Est-ce que vous êtes optimiste pour le Mali ?

Oui, totalement. On a énormément de problèmes au Mali mais moi, je suis de nature optimiste. Je rêve d’un Mali en paix, et avec un développement culturel et économique.

Comment voyez-vous le développement de l’Art africain dans le monde ?

Je pense que ces dernières décennies, on commence à avoir un public pour l’art contemporain actuel. Il y a une génération qui est en train de se former et j’estime que la formation est capitale pour l’Art en Afrique. Il y a beaucoup de pays qui ont des écoles d’art, d’autres, ils n’en ont pas, mais je pense que ça commence à prendre. On a sur le territoire des artistes qui arrivent à percer au niveau mondial et c’est important pour servir d’exemple. Certains artistes ont vu leur cote exploser à l’international, c’est le résultat d’un travail qui était méconnu et qui commence à être découvert sur certains plans, sinon, quand on regarde l’histoire de l’Art africain, on se retrouve renfermé dans des thèmes d’art sauvage, naïf ou primitif...il y a eu tellement de qualificatifs et aujourd’hui, on sent que toute cette carapace est en train de tomber. Et je souhaite que lorsqu’on parle d’artistes africains, on les considère en tant qu’artistes tout court, comme tous les autres. Bien sûr, nous appartenons à un continent, à une culture, comme les autres artistes des autres continents, mais il faut dépasser tout ce contenu et ces non-dits qui étaient derrière et qui embêtaient les gens.

Le textile est un matériau que vous affectionnez particulièrement. Quel rapport entretenez-vous avec cette matière ?

C’est un travail qui est arrivé suite à d’autres techniques. Avant, je faisais beaucoup d’acrylique, et de gravures, de sérigraphie. Plus tard, dans les années 90, j’ai commencé à faire les installations et c’est là où j’ai commencé à y intégrer du textile. Je me suis rendu compte que je pouvais l’utiliser comme couleur, comme si c’était de la peinture. Je l’ai également choisi parce que c’est abordable pour moi, je peux le trouver dans tous les continents où je vais. Le bazin est un tissu teinté artisanalement très proche de nous car on peut être sensible à sa qualité et son éclatante brillance. Le tissu que j’utilise est un des plus chers qu’on trouve au Mali et que les femmes utilisent pour s’habiller les jours de fêtes, les baptêmes, les mariages...

Des projets pour l’avenir ?

Je travaille actuellement sur une maquette pour une œuvre de 10 mètres sur 40 pour un espace public. J’ai aussi des propositions d’exposition au Japon.