Fonction publique, le personnel de santé s’inquiète
" Saper le moral des troupes en pleine guerre contre la pandémie, c'est mal choisir son moment "

L’information a été publiée dans le bulletin officiel le 26 juillet, le personnel de santé n’est plus concerné par le statut de la fonction publique. Une annonce qui a semé panique et désarroi parmi les rangs des professionnels et leurs représentants syndicaux.  Ces derniers dénoncent l’absence de concertation et le flou entourant le nouveau statut en gestation.



Adopté, le 8 juillet 2021, à l’unanimité à la Chambre des représentants, le projet de loi n° 39-21 complétant le Dahir Chérifien n° 1-58-008 portant le statut général de la fonction publique a été également validé par le Conseil de gouvernement le 27 juillet. Selon un communiqué du ministère de l’Économie, des Finances et de la Réforme de l’administration, ce projet vise, notamment, à compléter l’article 4 en inscrivant les professionnels de la santé exerçant dans le secteur public sur la liste des catégories professionnelles non concernées par le Dahir n° 1-58-008 précité. Ceci dans le but de permettre l’élaboration, en vertu d’un texte législatif spécifique, d’un statut qui leur est propre.

Secteur spécifique

« C’est d’ailleurs ce que nous réclamons depuis des années. Nous avons toujours réclamé la considération de la spécificité du statut des professionnels de santé toutes catégories confondues », affirme Hamza Ibrahimi, responsable communication du Syndicat national de la santé. D’après ce dernier, le rôle joué par ce personnel, la particularité de ses missions surtout après le déclenchement de la pandémie en font un candidat idéal pour une réforme profonde de son statut tout en restant dans la fonction publique.

« Le personnel de santé a une lourde responsabilité sur les épaules : Sauver des vies cela demande une force physique et psychique énormes. Assurer le cours normal du travail, des permanences qui se suivent dans les services submergés par les cas nombreux de Covid-19 mais aussi des autres maladies et pathologies tout en risquant sa propre vie et sécurité... C’est dire toute la spécificité des missions du personnel de santé et sa différence par rapports aux autres fonctions », argumente le porte-parole du Syndicat national de santé.

Aucune concertation

De son côté Dr El Mountadar Alaoui, secrétaire général national du Syndicat indépendant des médecins du secteur publique, insiste sur la spécificité du secteur. « Nous avons longtemps milité pour la reconnaissance de la particularité de la fonction sanitaire. Nous sommes soulagés aujourd’hui qu’enfin c’est chose faite. Sauf que l’élaboration de ce nouveau statut se fait aujourd’hui loin des concernés », regrette Alaoui. Même réaction de la part du Syndicat national de santé : « Nous dénonçons le flou et le grand mystère entourant l’élaboration du nouveau statut qui va désormais gérer la vie professionnelle des 56.000 médecins, infirmiers et techniciens de santé. Sans une approche participative, cette loi va être loin des besoins, des aspirations du personnel mais surtout du terrain et sa réalité », met en garde Hamza Ibrahimi.

Ce dernier nous affirme toutefois qu’en décembre 2020, son syndicat comme bien d’autres, ont reçu une missive du Ministère de la santé les invitant à faire leurs propositions et à partager leurs visions par rapport au nouveau statut en gestation. « Nous avons en effet fait un bon nombre de suggestions et de propositions en attendant que le ministère constitue une commission et propose des rencontres de concertation pour détailler et développer ensemble ces propositions », racontent El Mountadar Alaloui et Hamza IBraihimi.

Flou et désarroi

Que s’est-il passé entre temps ? « Depuis cet échange, il n’y a eu plus rien jusqu’à ce qu’on soit surpris par l’annonce dans le bulletin officiel du basculement de la fonction publique vers la fonction sanitaire sans préparation ni transition », s’insurge Alaoui. D’après les représentants syndicaux, aucune information concernant le contenu du nouveau statut ne filtre jusqu’à maintenant. « Un grand mystère et tant de secret concernant un statut qui devrait désormais être notre « constitution professionnelle ». C’est une véritable aberration », ajoute Ibrahimi qui ne cache pas ses inquiétudes par rapport au comportement du gouvernement et de la tutelle concernant ce projet. « Pour nous, ces cachoteries sont un mauvais signe. Notre plus grande inquiétude, c’est une régression en termes de droits du personnel et la perte des acquis de longues années de militantisme », qu’inquiètent Alaoui et Ibrahimi. " Saper le moral des troupes alors qu'on est en pleine guerre contre la pandémie, c'est mal choisir son moment ", regrette Ibrahimi.

Assis entre deux chaises, le personnel de santé est aujourd’hui dans une situation délicate. « On ne dépend plus de la fonction publique mais on ne sait plus qui on est et on dépend de qui ! », notre le secrétaire général du Syndicat des médecins du secteur publique. Un désarroi et des interrogations qui se sont multipliés sur les réseaux sociaux et dans les groupes des professionnels de santé au lendemain de l’annonce sur le bulletin officiel.

Réactive, la Direction de la réglementation et du contentieux au Ministère de la santé va aussitôt répondre en publiant un texte explicatif. « Suite à la publication sur le bulletin officiel de la loi 39.21 stipulant que le personnel de santé ne relève plus de la fonction publique, beaucoup de professionnels ont cru à tort qu’ils sont actuellement hors fonction publique et qu’ils sont en situation de vide légal. Nous tenons à les rassurer car le personnel de santé reste toujours concerné par le statut de la fonction publique et ceci jusqu’à la promulgation du statut spécifique », explique le ministère. Contacté pour plus de détails sur le projet en gestation, le responsable des ressources humaines Adil Zniber, nous a assuré qu’il est complètement absorbé par la campagne de vaccination anti-Covid-19 qui est une priorité actuellement.

En attendant d’en savoir plus, les syndicats appellent le ministère à s’ouvrir sur les concernés, à les impliquer dans l’élaboration du nouveau statut car finalement ce sont eux qui vont l’appliquer. « Une approche participative est la seule manière de garantir une meilleure adhésion des ressources humaines, une meilleure application sur le terrain et une meilleure harmonie avec les grandes mutations liées à la généralisation de la sécurité sociale au Maroc », concluent les deux représentants syndicaux.