Amina Bouayach : «La lutte contre l’impunité des agresseurs est une priorité»
Amina Bouayach plaide pour la dépénalisation des libertés individuelles

La violence à l'encontre des femmes se décline sous différentes formes et sape toutes les chances d’une véritable égalité entre les genres. Un droit humain qui est pourtant garanti par la Constitution. Retour sur ce phénomène avec Amina Bouayach, présidente du Conseil National des Droits de l’Homme.

L’Observateur du Maroc et d’Afrique : L’agression de la fille de Tanger et le chantage sexuel à la faculté de Settat, deux affaires de harcèlement sexuel qui ont éclaté simultanément. Simple coïncidence ou un dur rappel de l'amère réalité de de la persistance de la violence contre les femmes au Maroc ?

Amina Bouayach : Les affaires d’agressions et de violences sexuelles subies par les femmes n’ont cessé de se multiplier ces dernières années. Certaines ont défrayé la chronique, comme le cas de la fille de Tanger, attaquée en pleine rue d'une manière que je qualifie de violente. Ceci est plus qu’une coïncidence. C’est un phénomène récurrent et une réalité douloureuse, démontrant clairement que la femme est une cible privilégiée de toutes les formes d’atteinte à la dignité humaine. Cela confirme d’ailleurs le sentiment d’insécurité ressentie par les Marocaines dans la rue.

Que répondez-vous aux personnes qui incriminent les victimes et appellent à leur sanction ?

Les violences physiques et sexuelles à l’égard des femmes sont les violations les plus systématiques, les plus courantes et en même temps les moins déclarées. Ceci explique la résistance des voix qui incriminent les victimes en les rendant responsables des agressions subies. Je me demande comment ces personnes osent cautionner la violence ? Si les agressions contre les femmes sont ainsi justifiées, cela alimentera et banalisera lesdits comportements dans tous les espaces qu’ils soient privés, publics, sociaux, économiques, politiques ou religieux. Ce danger menace la cohésion sociale. Une fois encore, j’insiste sur la nécessité de lutter contre l’impunité des agresseurs. Elle doit être érigée en priorité, car c’est la seule manière d’encourager les victimes à rompre le silence. Cela fait trois ans que la loi 103-13 est entrée en vigueur, pourtant les femmes continuent de subir des violences en tout genre. Comment expliquer ce fait ?

Certes l’adoption de la loi 103-13, relative à la lutte contre les violences faites aux femmes et à l'incrimination de certains actes et agressions sexuelles, a été saluée en son temps. Cependant, je pense qu’il serait nécessaire de la renforcer par l’intégration d'autres dispositions relatives aux nouvelles formes de violence et d’abus sexuels. Je tiens à rappeler nos recommandations relatives aux amendements du code pénal en octobre 2019, spécialement celles liées aux viols et à ses différentes formes. Il est également temps de faire prévaloir la cohérence des textes incriminant les violences sexuelles. La loi, seule, pourrait-elle changer les mentalités et les attitudes misogynes à l'encontre des Marocaines ?

Il est certain que la loi, quand elle est bien élaborée, a un rôle dissuasif. Elle permet de lutter contre l’impunité en faisant en sorte que les responsables d’actes répréhensibles puissent en répondre. Cependant, elle ne peut, à elle seule, lutter contre ce phénomène. La violence contre les femmes est un problème structurel, qui mérite une attention particulière et une vision intégrée et multidimensionnelle. Car, rappelons-le, c'est l'une des pires formes de discrimination.

La lutte contre les violences de genre est aussi un combat pour les libertés individuelles. N'est-il pas temps de changer certaines lois liberticides ? Quelle est la position du CNDH à ce sujet ?

Notre position est claire. Dépénaliser les libertés individuelles, tel est notre plaidoyer. Ces libertés ne seraient incriminées qu’en cas d’atteinte aux libertés des autres, à la vie, à l’intégrité physique ou autres. Tout le monde sait que ces libertés existent, s’exercent mais pas au vu et au su de la justice. J’aurais souhaité que le parlement mette ces questions à l'ordre du jour et se penche avec pragmatisme sur la protection de ces libertés.