Crime passionnel : « Je t’aime à mourir »
Tuer l'être aimé pour le posséder à jamais...

En deux jours, une infirmière se fait tuer par un ex en colère à Casablanca tandis qu´une femme au foyer est égorgée par son conjoint à Khouribga. De nouveaux drames et de nouvelles victimes de crimes passionnels. Mais comment peut-on en arriver à tuer quelqu’un que l’on aimait si profondément ? Chiffres et analyse du phénomène.



Fatim Zahra, l’infirmière de Casablanca, est partie dans la fleur de l’âge. Attaquée sauvagement à l’arme blanche devant son lieu de travail, elle paie de sa vie la colère d’un ex amant incapable d’accepter son refus de l’épouser. Avant de succomber à ses coups de couteau, elle a été harcelée, surveillée et persécutée par celui qui prétendait l’aimer depuis 15 ans. Les histoires d’amour n’ont pas toujours des fins heureuses. Celle de Fatim Zahra s´est terminée tragiquement, mais elle n´est pas la seule dans ce cas de figure. Un jour seulement après sa mort, une femme au foyer est égorgée par son mari à Khouribga. Après avoir commis son crime abominable, ce dernier va se suicider en se jetant sous un train. Des récits tristes qui viennent s’ajouter à une multitude d’histoires et de vies brisées au nom de l’amour et de la passion.

Féminicide

Un destin tragique que des milliers de femmes partagent d’ailleurs à travers le monde comme l’affirment les rapports onusiens. Selon le dernier en date, au moins 87.000 femmes ont été tuées de manière intentionnelledans des pays pauvres, comme dans des pays riches. Parmi ces 87.000 victimes, 57% ont été tuées par leurs conjoints ou par des membres de leurs familles affirme l'ONUDC (Office des Nations unies contre les drogues et le crime). Plus d'un tiers (30.000 femmes) ont été tuées par un ex-conjoint ou un conjoint actuel, «quelqu'un en qui elles auraient normalement dû avoir confiance» note le rapport.

Même constat du côté de l'Organisation mondiale de la Santé (OMS) dans un rapport datant de fin 2017 : Pas moins de 38% des meurtres de femmes sont perpétrés par leurs partenaires intimes masculins. D’après les auteurs de l´étude, ces meurtres ne sont généralement pas la conséquence d'actes spontanés ou isolés, mais plutôt d'une accumulation de violences liées au genre, au caractère possessif de la relation mais aussi de la jalousie et de la peur de l'abandon.

Le rapport de l’ONUDC révèle également que l'Asie détient le macabre record du plus grand nombre de femmes tuées (20.000) par leurs conjoints ou des membres de leurs familles,talonnée par le continent africain avec 19.000 victimes. Les Amériques du Nord, Centrale et du Sud suivent avec un total de 8000 mortes, l'Europe avec 3000, tandis que l'Océaniearrive en dernier avec 300 femmes tuées en 2017. « Mais c’est en Afrique (Afrique du Sud, Sénégal, RDCongo, etc.) que les femmes et les jeunes filles risquent le plus d'être tuées par leur compagnon ou un membre de leur famille (69%)» ajoute le rapport onusien.

Le basculement

Des chiffres nullement rassurants qui reflètent un phénomène social aux ramifications psychiques complexes. Comment peut-on basculer d’un amour profond à une aversion aussi subversive ? Tuer l’être aimé semble assez invraisemblable, pourtant certaines personnes y arrivent et commettent l’irréparable. L’Histoire et les faits divers regorgent de récits types.

« La plupart des crimes dit passionnels sont commis par des personnes essentiellement animées par la colère et la peur. Beaucoup de crimes de ce genre ne sont pas prémédités », nous explique Mehdi Boussaid, chercheur en sociologie. D’après ce dernier, le conjoint ou l’amoureux éconduit agit souvent, sur le tas, par dépit, frustration, peur d’être abandonné ou par désir de vengeance. « La blessure du refus par l’être chéri est profonde car elle engendre un sentiment d’insécurité. Incapable de digérer la rupture, l’agresseur n’arrive pas à accepter que leur histoire soit finie et que l’autre ne veuille plus de lui. La passion devient parfois synonyme d’obsession et de possession », analyse le chercheur. Un désir fort de posséder l’autre et de le garder près de soi qui vire rapidement au drame lorsqu’il rencontre de la résistance. « Dans le feu de l’action et de l’émotion, celui qui s’accroche à l’idée du couple va tenter de reconquérir l’être aimé, qu’il soit homme ou femme. En échouant à le retenir, certaines personnes vont préférer le tuer et en finir une fois pour toute plutôt que de le laisser partir et vivre dans la douleur » ajoute Boussaid.

Un dilemme d’autant plus lourd à assumer lorsque l’abandon est associé à la jalousie. « Si la jalousie est considérée comme le sel de la relation amoureuse, elle peut devenir mortelle quand elle prend des allures maladives. Le manque de confiance en soi alimente les doutes d’infidélité dans l’esprit de l’agresseur. Ceci tout en nourrissant sa colère et son sentiment d’insécurité. « C’est une bombe à retardement qui éclate souvent lorsque la femme en a assez et veut partir. La tuer afin de la retenir devient un choix « réconfortant » pour le tueur », ajoute le sociologue.

Jalousie, doute et violence

Rappelant l’effet « boosteur » de la révolution technologique et des réseaux sociaux, le sociologue pointe du doigt une certaine responsabilité dans cet éloignement et cette rupture de communication au sein des couples. En un clic, beaucoup de personnes trouvent une oreille attentive et consolante à travers des conversations virtuelles. « Les réseaux sociaux ont mis à mal les relations réelles. L’idéalisation virtuelle des relations amoureuses tranche avec la vie bien réelle du couple. Les relations extraconjugales même virtuelles deviennent une sorte d’échappatoire. Si les gens « normaux » divorcent à la découverte de ces « trahisons », les moins modérés vont réagir violement » décrit le chercheur en évoquant un autre facteur favorisant le crime passionnel : La violence.

Ceci dit, les recherches psychologiques affirment que 99 % des auteurs de crimes passionnels sont des personnes ayant un casier judiciaire vierge. Quelles sont donc les raisons de ce revirement fatal ? « Ces meurtres sont souvent l’expression d’une violence à l’état brut qui survient subitement. Dans certains cas la violence fondamentale reste ancrée au niveau des pensées. La relation de couple dégénère et les pulsions agressives s’expriment librement lorsque l’on confond le « moi » et le « toi », avec un désir accru de posséder l’autre », ajoute le chercheur. Il note cependant un point crucial : La blessure de la virilité dans une société patriarcale par excellence. « Au-delà de l’attachement amoureux, repousser son conjoint ou un amoureux et vouloir le quitter sont perçus par certains hommes comme une humiliation, une insulte à leur virilité. Ils n’arrivent pas à le « tolérer » et passent à l’acte pour se venger et restaurer leur « dignité » », regrette Mehdi Boussaid.

Des cheminements psychosociaux qui diffèrent, mais qui aboutissent tous à des drames et des morts violentes probablement évitables « par un travail de socialisation afin de trouver les origines et les meilleures réponses à ce type de violences féminicides » conclut le chercheur.