Omar El Jamali. Le Maestro marocain qui séduit à l’international.
Omar El Jamali

Après avoir remporté cet été le Prix d’orchestre à Bucarest, le casablancais Omar El Jamali, installé à Paris depuis 2015, vient de rafler le second prix du troisième Concours international de direction d’orchestre Antal Doráti tenu du 4 au 11 septembre 2021 à Budapest.

Âgé de 29 ans et primé pour sa direction magistrale de la 6ème Symphonie de Tchaïkovski et d'une pièce rare du compositeur hongrois Antal Doráti, celui qui devient le premier chef d’orchestre marocain à obtenir une mention internationale aussi importante, nous confie ses émois musicaux et raconte son immersion dans le monde de la musique classique.

Vous venez de recevoir le 2e prix du 3ème Concours international de direction d’orchestre Antal Doráti à Budapest. Quel est votre sentiment ?

Ce prix valide beaucoup d’années de travail. Il symbolise la reconnaissance d’un jury qui a énormément d’expérience et aussi la validation d'un orchestre constitué de grands musiciens. La plupart sont plus âgés que moi et jouaient de leurs instruments bien avant que je ne sois né. Le fait d’atteindre la finale est à lui seul une grande consécration.

Contrairement aux autres musiciens et instrumentistes, les chefs d’orchestre n'ont pas de feed-back sonore lorsqu’ils sont en action. Tout se passe dans l’imaginaire, le travail, la vision. Ce n’est qu’un fois qu’on est en face de l’orchestre que l'on réalise le temps de préparation en amont.

Nous avions juste le matin pour la répétition d’une pièce très technique alors que le concert se déroulait le soir. J'avais environ une minute de réflexion par minute de musique jouée.

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Vous avez reçu plusieurs prix à l’international. Est-ce que c’est important pour vous d’être aussi reconnu au Maroc ?

Bien sûr! Il est difficile de faire carrière dans la musique. Après 10 ans d’acharnement j’ai réussi à percer. C’est important de représenter mon pays à l’international. Lors de la finale, pendant que je saluais le public et l’orchestre, j'ai levé les yeux et vu un drapeau marocain devant moi, cela m'a ému et j’ai pris conscience de ce que signifiait d’être ici.

Qu’est ce qui vous a motivé à devenir chef d’orchestre ?

Ce n’est pas très commun de voir des jeunes emprunter cette voie, car ce n’est qu' une fois qu’on a une certaine maitrise de la musique qu’on peut se permettre de devenir Maestro. J’étais compositeur de musique de films aux USA, lorsque l’un de mes profs m’a demandé de diriger mon œuvre pour un enregistrement. La sensation que cela m’a procuré était incroyable. Elle me rapprochait un peu plus de mes racines, car à la base, je suis un musicien de Rock qui jouait de la guitare et de la batterie. Les premiers concerts auxquels j’ai assisté sont ceux de Hoba Hoba Spirit. J'adorais aller au Boulevard des jeunes musiciens, je passais du temps au Boultek, mais je n’étais pas du tout dans la musique classique, jamais je n’aurais cru un jour me diriger vers cette voie. J'étais plus attiré par la scène, il me fallait du bruit, du public et ce n’est que lorsque j’ai réellement commencé à étudier la musique que je suis tombé amoureux de cette discipline.

Pourquoi avoir bifurqué du rock au classique ?

A début, c’était stratégique. Je suis parti étudier à Boston avec l’idée d’intégrer un groupe de Rock, d'écrire un album et de faire des concerts, mais j’avais un problème d’identité musicale. J'étais bon pour imiter Nirvana ou d'autres groupes connus mais j’avais du mal à trouver mon propre style. J’ai alors choisi d’étudier la composition de films parce qu'à mon sens c’était un Art au service de l’Art. Autrement dit, on ne va pas voir un film pour sa musique, cette dernière est plutôt un guide. Quand le compositeur fait bien son travail, on ne se rend même pas compte qu’il y a de la musique ! Idem pour le chef d’orchestre.

Au début, ce n’était pas évident, j’étais entouré de musiciens nés dans la musique classique alors que moi j'avais été "adopté". En 2013, trois mois après mes études au Berklee College of Music de Boston, j’ai switché vers le classique. J’avais le choix d’aller à Hollywood, pour devenir l’assistant d’un compositeur ou bien me rendre à la Schola Cantorum de Paris étudier la direction d’orchestre. Après 3 ans d’études et une année de perfectionnement avec Pierre Michel Durand, j’ai pensé à faire des compétitions et en 2019, j’ai commencé à recevoir des petits prix par ci par là. J’ai été contacté par un Orchestre amateur en Allemagne afin de les diriger une fois par semaine, on m'a sélectionné pour diriger l’orchestre symphonique amateur de Musiques en Seine à Paris et depuis, l’aventure continue.

Comment passe-t-on du rock à un style complètement opposé qui ne laisse en plus aucune place à l’improvisation ?

Qu’il s’agisse de jazz, de blues ou de Rock, il y a certains accords où l'on peut improviser. Dans le classique, la beauté de l’improvisation se retrouve dans le choix des micro décisions, c’est pour cela que le public aime un musicien et pas un autre. On nous dit souvent qu’un musicien n’a pas besoin de chef d’orchestre parce qu’il a une partition à suivre, mais si on prend la musique de Mozart par exemple, on retrouve plusieurs tempos : Andante, Allegro, ou Largo... qui nous dictent la vitesse d’exécution de l’œuvre, sauf que les gens ont différentes façons de percevoir ce qui est lent ou rapide ! Il y a tellement de décisions à prendre pour mettre plusieurs musiciens d’accord dans un orchestre. On peut jouer « Clair de lune» de manière assez droite et faire ressortir un côté impressionniste, on peut le jouer avec les tempos, on peut être un peu lent, un peu rapide, un peu plus romantique...

Un compositeur que vous admirez ?

J’apprécie tout particulièrement la musique de Gustave Mahler, c’est une musique grandiose qui nécessite un grand orchestre, parfois plein de chœurs. Elle est extrêmement touchante, on sent l’humanité, la fragilité de l’homme derrière. Ce sont des pièces qui peuvent appartenir à tout le monde. Elles sont nées de sentiments expérimentés par tous à un moment donné. C’est toujours poussé à l’extrême, ça cristallise des angoisses et cette peur de la mort très présente chez lui.

Un style que vous affectionnez le plus ?

J’aime beaucoup le style romantique. Je trouve qu’il permet une certaine liberté, on peut le jouer de différente manière. D’autant plus que c’est très mainstream, dans les films romantiques par exemple, c’est la mélodie et l’harmonie qui l’emportent, nous font ressentir les choses et nous touchent, contrairement à la musique des films d’horreur qui utilise une musique contemporaine et où l'on joue sur les sensations.

Une pièce qui vous est chère ?

J’adore « Ma mère l’oye » de Maurice Ravel. C’est la première œuvre que j’ai dirigé et qui m’a converti au monde orchestral en 2013, lorsque j’étais étudiant aux USA. Il y avait plein de petites histoires par mouvement : le petit poucet, la belle au bois dormant, la belle et la bête (...) et j’arrivais à suivre le mouvement de chaque histoire, à travers la musique. C’est également une œuvre écrite pour que des enfants puissent la jouer. Je me suis identifié à eux du reste. Cette pièce a donc une place spéciale dans mon cœur.

Vous êtes un mordu de scène. Qu’est-ce que cela vous apporte?

Jouer sur scène est viscéral pour moi, c’est une sensation qu’on arrive à palper. Quand je faisais du rock, je voyais directement le public, on entendait le volume très fort, le public, les musiciens, nous étions tous connectés par le son. Un chef d’orchestre donne le dos au public, mais le fait de se retrouver face à 40 ou même 100 musiciens, d’être sur la même longueur d’onde qu'eux via le geste, le regard, la connaissance et l’amour de l’art, est quelque chose d'unique en soi. Pour ma part cela me fait vraiment vibrer.

Comment imposer son style en tant que jeune chef d’orchestre ?

Le Maestro oblige tous les musiciens à regarder dans la même direction et à le suivre, qu’il soit compétent ou pas et que ces derniers comprennent son approche ou pas. Certains chefs sont très autoritaires, mais lorsqu’on écoute la musique, on ressent une sensibilité incroyable, d’autres sont très discrets et ont du mal à regarder les musiciens dans les yeux, et pourtant, au moment du concert, c’est un volcan en éruption. Chacun son style.

Quelles sont les difficultés que doit surmonter un chef d’orchestre ?

Être centré en étant sur tous les fronts. C’est comme un PDG ou un manager qui a une certaine vision et qui doit veiller à ce que tout le monde soit heureux sachant bien que c’est impossible. Il faut aussi plaire au public, à ses musiciens, être utile socialement et artistiquement.

C’est quoi le secret d’un bon chef d’orchestre ?

On ne sait pas vraiment. Il y en a tellement ! Pour moi, c’est être une bonne personne, être humain. C’est comprendre le compositeur, les gens qu’on dirige, faire en sorte de laisser s'exprimer sa philanthropie. J'avais un professeur qui me disait : « quand on devient un bon chef d’orchestre, seulement 5% du travail est musical, le reste du temps, c’est que du social ». Le rôle d’un chef d’orchestre est de défendre l’intérêt de la musique dans sa communauté. Son métier est aussi de s’engager auprès des pouvoirs politiques, des représentants locaux, pour protéger la vie musicale et ce qu’elle peut avoir comme impact dans la communauté.

Quelle est votre technique de travail ?

La 1ère chose que j’essaie de faire c’est de comprendre la personne, le compositeur et sa musique. Avant de commencer à écouter sa musique de façon studieuse, je me documente sur sa vie, pour voir à quel moment il a écrit cette pièce là. Pourquoi il l’a réalisée ? Est-ce que c’était avant ou après la révolution ? Y avait-t-il un dictateur au pouvoir ? Est-ce que le peuple était opprimé ? Dans quelle ambiance politique et sociale a-t-il utilisé cette œuvre ? qu’est-ce qu’elle représentait à l’époque ? Est-ce que cette œuvre peut avoir sa place dans la société d’aujourd’hui? J'étudie la musique tout en me posant des questions sur les intentions du compositeur. Il y a aussi la connaissance de la musique pure : comprendre les notes, maitriser la technique, comment faire sortir l’âme de la mélodie et du compositeur.

Pensez-vous composer des œuvres à vous ?

Non. Depuis que je suis dans la direction d’orchestre, je ne fais que de l’interprétation. Et je peux vous dire qu’on a plusieurs challenges à relever comme celui de réinventer la même œuvre par exemple. C’est la raison d’ailleurs pour laquelle on joue encore aujourd’hui la 5ème symphonie de Beethoven et qu’à chaque fois, on est émerveillé par le rendu. C’est comme en architecture, on a les plans mais pas d’images finales, donc, chacun peut apporter sa propre touche. Il y a des choses qui marchent, d’autres pas. A travers les âges et les tons, il y a certaines interprétations qui deviennent populaires et d’autres pas.

L’interprétation est un art en soi qui mérite de se développer à travers le temps et le travail.

Des projets ?

J’ai quelques engagements en Pologne et en Hongrie. J’ai aussi créé ma propre école de direction d’orchestre à Paris.

Le pianiste maroco-hongrois Marouane Benabdallah est venu m’encourager et me soutenir sur scène et j’aimerais bien travailler avec lui un jour.

Je rêve aussi de diriger un orchestre au Maroc. J’ai déjà rencontré des musiciens de l’OPM lorsque j’effectuais un stage chez eux pendant la fête de la musique en 2014-15, le fait de les voir à l’œuvre m’a donné envie de faire partie de cette aventure. Si un jour on m’appelle, je répondrais présent.