Réseaux sociaux : Peut-on s’en passer ?
L'addiction guette lorsqu'on perd le contrôle de la manière de consommer les réseaux sociaux

La panne d’hier de WhatsApp, Facebook, Messenger et Instagram a pris les allures de crise existentielle pour les internautes partout dans le monde. Peut-on jamais vivre sans réseaux sociaux ou sommes-nous irrécupérables face à une addiction sournoise ?



Sevrage

Pendant six heures, les réseaux sociaux ont été mis en veille à cause d’une panne mondiale. « C’était une éternité ! Je ne savais pas quoi faire. J’étais complètement déboussolé. Je n’avais pas cessé de redémarrer mon téléphone, de me déconnecter et me reconnecter, j’ai même vérifié si j’ai toujours assez de solde. C’était hallucinant ! », décrit Nasser en réaction à un court post du youtubeur Amine Rharib affirmant que : « Nous sommes devenus accros aux réseaux sociaux ».

Des mots assez banalisés mais dont toute l’ampleur a été révélée lundi après la panne de Facebook, Whatsapp, Messenger et Instagram. Peut-on vivre sans réseaux sociaux ? Sommes-nous capables de nous défaire de nos cyber-habitudes ? Peut-on reconsidérer nos relations et nos liens loin du prisme de ces applications ? Peut-on s’informer, communiquer, trouver un boulot ou trouver l’amour, se divertir sans devoir passer par ces plateformes et sans se laisser ligoter par leur marketing ciblé ? Autant d’interrogations et de remises en question qui ont été exprimées et postées sur ces mêmes interfaces controversées.

Emprise

Quelques instants après la reprise de service, ces applications ont été prises d’assaut par les utilisateurs mal sevrés. Entre l’ironie, la consternation et le choc, les réactions se sont multipliées sur la toile à l’échelle mondiale. « Cette rupture momentanée des liens, certes virtuels mais très solides, a provoqué un véritable choc chez les utilisateurs invétérés. Ils ont subi un sevrage brusque et assez déstabilisant. Il est certain que les réseaux sociaux se sont profondément ancrés dans nos vies et dans nos habitudes », commente Hicham Bouzidi, chercheur en sociologie de l’image à l’Université Hassan II.

Arrivés avec de belles promesses, les réseaux sociaux ont pu se faire une place dans le quotidien des utilisateurs avant d’exercer une sorte d’emprise sur eux. « Le grand danger des réseaux sociaux réside essentiellement dans le fait qu’ils sont venu combler un vide et compenser un manque. Ceci que ce soit en termes de cohésion sociale, en termes d’information, de liberté d’expression... Cette mutation s’est opérée d’une manière brusque et violente sans préparation préalable ni transition », analyse le chercheur. Si les réseaux sociaux collent souvent à la couleur locale, ils tranchent toutefois avec les idées et les habitudes passées en les transcendant voir en les mutant. « Prenons l’exemple du bouche à oreille très répandu dans les cultures orales. Sur les réseaux sociaux, il prend les allures d’intox et de fake news. C’est un changement radical auquel on n’était nullement préparé mais qui procure un sentiment de satisfaction très recherché », note Bouzidi.

Shoot

Satisfaction, plaisir, sensations agréables de pouvoir, de force et de capacité d’agir... Les utilisateurs développent vite une addiction aux réseaux sociaux. « On se shoote au nombre de vues et de likes. L’utilisateur est entrainé dans un circuit de récompense et subit un conditionnement pavlovien dopant son addiction. Il est en quête perpétuelle de reconnaissance et de ce fait il doit être actif tout le temps. Ce qui ancre davantage ce comportement addictif. C’est un cercle vicieux », analyse Nadia Mouâtassim, psychologue. Une quête perpétuelle de récompense que les algorithmes et les développeurs de ces applications nourrissent en permanence. « Les algorithmes appliqués savent vous accrochez, deviner vos pulsions, satisfaire vos besoins et vous fidéliser. C’est difficile d’y échapper », regrette la psychologue.

Accro et accroché, l’utilisateur est vite habitué à mener cette existence parallèle lui renvoyant une image idéalisé de lui-même. Mais est-il pour autant retenu coincé dedans contre son gré ? « Certes il y a le libre arbitraire par rapport à la dose de réseaux sociaux à consommer et à la manière de le faire ; mais une fois dedans on est vite happé par la machine. Car derrière, il y a des développeurs, des algorithmes et de puissants ordinateurs qui connaissent vos besoins et s’acharnent à vous retenir le plus de temps possible sur l’application », note le chercheur en sociologie.

Piège

Selon différentes études, la plupart des utilisateurs sous-estiment la durée du temps passé connectés. Affirmant souvent qu’elle ne dépasse pas une heure ou une heure et demi, la durée réelle est cependant estimée à 6 à 8 heures par jour. « C’est énorme et c’est hautement préoccupant ! Ca implique une certaine démission de la vie réelle. Au lieu de connecter les gens entre, ces réseaux finissent par les éloigner les uns des autres. Les études prouvent d’ailleurs que plus on passe du temps connecté, plus le sentiment de solitude et d’anxiété sont augmentés. La confiance en soi par contre diminue ostensiblement tandis que le risque de développer un syndrome dépressif augmente d’une manière remarquable », alerte la psychanalyste.

Avec un impact profondément néfaste pour la santé physique, la santé mentale et les relations humaines, les dégâts des réseaux sociaux seraient beaucoup plus importants que leur apport bénéfique ? « Toute est question de bonne dose et de contrôle de soi. Il faut savoir échapper à leur emprise, de les traiter comme un outil et surtout de ne pas devenir l’outil ! », conclut Hicham Bouzidi.