Arrêt du Gazoduc GME. Et si c’était une opportunité pour le Maroc ? 
La fermeture du gazoduc Maghreb-Europe n’aura qu’un impact insignifiant sur la production électrique national du Maroc.

Comme attendu, l’Algérie a décidé de ne pas renouveler le contrat relatif au gazoduc Maghreb-Europe qui a pris fin en octobre dernier. Le Maroc ne recevra donc plus de gaz en provenance du pays voisin. Quels impacts sur les deux pays? Et quelles alternatives ? Analyse. 



C’est officiel. Alger a décidé de rompre l’accord du Gazoduc Maghreb-Europe. Le pays comptera désormais exclusivement sur son gazoduc sous-marin Medgaz pour livrer du gaz à l’Espagne. Dans un communiqué de quelques lignes, l’ONHYM et l’ONEE ont réagi conjointement à cette annonce. Selon les deux offices, « une telle décision n’aura, dans l’immédiat, qu’un impact insignifiant sur la performance du système électrique national ». Ils ajoutent aussi que « en prévision à cette décision, les dispositions nécessaires ont été prises pour assurer la continuité de l’alimentation du pays en électricité », et que «d’autres options sont en cours d’étude pour des alternatives durables moyen et long termes ». Qu’en pensent les experts ? Pour l’économiste Mohamed Jadri, cette non-reconduction n’aura quasiment aucune incidence sur l’économie marocaine ou sur les besoins du Royaume en termes d’énergie, et ce suite, à un programme anticipé entamé par le Royaume pour multiplier les sources de production d’énergie. De son côté l’expert en énergies Amine Bennouna, juge qu’il faut voir cette décision du bon côté et la considérer comme une opportunité.

L’Algérie, grande perdante

Le Gazoduc Maghreb Europe-GME, est un projet qui date de 25 ans, d’une longueur de 1.300 kilomètres, traverse le territoire marocain sur une distance de 540 kilomètres et présente une capacité maximum d’exportation de près de 13 milliards m3 par an. Pour le gazoduc Medgaz, la capacité d’évacuation a atteint, aujourd’hui 10 milliards de mètres cubes/an après la fin des travaux d’expansion de 2 milliards mètres cubes/an. La capacité totale théorique des deux gazoducs est de 23 milliards de mètres cubes/an. Selon Bennouna, l’Algérie exporte entre 10 et 11,7 milliards de mètres cubes/an vers l’Espagne et pas plus de 4 milliards de mètres cubes/an vers le Portugal. « En se limitant à son gazoduc Medgaz dont la capacité ne dépasse pas 10 milliards de mètres cubes/an, le pays voisin ne pourra pas honorer ses engagements envers l’Espagne », assure Bennouna. Donc, «l’Algérie va être obligée de livrer par voie maritime le reste de la quantité nécessaire pour satisfaire la demande espagnole ». Aussi, si l’Algérie fait-elle valoir un discours qui souligne qu’elle peut parfaitement se contenter du gazoduc qui passe directement par son territoire, c’est parce que, comme l’explique Jadri, elle a perdu d’énormes parts de marché. « Le pays était leader sur le gaz naturel en Espagne qui en importait environ 60 à 65% de ses besoins. Ces derniers mois, ces parts ont chuté à 30 ou 35%. L’Espagne importe aujourd’hui plus des États-Unis. Comme l’Algérie a perdu ses parts du marché, elle exporte donc moins et aura besoin d’un gazoduc moins performant », détaille l’économiste. Autre conséquence pour le pays voisin : «la perte d’un moyen de transfert du gaz à moindre coût et dans des conditions de sécurité optimale », ajoute le même interlocuteur.

Une opportunité pour le Maroc ?

Face à ce que prétendent les voisins algériens, quant à l’impact de cette décision sur l’électrification dans le Royaume, Bennouna rétorque : «Il n’y aura ni problème d’électricité ni coupures au Maroc. Nous produisons aujourd’hui près de 100% de l’électricité dont nous avons besoin soit l’équivalent de 40.000 GW ». L’expert ajoute que le gaz algérien consommé par le Maroc (1 milliard de mètres cubes par an), ne sert qu’à alimenter les deux centrales électriques de Tahaddart à côté de Tanger et de Aïn Beni Mathar dans la région d’Oujda. Jusque là, le Maroc payait une redevance en contrepartie des investissements engagés dans ce gazoduc. Sur le court terme, « le Royaume devra mettre la main à la poche pour payer l’équivalent du gaz qui ne coulerait plus depuis le GME, soit, une moyenne annuelle de 160 millions de dollars. Mais cette somme est sans impact réel sur le budget de l’État puisqu’elle n’y représente pas plus de 0,65% », précise Jadri. Selon le rapport d’activité de 2020 de l’Administration marocaine des Douanes et des impôts indirects, la redevance gazoduc ne représente en effet qu’une contribution infime de 1% dans les recettes douanières au cours de la même année, sachant que cette recette est en baisse continue et la régression est de 55%, soit moins de 51 millions de dollars en 2020. Alors, que le GME représente pour l’Algérie quelques 6,8 milliards de dollars de recettes d’exportations. De l’avis de Bennouna, il était temps pour le Maroc de revoir sa copie puisque ce gazoduc à accès unique, entrée unique et sortie unique n’était pas dans son intérêt. «Ce que le Maroc va perdre c’est l'habitude d'avoir du gaz naturel au titre d'une redevance de transit. Pour l’Algérie, par contre, c’est un très mauvais calcul » insiste celui qui estime que "ce qui ne tue pas rend fort" et que les algériens offrent plutôt un cadeau au Maroc en le poussant à diversifier ses sources. «Quand demain les algériens reviendront à la raison, leur gaz ne sera plus qu’une alternative parmi celles que nous auront », ajoute t-il.

Quid des alternatives ?

Si l’Algérie a fermé le robinet du gaz vers le Maroc, il existe néanmoins bel et bien des alternatives. D’abord diversifier les usages de ce Gazoduc Maghreb Europe (GME). D’après l’expert en énergies, le gazoduc a deux vannes, une du côté algérien et une autre du côté marocain. « Aujourd’hui, la solution serait alors d’alimenter ce gazoduc par le Nord en ramenant du gaz de l’Espagne. Or, puisque cet outil n’a jamais été utilisé dans ce sens, il serait nécessaire d’installer une station de pompage pour pousser le gaz du Nord vers le Sud », préconise Bennouna qui note par ailleurs que cela nécessitera quelques mois pour la mise en place. Sur les 40.000 GW d’électricité dont a besoin le Royaume, 4800 GW seulement proviennent du Gaz. Bennouna explique ainsi que les centrales de charbon de l’ONEE à Jerada et Mohammedia sont sous-utilisées, alors qu’elles pourraient fournir 1.000 GW de plus. « En portant à 82% le facteur de charge de ces centrales et en complétant par un peu d'import via l'interconnexion avec l'Espagne (moins de 2.900 GWh par an), nous pourrons bien vivre sans le gaz algérien », estime l’expert. Le gisement de gaz découvert il y a quelques années à Tendara (dans la province de Figuig) et qui a fait l’objet d’un contrat signé entre l’ONHYM et Sound Energy pourrait également constituer une réelle alternative au gaz algérien pour alimenter les centrales concernées.. « L’idéal serait que le gazoduc en question soit demain alimenté par Nador pour tout ce qui est import, et par le Sud pour le gaz qui proviendrait de Tendrara », propose Bennouna. A long terme cette fois, outre la construction d’une nouvelle station photovoltaïque qui pourrait assurer une énergie propre, Jadri met l’accent sur l’accord signé en 2016 avec le Nigéria pour la construction d’un Gazoduc. «Fruit d’une collaboration régionale entre le Maroc, le Nigeria, la Mauritanie et les pays de la CEDEAO, ce gazoduc mesure approximativement 5.660 km et son Capex a été défini pour répondre aux besoins croissants des pays traversés et de l’Europe au cours des 25 prochaines années ».