Emirats-Algérie. La tour des vivants, le monument des morts
Passé conte futur

La légitimité du pouvoir n’est pas un état stable, mais un processus perpétuel. Dans les pays démocratiques la légitimité s’acquiert auprès des citoyens qui expriment leurs choix (libres) dans les bureaux de vote. C’est le seul moyen. Il n’y en a pas d’autre.

Dans les régimes autoritaires, ou faussement démocratiques, les choses se passent autrement. Puisqu’il n’y a pas de légitimité par les urnes, on va s’efforcer d’en trouver ailleurs. Dans ce contexte, on n’a pas besoin de réalisations économiques et sociales pour mériter la place de dirigeant et se maintenir au pouvoir. Evidemment, puisque ce pouvoir a été acquis sans le consentement des citoyens.

Néanmoins, il va bien falloir faire quelque chose pour que le peuple continue de soutenir le dirigeant. Comme les mentalités ont beaucoup changé, les citoyens sont devenus plus pragmatiques; leurs exigences sont d’abord d’ordre matériel. Il veulent un bon niveau de vie, des infrastructures et un système de santé performants, une éducation qui permet l’ascension sociale, des réalisations dont ils seront fiers devant les autres peuples...

Il y a deux sortes de procédés de légitimation. L’un se fonde sur le passé, l’autre sur le futur. Une comparaison entre les Emirats arabes unis et l’Algérie permet de mieux comprendre ce phénomène.

Aux Emirats Arabes Unis, la légitimité du pouvoir repose moins sur l’histoire que sur les réalisations. L’histoire n’est rappelée qu’en tant que passage qui a permis le présent. Le pouvoir est légitime parce qu’il a fait de cet émirat un grand pays qui compte dans le monde.

Son secret? Il n’en a pas. Moderniser, investir l’argent gagné à travers les ressources naturelles dans l’avenir, préparer l’après pétrole, attirer les meilleures compétences internationales, offrir les meilleures conditions économiques et le meilleur climat des affaires aux grandes multinationales, sans toutefois tomber sous leur hégémonie. L’Emirat, pragmatique, est devenu un exemple, un étalon qui permet de mesurer les réalisations d’autres pays aussi riches en pétrole et en gaz.

A l’opposé, le pouvoir algérien n’a pas beaucoup de réalisations à faire valoir et donc ne peut chercher sa légitimité de ce côté. Néanmoins, il a une histoire à raconter, la lutte pour l’indépendance et son 1,5 million de martyrs.

Or, la structure démographique montre que 93,83% de la population est en dessous de 64 ans et donc n’a pas vécu cette période toujours glorifiée par le pouvoir. 29,83% de la population a moins de 14 ans. Si ont peut comprendre que les natifs des années 70 puissent encore vivre sur le souvenir de l’indépendance, il n’en est pas de même pour les générations suivantes, et encore pour celles des années 2000. Il y a bien une baisse tendancielle de la légitimité historique. C’est imparable, les jeunes apprennent plus de ce qui se passe dans le monde que de ce qu’on veut bien leur apprendre à l’intérieur des murs. Le monde est ouvert.

Mais le pouvoir a une autre source de légitimité, l’opposition inébranlable à Israël. « Je suis contre Israël donc j’existe, donc je suis légitime ». Là aussi, la tendance est à la baisse, à cause du renouvellement générationnel et surtout depuis que plusieurs pays ont normalisé leurs relations avec l’Etat hébreu. Ce n’est d’ailleurs pas le seul pays à exploiter ce filon. D’autres le font avec plus ou moins de force. La Turquie et l’Iran notamment. L’opposition a Israël est devenue un dogme auquel l’antisémitisme ajoute une force non négligeable.

C’est dans ce contexte qu’on comprend la tapage fait autour de la visite du responsable de l’autorité palestinienne en Algérie et l’utilisation du drapeau palestinien à l’issue du match Algérie-Maroc. L’idéologie du pouvoir a contaminé même le sport et la culture. En Algérie, dire du bien d’Israël peut conduire en prison, dire du mal des Palestiniens également.

Lequel de ces modèles peut être qualifié de succès?

Reste à dire deux mots à propos de la légitimité religieuse. Les Emirats Arabes Unis sont en passe de devenir un pays laïc où l’Etat n’intervient pas dans la foi des citoyens. Encore une fois, l’Emirat n’a plus besoin de légitimité historique ou religieuse. Il réalise et en réalisant, il est légitime.

Par contre, en Algérie, le besoin de religion est toujours pressant pour combler le vide économique, politique et social du pays. Le manque de réalisations pousse le pouvoir à toujours mettre en avant la superficie de leur pays. Or la superficie ne veut rien dire sans réalisations.

Et pourtant le territoire algérien est vaste et sa population est que les Emirats. Elle dispose de plus de réserves de gaz et de pétrole. Alors qu’est ce qui ne va pas?

Quand un Emirtati montre Burj Khalifa, un Algérien montre le monument des martyrs. Les Emirats travaillent aussi pour les Emiratis qui naîtront demain, l’Algérie travaille toujours pour les Algériens morts il y a longtemps.