«Arnacœurs» de l’amour. Des "Tinder swindlers" marocains
Modus operandi des arnaqueurs de la toile : Amour virtuel et apparences trompeuses

Au nom de l’amour et la promesse de merveilleux lendemains romantiques, de jeunes femmes marocaines se sont fait arnaquer sur le net via des applications de rencontres. De l’argent contre un semblant de bonheur, c’est l’injuste troc proposé par ces nouveaux escrocs des cœurs.



En cette journée du 14 février célébrant l’amour, un peu de désillusion ne fera pas de mal. Loin des douces idylles qui font rêver, l’amour simulé peut donner lieu à des mésaventures dévastatrices que des victimes racontent à L’Observateur du Maroc, les larmes aux yeux et le regret déchirant le cœur. Ces tristes histoires marocaines font penser à «The Tinder Swindler» qui cartonne actuellement sur Netflix. Même si les sommes d’argent en «jeu» ne sont pas les mêmes que ceux révélés dans ce documentaire, les escrocs marocains exploitent eux aussi les cœurs...

«On s’est rencontré sur facebook. Il m’a envoyé une invitation. Curieuse, je me suis rendue sur son compte pour découvrir un peu qui c’est. Un assez bel homme avec beaucoup de charisme. Bon vivant, bien sapé, il aime voyager. Toujours entouré, il évolue dans des clubs et autres restaurants chics », nous raconte Karima. El, 30 ans, célibataire et employée dans une entreprise à Casablanca. En acceptant l’invitation de cet inconnu, la jeune femme ne soupçonnait pas le danger qui la guettait.

Stratagème

Un premier message en privé pour faire connaissance, puis un autre pour tisser en fil d'or des compliments sur la beauté et la grâce de la "bien aimée" toute trouvée, puis un autre pour demander de ses nouvelles. Suivent de longues conversations de beau parleur, attentionné et toujours là pour écouter et se confier. « Au bout de deux semaines, j’étais déjà séduite et je ne pouvais plus résister à l'envie de le voir enfin, pour de vrai. C’était carrément moi qui ai demandé à le rencontrer alors que ça ne me ressemblait pas. J’étais prise au piège », ajoute la jeune femme.

Ils se rencontrent un bel après-midi dans un café. Le courant passe rapidement et n’arrivant pas à se séparer aussitôt, son galant charmeur l’invite au diner dans un restaurant très chic. « J’étais vraiment sous le charme, impressionnée par ses manières de gentleman et l’aisance avec laquelle il mène la danse. Je n’en revenais pas, mais je suis tombée raide amoureuse en quelques heures », confie Karima qui est toujours impressionnée par la manière dont il s’est pris pour la faire tomber dans ses filets.

Prise dans les filets

Alors qu’elle croyait que le coup de foudre était réciproque et que le bonheur lui avait enfin ouvert grand sa porte, son prince charmant disparaît subitement. «Silence radio ! Il est devenu injoignable, introuvable: Ni sur messenger, ni whatsapp ni même sur instagram... Je multipliais les messages et les appels, mais toujours rien ! », se souvient Karima qui ne savait pas encore que c’était là la pièce maitresse du plan de son arnaqueur d’amoureux.

«Après une semaine d’absence, il me contacte un lundi matin en détresse. Son entreprise risque de s’effondrer à cause des agissements illégaux de son traitre de comptable. Il doit verser au moins 200.000 DH à la banque avant mercredi. Sinon c’est la faillite », raconte, avec un sourire mêlé de tristesse la jeune femme. Croyant en son mensonge et aveuglée par ses sentiments, elle lui propose son aide immédiatement. « Je lui ai dit que j’ai 100.000 DH d’épargne que je peux lui prêter en attendant que la situation se redresse. Faisant mine d'être gêné, il m’a toutefois demandé de me voir dans l’heure qui suit en se confondant de remerciements et de mots d'amours», ajoute Karima qui n’arrive toujours pas à comprendre comment elle a pu être si naïve.

«J’étais comme hypnotisée. Mais je me suis réveillée trop tard lorsque mon prétendu amoureux a disparu après avoir empoché mon argent. Il m’a bloqué partout. Sa pseudo entreprise n’existe même pas. Je ne savais rien sur lui à part ce qu’il laissait apparaitre sur les réseaux sociaux. Même son nom était faux ! », se désole la jeune victime, la mort dans l’âme. Blessée dans son amour propre et voyant l'épargne de toute une vie s'évaporer en quelques secondes d'aveuglement amoureux, elle s’est adressée à l’association Tahadi pour avoir du soutien.

Amour virtuel

Le "crime" de Karima ? « Trop croire en l’amour et surtout se fier aux apparences souvent trompeuses affichées sur les réseaux sociaux. Les arnaqueurs en font d’ailleurs un fond de commerce pour allécher les jeunes filles en mal d’amour et en quête du prince charmant qu’elles n’arrivent souvent pas à trouver dans la vie réelle. L’amour virtuel devient alors une alternative », nous explique Mehdi Boussaid, chercheur en sociologie qui affirme avoir eu connaissance de cas de jeunes femmes arnaquées au nom de l’amour.

Le chercheur décrit les prédateurs de ces jeunes victimes comme des voleurs malicieux, des imposteurs habiles, de véritables séducteurs manipulateurs qui savent jouer sur la corde sensible chez leurs proies. « Ils choisissent minutieusement leurs victimes. Ils adoptent souvent un même modus operandi basé essentiellement sur l’espérance et l’espoir que nourrissent leurs cibles de trouver l’âme sœur et de fonder un heureux foyer. Ils prétendent être riches et vivant dans l’aisance pour conforter leurs victimes dans ce sentiment de sécurité et pour stimuler leurs désirs du luxe », décrit Boussaid.

Ayant eux aussi le sens de la précision dans le profilage, d’autres arnaqueurs jouent sur la corde sensible de la pitié chez leurs victimes. « Quelques semaines seulement après notre rencontre, il a demandé ma main à mes parents. Ces derniers ont accepté vu qu’il a affirmé travailler dans une entreprise et qu’il touche un salaire de 7000 DH et qu’il loue déjà un appartement dans un quartier convenable. J’étais aux anges car j’avais déjà des sentiments pour lui. Pour moi, il était parfait », raconte Meriem S., fonctionnaire.

Quelques sorties plus tard, le jeune homme brillant a commencé à se faire distant. Ne répondant aux messages de sa jeune fiancée que tardivement, il a changé complètement. «Quand je lui ai demandé la cause du changement de son attitude, il m’a expliqué que sa mère, trop malade, à cause d’un cancer, a besoin d’un traitement si cher qu’il ne pouvait même pas lui en acheter la moitié, surtout après ses dépenses pour nos fiançailles. Il montrait qu’il broyait du noir, qu’il sombrait dans la déprime», se souvient Meriem. Attendrie par le malheur de son fiancé, la jeune femme lui propose son aide financière. Refusant au début, il finit par accepter.

Le poids de la honte

«Ce n’était qu’un stratagème et je suis tombée dans le panneau comme une grande naïve. Commence alors une longue série de virements bancaires des fois pour les séances chimiothérapie, d’autres fois pour les séjours en clinique ou encore pour les médicaments. Lorsque je me suis enfin réveillée, il était déjà trop tard », regrette la jeune femme. Le fiancé a disparu lorsque sa dulcinée a découvert que la mère censée être alitée se portait très bien et qu’elle n’a jamais eu de cancer. «J’ai tenté de porter plainte pour arnaque et je me suis adressée à une association de protection des droits des femmes. Mais j’en veux surtout à moi-même et à ma crédulité. Personne ne m’a obligée de lui donner cet argent », conclut la victime.

Tout comme Meriem, n’en voulant qu’à elles-mêmes, d’autres victimes préfèrent garder le silence sur leurs histoires d’arnaque amoureuse. «La peur de la stigmatisation et du regard de l’autre réduit les victimes au silence. elles se sentent profondément humiliées, blessées dans leur dignité et ont peur d’être traitées de filles faciles, crédules voire stupides», nous explique le chercheur en sociologie. Profitant de cette peur de la «honte» qui accable et paralyse leurs victimes, les imposteurs de l’amour virtuel et les auteurs des arnaques sentimentales peuvent toujours sévir.

«Alors prudence et gardez les pieds sur terre ! C’est la seule manière de prévenir le mal», conseille le sociologue. Ce même conseil ressort de "The Tinder swindler".