Chkili : « Les différences de salaires entre les hommes et les femmes restent importantes »
Kenza Chkili, manager au sein du cabinet CSA.

Place de leadership féminin dans les entreprises au Maroc,  freins à l’égalité hommes-femmes,…. Explications de Kenza Chkili, manager au sein d’un cabinet de conseil en management des organisations et en transformation digitale, sur la base des résultats d’une récente étude.



L’Observateur du Maroc et d’Afrique : Vous avez réalisé une étude sur la place du Leadership féminin dans les entreprises au Maroc. Quels constats phares ?

Kenza Chkili : Le cabinet Corporate Services Advisory (CSA) a mené une enquête du 9 au 24 Février 2022 auprès d’un échantillon de 208 cadres travaillant dans des entreprises de toutes tailles (TPE, PME et Grandes Entreprises) au Maroc, dont 107 femmes et 101 hommes. Les résultats démontrent que la place du leadership féminin dans les entreprises au Maroc est un enjeu important. En chiffres, 87% des recensés pensent qu’il est nécessaire de repenser la place de la femme dans les entreprises au Maroc. Pour 72,6% des répondants, le fait que la majorité des entreprises soient dirigées par des hommes souligne un problème d’égalité hommes / femmes. Bien qu’il n’y ait aucune différence en matière de performance entre hommes et femmes dans les entreprises à poste égal et expérience égale, les différences de salaires restent tout de même importantes (73%). Ces écarts de salaires sont constatés à la fois dans les entreprises marocaines et dans les multinationales.

Les entreprises ont beaucoup évolué ces dernières années notamment avec l’arrivée des générations Y et Z en tant que collaborateurs voire managers. Les attentes vis-à-vis du top management ont changé. Aujourd’hui autant les femmes que les hommes attendent de leurs managers des qualités telles que le Leadership (92,8%), une intelligence émotionnelle forte (72,7%) ou une forte capacité à travailler en équipe (63,5%). Ces attentes sont les mêmes que ce soit pour les femmes ou pour les hommes. Bien que la possibilité de trouver un travail et la sécurité de l’emploi sont les mêmes pour les femmes et les hommes, il y a encore des sujets sur lesquels les femmes se retrouvent lésés par rapport aux hommes. Celles-ci sont plus sujettes à des comportements sexistes (71% de risque) ou à du harcèlement moral (72%). Aussi, 68% estiment qu’au niveau de l’évolution de carrière, les femmes rencontrent plus de difficultés quant à l’accès à des fonctions stratégiques ou de Direction Générale (69%).

Où se positionne aujourd’hui les entreprises au Maroc en termes d’égalité hommes / femmes et quelle place du leadership féminin ?

Aujourd’hui les entreprises commencent à mettre en place des actions liées à la diversité et à l’égalité hommes / femmes. En effet, 66% déclarent que des actions spécifiques ont été mises en place afin de favoriser l’accès des femmes dans des postes de Direction. Aussi, pour 62% des répondants, le nombre de femmes managers dans les entreprises est en nette progression. Les avantages d’une telle mixité selon l’enquête sont : plus de créativité et d’innovation, un effet d’entrainement positif sur l’égalité hommes / femmes et une plus grande attention portée au bien-être et à la qualité de vie au travail. La place de la femme est de plus en plus importante dans les entreprises et celle-ci est liée à leur performance et à leurs compétences. 70% estiment qu’une femme n’est pas un choix de façade pour améliorer l’image / la réputation de l’entreprise. 80% soulignent que la femme a été choisie avant tout pour ses compétences et non pour une question de quota.

Aussi, les femmes dans les entreprises marocaines sont ambitieuses. Sur l’ensemble des cadres ayant répondu, 41% sont déjà membres de l’équipe de direction, 40% souhaitent le devenir. Les 20% restants, ne souhaitent pas devenir membre de l’équipe de Direction. Bien que des efforts soient constatés dans les entreprises, 63% des sondés notent que les femmes ont dû surmonter plus d’obstacles que leurs pairs masculins pour arriver à leur poste.

Quels obstacles freinent toujours l’accès des femmes à des postes de direction au sein des entreprises au Maroc ?

Il y a plusieurs éléments à souligner dans ce sens. La première raison selon les répondants est le manque d’équilibre entre la vie personnelle et la vie professionnelle (61,1%). Ceci est partagé à la fois par les femmes et par les hommes. D’autres raisons sont évoquées. La crainte d’être choisie pour une question de quota apparait également comme un frein. Selon les femmes, les autres freins se situent plutôt du côté d’une incompatibilité avec les valeurs portées par les personnes occupant cette place dans les entreprises ou encore d’un besoin d’évoluer / d’apprendre avant d’accéder à ce type de postes.

Existe-t-il toujours des stéréotypes et facteurs psychologiques et culturels qui freinent l’émancipation professionnelle des femmes ?

Oui, il existe toujours des stéréotypes et des facteurs psychologiques et culturels qui constituent de réels freins. Pour la question de l’’équilibre entre vie personnelle et vie professionnelle, aujourd’hui, culturellement, on estime que ce sont les femmes qui s’occupent le plus (voire totalement) des enfants, de la maison, de la vie de famille, etc. Que ce soit une réalité ou un stéréotype, c’est un frein qui existe bel et bien dans l’évolution de carrière des femmes. Le fait de tomber enceinte ou de prendre un congé maternité sont souvent considérés comme une pause dans la carrière d’une femme. Bien que les femmes ne soient pas moins performantes ni moins engagées, c’est un stéréotype qui malheureusement freine encore trop souvent l’émancipation professionnelle des femmes. Aussi, la loi du travail n’est pas du côté de cette émancipation puisque les hommes n’ont actuellement que 3 jours de congés pour la naissance d’un enfant contre 28 jours en France, 16 semaines en Espagne et de 12 à 78 semaines dans les pays nordiques. D’autres pays comme l’Angleterre permettent à la mère de transférer des jours de congés au père après la naissance d’un enfant.

Très peu d’entreprises ont mis en place un règlement intérieur qui permet plus d’engagement des hommes dans leur vie de famille, ce qui pourrait permettre aux femmes de réduire le gap avec leurs collègues et accéder plus rapidement à des postes de responsabilité. Les différences de salaires sont également une conséquence de ces facteurs culturels. Les femmes finissent, par leur compétence, par accéder à ces niveaux de postes et à des niveaux de salaires élevés mais bien plus tard que les hommes.

Quelles recommandations à mettre en place pour renforcer la place du leadership féminin dans les entreprises?

Seulement 32,7% des sondés déclarent que des actions ont été mises en place dans les entreprises pour renforcer la place du leadership féminin en interne, ce qui montre que l’enjeu est encore important. Parmi les recommandations et les actions à mettre en place pour renforcer la place du leadership féminin dans les entreprises nous pourrions citer en premier lieu la promotion de la diversité. Les entreprises doivent pousser les équipes vers la mixité et l’égalité hommes / femmes que ce soit en termes de recrutement ou d’évolution de carrière. La diversité pourrait devenir un objectif assigné aux managers. Afin d’atteindre cette égalité hommes / femmes et de faire de la diversité une valeur de l’entreprise, de nombreuses actions peuvent être mises en place.

La première serait la mise en place d’une politique interne de soutien à la parentalité afin de réduire les inégalités de genre dans la charge familiale : rallongement des congés paternité, mise en place de contrats de travail avec une durée plus courte (contrat au 4/5ème par exemple), des congés en cas de maladie des enfants en dehors des congés payés, voire plus de flexibilité horaires, etc.

Aussi, les entreprises pourraient mettre en place des indicateurs de suivi des promotions internes des hommes et des femmes. De plus, la transparence de la grille salariale permettrait de doper la motivation des femmes et de les rassurer quant à l’égalité avec leurs pairs masculins.

Le top management ou les Direction des Ressources Humaines pourraient mettre en place également des programmes de détection des hauts potentiels féminins.

Une autre recommandation serait d’avoir en interne des réseaux féminins (avec des conférences ou des ateliers) voire des programmes de coaching pour promouvoir et mettre en place la diversité dans les entreprises.

Evidemment, nous ne devons pas nous arrêter à des actions mises en place par les entreprises. La diversité et la mixité doivent être portées et supportées par des dispositions réglementaires au niveau de code du travail non seulement pour participer à l’émancipation professionnelle des femmes mais également pour une meilleure performance économique, pour combatte les stéréotypes et faire évoluer les mentalités.