Location. Les célibataires toujours discriminés
Refuser de louer à un célibataire à cause de sa situation familiale est un crime de discrimination

Célibataires et divorcés sont nombreux à se voir refuser la possibilité de louer des appartements à cause de leur situation familiale. Les femmes le sont encore plus. Qu’en dit la loi ? Les propriétaires ont-ils le droit de les éconduire ? Eléments de réponses avec un avocat.  



« Je venais d’arriver à Casablanca pour poursuivre mes études à l’Ecole d’Etat des Infirmiers. Avec un ami, également originaire de Meknès, nous avons décidé de co-louer. Nous avons eu le coup de foudre pour un appartement sympathique à Hay Mohammadi ; sauf que le propriétaire, après avoir appris que nous étions célibataires, nous a rapidement signifié que nous n'étions pas les bienvenus. Il est devenu limite agressif lorsque nous avons tenté de le convaincre. Cette histoire s’est répétée plusieurs fois avant que l’on arrive enfin à dénicher un studio à Beauséjour, dont le propriétaire n’était pas très regardant sur nos situations familiales» raconte Khalid. N. Ce dernier se souvient encore des regards méfiants et des allusions indélicates quant à la débauche des jeunes célibataires.

Si Khalid se rappelle de ses mésaventures, avec un certain amusement, Meriem KI, elle, n’arrive toujours pas à comprendre ces préjugés. « Avec mon fiancé, nous cherchions un appartement afin de le meubler avant de convoler en justes noces. C’était d’ailleurs la condition principale de ma famille : Un foyer prêt à nous accueillir en tant que couple. Sauf qu’à chaque fois que l’on tombait sur un appartement intéressant, on nous posait la question : Vous avez un acte de mariage ? » raconte, amère, la jeune femme. Lorsque le jeune couple expliquait être sur le point de se marier et avoir besoin de préparer son nid en avance la réponse fusait, sarcastique « Revenez nous voir quand vous le serez vraiment ! ».

Problème de mentalité

« Le fait de nous présenter en couple rendait les choses encore plus difficiles et délicates. Dans le regard et les mots des propriétaires, on percevait de franches accusations d’adultère. Nous avons fini, sur la proposition d’un propriétaire, par accepter de signer un engagement légalisé suivant lequel nous lui remettrions une copie de notre acte de mariage une fois ce dernier finalisé » ajoute, accablée, Meriem. Cette dernière nous apprend que le propriétaire était formel là-dessus : Si ce mariage n’était pas conclu, le contrat de location serait automatiquement résilié. « Heureusement que l'on s’est finalement mariés ».

Etre obligé(es) de prouver sa bonne foi, sa bonne moralité et être en permanence accusé(es) d’être une potentielle source de problèmes... beaucoup de célibataires vivent cette situation. Si les hommes ne sont pas épargnés, les femmes, elles, souffrent doublement dans une société qui peine à se défaire de son patriarcat et de ses préjugés. « Lorsque j’ai divorcé, j’ai décidé de racheter la part de mon ex mari dans notre appartement. Vous ne pouvez pas imaginer comment l’attitude de mes voisins a changé envers moi. Pendant deux ans, j’étais surveillée, contrôlée en permanence, voire persécutée. Ils auraient préféré que je parte et le faisaient savoir sans ménagement, alors que j’étais dans ma propriété », s’insurge Nadia M, employée et mère d’un adolescent de 14 ans.

Crime de discrimination

« Une stigmatisation et une forme de discrimination que la loi marocaine pénalise. Beaucoup de Marocains l’ignorent encore, mais la loi les protège de ces agissements » nous apprend Maître Mohamed Chmaou, avocat au barreau de Rabat et Vice-président de l’Association Adala pour le droit à un procès équitable. « Selon l’article 431 – 1 du code pénal, « Constitue une discrimination toute distinction opérée entre les personnes physiques à raison de l'origine nationale ou sociale, de la couleur, du sexe, de la situation de famille, de l'état de santé, du handicap, de l'opinion politique, de l'appartenance syndicale, de l'appartenance ou de la non appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée », énumère l’avocat.

Soulignant en gras la distinction à raison de la situation familiale, maître Chmaou, nous affirme que tout propriétaire refusant de louer à un célibataire, homme ou femme, à cause de son célibat ou de son statut de divorcé, commet une infraction. « L’article 431-2 stipule que la discrimination consiste à refuser de fournir un bien ou un service, à entraver l'exercice normal d'une activité économique quelconque, à refuser d'embaucher, à sanctionner ou à licencier une personne, à subordonner la fourniture d'un bien ou d'un service ou l'offre d'un emploi à une condition fondée sur l'un des éléments visés par l'article 431-1 », nous explique-t-il.

Portez plainte !

Ce dernier insiste d’ailleurs sur le caractère commercial de l’acte de louer une maison ou un bien. « Ce qui soumet ce type de transactions à cette loi. Et le propriétaire se doit de respecter ses termes sous peine d’être poursuivi en justice pour discrimination » ajoute l’avocat. Des poursuites judiciaires qui peuvent être déclenchées par une plainte déposée auprès du Parquet Général par l'individu éconduit, comme le soutient l’homme de loi. Toujours selon l’article 431-2, la discrimination définie par l'article 431-1, est punie de l'emprisonnement d'un mois à deux ans et d'une amende de mille deux cent à cinquante mille dirhams.

De lourdes peines qui pèsent sur les propriétaires récalcitrants. « Il suffit juste d’activer la loi et de la mettre en application en déposant des plaintes en cas de préjudices puis de laisser la justice suivre son cours » ajoute l’avocat. Mais qu’en est-il de la liberté de contracter ? Et quelles sont ses limites dans ce cas de figure ? Sans hésitation maître Chmaou nous explique que l’article 431-1 du code pénal prime, dans ce cas, sur la liberté de contracter garantie par le code de procédure civile. « Si vous refusez de louer à une personne solvable, capable de payer son loyer et présentant tous les critères requis, à cause de son statut civil, vous commettez un crime puni par le code pénal et nullement couvert par la liberté de contracter ! » tranche l’avocat. « La loi est bien là ! Il suffit de s'en servir ! C’est la seule manière de protéger son droit ! » conclut-il. A bon entendeur !