Université : Réforme et faux débats

Changer la durée des études pour l’obtention de la licence, c’est le bout par lequel les réformateurs de l’enseignement ont jugé bon d’entamer la réflexion pour la réforme de l’enseignement universitaire. Une licence en 4 ans au lieu de 3 actuellement ? La question est posée et la réponse attendra. Mais est-ce là une solution à l’immense problème des diplômés « ignorants » dont pâtit le développement du pays ?

Même une licence en dix ans ne changera rien au fond du problème. Et le fond du problème, ceux qui l’abordent sont loin des feux des projecteurs. Des membres de notre équipe de rédaction ont fait parler quelques- uns(es) parmi eux (elles) à Casablanca, à Rabat, à Tanger, à Meknès, à Laâyoune et dans des provinces de Khouribga et de Khémisset.

D’autres, des Monsieur et Madame tout le monde, ont rappelé, chacun à sa façon, mais en termes bien posés, aux responsables concernés leurs responsabilités à travers les différents médias de notre Groupe (Medradio, lobservateur.info, Al Ahdath Al Maghribya, ahdath.info et Kifache.com). Nous reprenons ici les avis de ces représentants d’une partie du peuple que la plupart des officiels ne prennent le temps ni de consulter, ni même d’écouter.

Pour Amina Rouibi, 25 ans, qui travaille dans un Centre d’appel à Rabat, la vraie question concerne l’incapacité de l’École marocaine à être le levier du changement du pays. Pour Saïd Amraoui, ancien étudiant en sociologie, qui est en voie de reconversion en journalisme, l’École est « l’usine » qui fabrique le citoyen et la citoyenne et c’est donc dans cette institution que le projet de société du pays doit être bien assimilé. « C’est pour cela que la vraie réforme de l’enseignement doit avoir pour base le projet de société du pays qui doit lui-même montrer clairement, par exemple, si on veut inscrire l’évolution de la société dans la continuité ou on veut plutôt marquer de véritables ruptures pour avancer plus vite vers la modernité ».

Nombreux sont les jeunes et moins jeunes, parmi ceux que nous avons rencontrés directement ou qui se sont exprimés via les réseaux sociaux, qui ont insisté sur ce lien ombilical entre l’enseignement et le projet de société. Mais en parlant de projet de société, nos interlocuteurs restent dans le concret. « On ne peut pas continuer d’admettre que des Marocains ayant passé plus de 15 ans de leur vie à étudier ne traversent pas convenablement la rue ». Ce petit exemple donné par la jeune institutrice meknassie, Yasmine C., illustre les petites ruptures qui peuvent être initiées à et par l’Ecole. Il doit en aller de même pour l’une des grandes ruptures à laquelle appelle le jeune ancien MRE, Nawfal Akrim qui fait ses premières armes dans le commerce : « En finir avec les méthodes dépassées de transmission du savoir par l’apprentissage par cœur et les remplacer par des méthodes basées sur l’esprit critique qui favorise la liberté d’expression, de pensée et d’action ».

Ruptures

En axant le débat sur les solutions possibles pour que l’école marocaine joue pleinement son rôle dans la société, le besoin de rompre avec les méthodes d’enseignement actuelles, à tous les niveaux, est exprimé avec insistance. Certaines voix, notamment à Khemisset où nous avons rencontré un groupe de jeunes qui étaient réunis dans un café, surprennent par la clarté des idées émises.

Les uns ont affirmé qu’un grand nombre de jeunes étudiants marocains s’est mis, depuis longtemps déjà, à l’Anglais, voire au Coréen, à titre individuel et en dehors de toute structure scolaire ou institutionnelle.« Face à cette émigration linguistique qui échappe à l’Etat, on ne peut que se tordre de rire quand on entend les uns et les autres polémiquer sur la darija», ironise l’un des intervenants qui est lui-même un mordu de K-Pop (le pop coréen qui est un «phénomène» mondial).

Le plus âgé du groupe, qui se présente comme étant détenteur d’un doctorat en « Système D » que délivre « l’École de la vie », souligne que les langues servent juste à communiquer. Pour lui, faire un problème de l’utilisation de la darija à l’école, c’est déjà un problème. « Et si demain on était capable de créer un algorithme en darija qui serait capable de détrôner celui qu’utilise Google, ou de créer un satellite dont les signaux sont cryptés en tifinagh, pourquoi s’en priver ? Mais si on est même incapable de trouver le moyen de percer un bout de fer pour en faire une aiguille aussi bien avec ce qu’on nous dit à l’École en darija, en Arabe, en Tamazighit, et même dans le Français et l’Anglais qu’on nous enseigne, on doit trouver autre chose ».

« C’est par le savoir appliqué dans la vie de tous les jours que la Corée, le Japon, la Chine et d’autres pays, sont ce qu’il sont aujourd’hui », rappelle Oumaima Asmari. Rencontrée alors qu’elle venait compléter son dossier pour sa réinscription à des cours d’Anglais à Rabat, cette jeune étudiante ajoute que c’est intolérable que le Maroc continue à importer des seaux de Turquie, des brosses à cheveux de Chine, des serpillières d’Allemagne, des détergents de France. Avec colère, elle crie : « Mais à quoi servent les universités et les centres de formation dans ce pays, si nous sommes incapables de fabriquer des produits aussi basiques qui épuisent les réserves du pays en devises ? »

Ainsi décrié, le décalage de l’École par rapport aux besoins réels du pays fait perdre beaucoup de ressources à l’Etat et beaucoup de temps aux étudiants. C’est ce qui ressort de l’avis de Saïd M., 23 ans, rencontré devant une agence de l’Anapec à Casablanca où il venait de déposer son dossier dans l’espoir de trouver un emploi de chauffeur de poids lourds. Il reproche à l’école marocaine, qu’il a quittée après un diplôme d’études universitaires générales (DEUG) en économie, de lui avoir fait perdre de nombreuses et précieuses années, sans lui avoir ouvert les yeux sur le monde du travail ni sur «la vie réelle». A sa sortie de la Faculté, il a dû demander à ses parents de lui financer un permis de conducteur professionnel pour avoir une qualification élémentaire à faire valoir. Pour lui, comme pour de nombreux autres jeunes, la question centrale qui doit être posée est la suivante: « A quoi sert l’École au Maroc ? ».

En réponse, certains avancent, sans hésiter, que l’enseignement au Maroc sert surtout à la lutte contre l’analphabétisme. D’autres vont même jusqu’à affirmer qu’il ne sert pas à pas grand- chose tant que le pays est ce qu’il est. « Le Maroc est mal classé au niveau du développement humain et économique, le mode de penser d’une partie des étudiants d’aujourd’hui est une reproduction de celui de leurs parents et grands-parents, le respect de la différence pose encore problème dans la société, la crise de créativité s’aggrave d’année en année dans le pays », détaillent nos interlocuteurs.

Devant cette panoplie de problèmes de fond, n’était-il pas ridicule de concentrer le débat, il y a peu, sur « baghrir », « msemen » et « briouate », et maintenant sur la durée d’études pour l’obtention de la licence.