Des ONG veulent l’interdiction définitive de la Polygamie
44% des Marocains sont favorables à la polygamie

Les associations féministes reviennent à la charge et relancent le débat sur l’interdiction totale de la polygamie.



En septembre 2021, une drôle d’affaire éclate aux environs d’Agadir. Un MRE résidant en France a été arrêté alors qu’il passait sa lune de miel avec sa jeune épouse originaire de Taliouine. Son délit ? S'être marié sans l’autorisation de son épouse demeurant en France, rapporte alors la presse nationale. Après avoir appris la nouvelle, sa première épouse est immédiatement rentrée au Maroc afin de porter plainte contre son mari. Trainé devant la justice, l’homme écopera d’une peine de trois mois de prison ferme.

« Cette affaire n'est pas un cas isolé» affirme Aicha Lhiane, Présidente de l'Union de l'Action Féministe (UAF). Selon elle « même si le législateur a interdit la polygamie et limité son autorisation par des conditions draconiennes, le phénomène continue de sévir et on enregistre régulièrement de nouveaux cas de figure ». Pour rappel, après la refonte du code de la famille en 2004, la polygamie n’était pas vraiment interdite mais la procédure d’autorisation a été liée à des conditions assez limitantes.

« La Moudawana a essayé de mettre de l’ordre et de limiter le phénomène en imposant des conditions draconiennes, mais les hommes désireux de se remarier trouvent toujours des moyens de déjouer l’interdiction » explique Maître Zahia Âamoumou. Cette dernière affirme d’ailleurs que ces « détours » sont possibles en raison des lacunes légales. Ainsi si les articles 40 à 46 de la Moudawana interdisent la polygamie lorsque la condition première de l’équité et de l’impartialité par rapport aux deux épouses n’est pas respectée, une dérogation est toutefois possible si le mari arrive à prouver la maladie de la première épouse et son incapacité à satisfaire ses besoins. « En plus du dossier médical de la première épouse, le postulant doit prouver qu’il est capable de subvenir aux besoins des deux foyers. Dans le cas du refus de la première femme d’accorder son autorisation, cette procédure peut durer et aboutir au divorce, même si elle ne le souhaite pas et c’est injuste » ajoute l’avocate.

Loi décalée

Une loi décalée que les activistes féministes dénoncent et condamnent. « De nombreuses dispositions de ce texte n’ont fait qu’aggraver la situation sociale de la femme marocaine et pérenniser les injustices sociales et familiales » fustige de son coté l’Association Démocratique des Femmes du Maroc (ADFM), à l’occasion du 17ème anniversaire de la réforme du code de la famille. Une situation qui a poussé l’association à réclamer « L’harmonisation en urgence des lois et des politiques publiques avec l’esprit de la Constitution de 2011 et des obligations internationales ». « Le code de la famille nécessite une refonte globale de manière à combler les lacunes, remédier aux défaillances et aux contradictions de certaines dispositions», ajoute-t-on auprès de la même source.

Analysant les raisons de la résistance du phénomène malgré son interdiction, l’association pointe du doigt l’article 16 de la Moudawana. « Ce fléau a été encouragé, jusqu’en 2019 par l’article 16 du Code de la famille relatif à la régularisation des mariages coutumiers. Ce dernier a largement contribué à l’augmentation des mariages des mineures et de la polygamie » note l’ADFM. D’après elle, il suffisait d’organiser un mariage par «Fatiha» pour enclencher le processus de reconnaissance de cette union. Une mesure qui devait initialement durer 5 ans mais qui a été prolongée de 10 ans ; permettant à des milliers d’hommes d’éviter de recourir au tribunal pour convoler à nouveau en justes noces ou pour contracter un mariage avec une mineure» dénonce-t-on auprès de l’association.

Au pied du mur

Mais ce n’est pas le seul subterfuge utilisable par les hommes désireux de se remarier. Ne manquant pas d’inspiration, certains changent de ville pour détourner la loi. D’autres choisissent « la manière forte » pour mettre la pression sur leurs premières épouses et sur le juge. « Ils font en sorte que leurs partenaires tombent enceintes et accouchent pour obliger le juge à recourir à l’article 16 et reconnaître le mariage. Cet article prévoit que « Lorsque des raisons impérieuses auraient empêché l’établissement du document de l’acte de mariage en temps opportun, le tribunal admet et accepte, lors d’une action en reconnaissance de mariage, tous les moyens de preuve ainsi que le recours à l’expertise » indique Mohamed Bennour, juriste. « Une manière de mettre la première épouse au pied du mur et de la pousser à accepter ce mariage sinon à demander le divorce », ajoute-t-il en notant le caractère injuste de cette procédure. « C’est une grave atteinte à la dignité de la femme et à ses droits » fustige le juriste.

Même constat du côté de Aicha Lhiane, Présidente de l'UAF (Union de l'Action Féministe (UAF) qui estime qu’il est temps de changer la loi. « Une refonte du code de la famille s’impose actuellement pour l’harmoniser avec les conventions internationales des droits de l’Homme et ceux des femmes que le Maroc a déjà ratifié. C’est inacceptable que la Moudawana ne respecte pas le principe de l’égalité des sexes prôné par ces traités internationaux et par la Constitution de 2011 et qu'elle continue de la sorte à porter atteinte à la dignité de la femme» ajoute l’activiste.

Officiellement, d’après le Ministère de la justice, la polygamie serait en baisse par rapport à l’avant Moudawana de 2004. Cependant, ils sont presque un millier de Marocains à devenir polygames. Ainsi selon les statistiques du Ministère, 952 mariages (polygames) ont été contractés en 2015 sur 301.746 mariages contre 868 en 2014 sur 312.495. D'après une enquête sociale réalisée en 2007, 44% des Marocains sont pour la polygamie. Un avis qui n’est nullement partagé par les associations féministes réclamant une interdiction catégorique et définitive. Et ceci sans dérogation, ni exception possible. « L’objectif étant de protéger les droits des femmes et de leurs enfants tout en préservant leur dignité et leur humanité » conclut maître Âamoumou.