Travailleurs domestiques : Le chemin est encore long
Seuls 6% des travailleurs domestiques jouissent d'une couverture sociale complète

Plus de 90% des travailleurs domestiques dans le monde ne disposent pas d’une couverture sociale complète. C’est ce que vient de révéler un accablant rapport de l’Organisation internationale du travail. Au Maroc, au bout de 4 ans d’application de la loi 19-12, cette catégorie ne jouit toujours pas de tous ses droits…

Le dernier Rapport de l’OIT est loin d’être satisfaisant : Seuls 6% des travailleurs domestiques disposent d’une couverture sociale complète et plus de 94% des travailleurs domestiques n’ont pas accès à l’éventail complet des protections. Soins médicaux, congé maladie, chômage, vieillesse, accidents du travail, famille, maternité, invalidité... sont autant de protections dont sont privés ces travailleurs souvent victimes d’injustice sociale. Une situation alarmante selon l’organisation mondiale qui a d’ailleurs publié ce rapport dans l’objectif de sensibiliser les travailleurs et leurs employeurs sur les droits et obligations d’une couverture sociale complète.

Lacunes et disparités

Révélatrice, la pandémie de Covid-19 aurait rendu flagrantes les lacunes de la couverture sociale de cette population, affirme ce rapport. « Ces travailleurs domestiques ont rarement pu compter sur une protection sanitaire adéquate, ni sur des indemnités de maladie ou de chômage, aggravant davantage leur vulnérabilité », martèle l’OIT.

Phénomène assez général, l’absence de protection sociale pour les travailleurs domestiques n’est toutefois pas de la même intensité partout dans le monde. Le rapport note en effet d’importantes disparités régionales. Ainsi en Europe et en Asie centrale, plus de 57% de ces travailleurs sont légalement couverts par l’ensemble des prestations tandis qu’aucun travailleur domestique n’est entièrement couvert dans les États arabes, l’Asie et l’Afrique. Une situation contradictoire vu que ces régions comptent justement le plus grand nombre de ces travailleurs. Rappelons qu’ils sont au nombre de 75 millions dans le monde. Les trois quarts sont des femmes.

Au Maroc

Au Maroc, cette catégorie n’est pas mieux lotie. Quatre ans après l’entrée en vigueur de la loi 19-12 relative aux travailleurs domestiques, le grand changement reste encore loin. D’après les derniers chiffres révélés par une étude élaborée par la Confédération démocratique marocaine du travail (CDT), le nombre des travailleurs domestiques déclarés à la Caisse marocaine de sécurité sociale ne dépasse pas 4500 personnes, soit 0,45% de cette catégorie comptant plus d'un million de personnes, âgées entre 30 et 50 ans et composés essentiellement de femmes (90%).

« Ces chiffres ne m’étonnent pas ! Je suis l’une des rares travailleuses à connaitre la loi 19-12 et les droits qu’elle me garantit et pourtant je n’en jouit nullement. Pire, je ne peux même pas réclamer un contrat de travail à mes employeurs et encore moins de me déclarer à la CNSS », nous explique Amina Zalagh, travailleuse domestique qui œuvre depuis un moment pour créer une association afin de défendre les droits de ses semblables. « La plupart de ces femmes travaillent pour subvenir aux besoins de leurs familles. Nous avons peur de perdre nos emplois si on ose demander à nos employeurs de respecter la loi et de nous déclarer à la CNSS. On préfère donc se taire pour préserver notre gagne pain », ajoute, résignée Zalagh.

Dure réalité

Une dure réalité qui tranche avec les grandes ambitions de la loi 19-12 entrée en vigueur en 2018 après dix ans de gestation. « Nous recevons régulièrement des cas de travailleuses dont les salaires sont bloqués et les droits bafoués par les employeurs. Elles sont tiraillées entre l’envie de porter plainte afin de récupérer leur argent et la peur des représailles de leur ex- patrons qui peuvent les accuser de vol et autre », nous explique Bouchra Abdou, directrice de l’Association Tahadi pour l’égalité et la Citoyenneté (ATEC).

Exploitation, maltraitance, violence... le quotidien des travailleuses domestiques est ponctué d’abus qui peuvent atteindre parfois des niveaux inimaginables surtout lorsqu’il s’agit de « petites bonnes », comme nous l’assure l’activiste. « Nous avons eu certains cas de fillettes que les employeurs prêtent à leurs familles le temps d’un week end, pour faire le ménage et autre corvées. Du pur esclavagisme alors que la loi interdit désormais l’emploi des enfants », s’insurge la directrice de Tahadi.

« La loi 19-12 incrimine en effet l’exploitation des travailleurs domestiques et surtout celle des enfants qui en dessous de 15 ans ne doivent pas être employés sauf pour des exceptions avec des conditions très restrictives. Si certaines résistances persistent, nous avons cependant enregistré d’importantes avancées. Selon un rapport du HCP, nous sommes passés au Maroc de plus de 570.000 enfants travailleurs en 1999 à moins de 43.000 enfants en 2018 », avance Salima Aadmi, responsable de la Direction du travail au ministère de l’emploi et de l’insertion professionnelle.

Un saut catégorique selon la responsable qui reconnait que le chemin du changement est encore long à cause des mentalités récalcitrantes. « La loi 19-12 a pris dix ans pour être adoptée et mise en application, c’est dire les résistances qu’elle provoque. Au-delà de sa portée juridique, l’organisation du travail domestique est une problématique liée profondément au changement des mentalités. En plus de la loi, un travail de sensibilisation auprès des employés et des employeurs est nécessaire pour insuffler le changement », ajoute la responsable.

Chiffres décevants

En attendant, le Maroc devrait rattraper son retard en matière d’application de la loi et surtout de contrôle. Selon le témoignage de Amina Zalagh qui travaille depuis l’âge de 8 ans et a une carrière de 40 ans dans le domaine, le véritable problème reste le contrôle. « Je n’ai jamais assisté à un contrôle des conditions de travail ni moi ni mes nombreuses collègues et ceci même après l’entrée en vigueur de la loi 19-12. Comment voulez-vous qu’une loi soit appliquée sans contrôle ? », se demande Amina.

Pour Hassan Ait Bihi, Secrétaire générale de l’Association Niîma pour le développement œuvrant auprès de cette catégorie : L’enregistrement des contrats connait un grand retard. « Nous savons que parmi des dizaines de milliers de travailleurs domestiques, seuls 3.722 ont eu droit à un contrat de travail en bonne et due forme et 2.759 employeurs avaient respecté la loi. La Caisse nationale de sécurité sociale (CNSS) de son côté n’a enregistré que 3.253 déclarations au 2 mars 2021. Ce sont des chiffres officiels annoncés par le ministère de l’emploi et ils sont bien en dessous des grandes attentes d’une loi tellement attendue », regrette l’acteur associatif.

« Pire encore, la plupart des employeurs actuels ne sont même pas conscients qu’ils sont en infraction de la loi en employant des domestiques sans contrat ni déclaration à la CNSS », ajoute Ait Bihi. Manque de communication autour de la récente loi ou simple résistance au changement ? En tout cas les travailleurs domestiques devraient attendre encore plus pour pouvoir jouir complètement des droits que leur garantit la loi.