Le débat sur la liberté sexuelle refait surface

De plus en plus de voix s’élèvent pour réclamer la liberté sexuelle au Maroc. Elles réclament donc la dépénalisation des relations hors mariage. Un combat qui est loin d’être gagné d’avance…

Le sociologue Abdelsamad Dialmy l’a crié haut et fort pour la première fois en 2007, des années après c’est au tour de l’association Adala de renouveler la requête : dépénaliser les relations sexuelles hors mariage et réviser la loi marocaine pour offrir une plus large liberté sexuelle aux citoyens marocains. « Une liberté qu’ils vivent déjà dans la clandestinité mais qu’ils n’osent pas afficher de peur d’être taxés d’immorales », note le sociologue qui est également consultant international en santé sexuelle. Fervent défenseur des droits de l’Homme, le sociologue se réjouit de la récente sortie de l’association Adala concernant la décriminalisation de relations sexuelles pré-maritales. « Je l’ai déjà réclamé il y a des années maintenant mais j’étais une seule voix, le feed back ne pouvait pas être à la hauteur de mes aspirations», explique le chercheur qui a essayé entre temps de « militer » pour cette cause en s’affiliant à des associations et même à l’USFP. « Mais ni la société civile ni les partis politiques n’étaient prêts à assumer une telle réclamation car jugée décrédibilisante auprès des citoyens », regrette le sociologue qui revient dans cet entretien sur les motivations de cette requête et ses retombées sur la société marocaine.

Entretien

L’Observateur du Maroc. Pourquoi cette requête de liberté sexuelle et de dépénalisation des relations sexuelles hors mariage ?

Abdelsamad Dialmy. Au Maroc, les normes restrictives religieuses et légales sont restées les mêmes tandis que les pratiques sexuelles se sécularisent. Les gens font l’amour de façon libre et plus fréquemment. Du coup, il ne sert absolument à rien de maintenir les articles 489 (concernant l’homosexualité), 490 (les relations hors mariage et pré maritales) et 491 (à propos de l’adultère). J’ai demandé à ce qu’il y ait une dépénalisation totale parce que se sont des actes choisis librement entre adultes consentants. Tant qu’il n’y a pas violence ou autre violation, cet acte ne doit pas représenter de problèmes pour la société. Dans le cas d’adultère, plus de prison mais seulement du civil. Le conjoint trompé peut intenter un procès pour demander le divorce ou pour avoir un dédommagement, mais le conjoint adultère ne doit plus aller en prison. Il faut dire que cette demande vient essentiellement d’une conviction personnelle, d’une forte croyance aux droits humains. Comme je l’ai déjà expliqué, la relation sexuelle morale c’est la relation qui implique deux partenaires adultes consentants et informés. Dès que l’on adopte cette définition humaniste, il n’est plus logique de conserver les articles 489, 490 et 491.

Quelles ont été alors les réactions à vos revendications ?

Aucune réaction ! Après le premier article publié sur le quotidien Al Ahdate Al Maghribia à ce propos en 2007, j’ai récidivé dans mon livre « Sociologie de la sexualité arabe » en 2009 sans avoir de véritables feeds back. Quand un chercheur ou un penseur isolé demande une telle réforme, personne ne fait attention. Votre avis de professeur universitaire ou d’intellectuel reste une affaire personnelle et libre à vous de vous exprimer. Votre opinion devient plus importante quand elle est assumée et cadrée par une association ou par un parti politique. J’ai milité durant quatre ans à l’USFP mais ma bataille gênait. A cette époque là, j’étais en avance de mon temps et je gênais tous les partis politiques et les associations, même les plus féministes d’entre elles. Ces dernières estiment d’ailleurs que la liberté sexuelle reste un plus. Elle n’est pas donc une priorité à leurs yeux dans la bataille d’émancipation de la femme marocaine. Une position qui cache plutôt un conservatisme tenace même chez les virulentes féministes. Avec l’initiative de Adala, c’est à peine que cette nouvelle conscience des droits humains commence à prendre.

Nombreux sont ceux qui estiment que votre bataille est anti-islamique. Qu’est-ce que vous en pensez ?

Ma revendication de liberté sexuelle est apparemment anti-islamique. Dans le Coran, il y a des versets clairs et catégoriques qui condamnent le « Zina » (l’adultère), la fornication et l’homosexualité. Mais on oublie souvent de se poser une question majeure quant à cette interdiction. Pourquoi l’Islam a-t-il interdit ce genre de relations ? J’avance alors la seule explication valable : c’est pour éviter le chaos généalogique et économique, pour faire en sorte qu’il y ait une sécurité généalogique. Ça nous mène à penser que la raison de cette interdiction est fondamentalement économique et liée à l’élite qui a des gènes, mais surtout des biens à transmettre et à conserver. Les familles riches et aristocratiques représentant la classe dominante veulent préserver la pureté de leur nom, de leur lignée mais aussi de leur patrimoine matériel. Cette idéologie a été généralisée et adoptée par la suite par la classe dominée, le petit peuple, parce que cette interdiction a été enrobée par des valeurs morales comme l’honneur et la vertu. Du coup, la fornication, qui était un moyen de semer la confusion dans la généalogie et dans la transmission des biens, a été bannie à l’avantage de l’abstinence. Mais avec l’avènement des moyens contraceptifs, les rapports sont protégés et il n’est plus besoin de s’abstenir pour éviter les grossesses involontaires en dehors des relations maritales. Pourquoi prive-t-on l’être humain de son droit à une sexualité saine ? Il faut le dire, le sexe est un besoin et un droit humain.

En quoi la liberté sexuelle peut-elle être bénéfique pour l’individu et pour la société marocaine ?

Si on reconnait la liberté sexuelle dans notre pays, on va automatiquement reconnaitre au Marocain son droit à une vie sexuelle saine et épanouie et du coup lui inculquer une éducation sexuelle en bonne et due forme. Car au-delà de la liberté sexuelle en tant que concept et droit, cette question touche à la santé sexuelle des Marocains. Bien informés et sensibilisés quant aux risques de rapports sexuels non protégés et aux maladies sexuellement transmissibles, les garçons et les filles risquent moins de commettre d’erreurs fatales. Les chiffres des avortements clandestins pratiqués quotidiennement, le nombre d’enfants abandonnés et autres mères célibataires délaissées en disent long sur l’ampleur du décalage entre la vie réelle et l’image que l’on veut transmettre à propos de la « moralité » de la société marocaine. Il faut noter qu’une dépénalisation des relations sexuelles hors mariage peut influencer positivement les chiffres hallucinants des viols, des violences pédophiles et autres dépravations sexuelles tels la nécrophilie et la zoophilie. Ce n’est pas trop simpliste de le penser ! netherlands language translation