Abus sexuels : Le Médusa Trend pétrifie les conservateurs
Violée et maudite par les dieux, Médusa est la figure choisie pour représenter le fardeau du viol

En tête des tendances internationales actuelles sur les réseaux sociaux, le Médusa Trend enflamme les passions. Entre solidarité avec les victimes de viol et condamnation de cette auto-victimisation en plein public, les internautes sont départagés…



Un trend dénonciateur

Une victime de viol devrait-elle dénoncer son agresseur et réclamer justice ou au contraire se murer dans le silence et éviter le scandale ? C’est la question existentielle qui anime actuellement les réseaux sociaux en réaction au nouveau trend de Méduse. Que ça soit sur Facebook, instagram, Tik Tok, Youtube ou tweeter... L’icône représentant la figure mythologique de Méduse est partout. Partagée par des « victimes » de viol, l’image glaçante de la tête à serpents est souvent accompagnée de récits et d’histoires de filles mais aussi de garçons ayant subi des abus sexuels de la part de leurs proches et de simples inconnus.

Ca n’arrive pas qu’aux autres

Si certains livrent les détails sordides de leur viol, d’autres se contentent de la représentation de Méduse en désignant leurs violeurs : #Medusa# Mon_oncle, #Medusa#Mon-père, #Medusa#Mon-voisin, #Medusa#Mon-professeur...Un large mouvement de dénonciation qui a pris à travers le monde. Ceci en appelant les victimes à s’émanciper de leur sentiment de honte et à montrer à quel point le phénomène est répandu et très courant.

« On se croit à l’abri. Que ça n’arrive qu’aux autres. Que si une fille est violée, c’est qu’elle l’a un peu cherché en se trouvant dans des lieux douteux, en portant des tenues alléchantes, parce qu’elle est de mœurs légères... Jusqu’au jour on l’on est violé par son propre oncle alors qu’on n’a rien fait de tout ça. On garde alors le silence pour ne pas être stigmatisée à jamais », se livre l’une des victimes égyptiennes en tentant de se délivrer enfin dans un post facebook.

Pourquoi Medusa ?

Une confidence en plein public qui a demandé beaucoup de courage à cette victime et qui explique le choix de la figure de Méduse pour ce nouveau trend. En effet, dans la méthodologie grecque, Medusa était une belle mortelle qui a été transformée en monstre par la déesse Athéna après avoir été violée par le dieu de la mer, Poséidon.

Selon le mythe, le monstre hideux était à l’origine une jeune prêtresse dotée d’une magnifique chevelure. Désirée et courtisée par de nombreux prétendants, elle déclinait toutes ces avances car ayant fait vœu de servir Athéna. Cependant, Poséidon la trouva dans le temple de la déesse. Certaines versions racontent que le dieu des mers a réussi à la conquérir. Mais la version la plus courante affirme qu’il l’a violée tout simplement.

Furieuse à cause de la violation de son temple, Athéna s’en prend alors à la victime et punit Médusa en transformant ses belles tresses en serpents. Elle lui donne le pouvoir destructeur de transformer en pierre toute personne croisant sont regard. Les mythes décrivent sa transformation en monstre comme incroyablement douloureuse. Méduse fut tuée et décapitée ensuite par Persée qui a été considérablement aidé par les dieux grecs...

Méduses modernes

Des similitudes avec les victimes modernes de viol ? « Certes ! Les victimes de viol sont souvent stigmatisées. Dans certaines sociétés conservatrices, elles sont même diabolisées et pénalisées comme c’était le cas pour Méduse. On les prend pour responsables de ce qui leur est arrivé », nous explique Nadia Moatassim, psychologue clinicienne. Doubles victimes, les violé(e)s vivent un double calvaire après avoir subi des abus sexuels, comme nous l’explique la spécialiste.

« Si elles ont le courage de dénoncer leurs violeurs, les victimes doivent souvent subir le regard stigmatisant de la société, mais pire encore celui de leurs proches. Ces derniers incapables de gérer leur sentiment de honte face au scandale, ils projettent leur désarroi et leur peine sur les victimes en les condamnant », analyse la psychologue.

Une situation insurmontable qui mène parfois les familles à rejeter leurs propres filles comme c’était le cas pour Leila. B, une jeune fille âgée de 18 ans, violée par un malfrat à Fès et jetée à la rue par ses parents. Suicidaire et au bout du gouffre, elle a été sauvé in extremis par les assistantes sociales du Centre de réinsertion sociale pour femmes victimes de violences à Fès.

Empathie aux abonnés absents

Un récit triste parmi des milliers qui n’arrivent pourtant pas à stimuler l’empathie d’un grand nombre de détracteurs du Medusa Trend. « Admettons que vous avez vraiment été violées, qu’on vous a vraiment forcé, que vous êtes de véritables victimes, est-il cependant nécessaire que tout le monde apprennent que vous n’êtes plus vierge ? », s’interroge l’égyptien Abdellah Nour. Ce dernier n’hésite pas à citer le prophète Mahomet pour condamner ceux qui affichent publiquement « leurs pêchers » !!!

Sur la page algérienne « What i wrote » aux milliers d’abonnés, l’administrateur va plus loin en fustigeant : « Pourquoi bon Dieu ce trend ? Ca doit servir à quoi au juste ? Si vous êtes une victime et que vous souffrez, fallait juste aller chez un psy au lieu de crier sur tous les toits que vous êtes violée ! ». Une position partagée d’ailleurs par un grand nombre de détracteurs du trend et qui versent eux dans le sarcasme. « Maintenant chaque fille qui vient de passer un bon moment avec son amant et que ce dernier la laisse tomber, va venir s’apitoyer sur son sort en postant la figure de la pauvre Méduse en jouant aux victimes », ironise une internaute marocaine en traitant les filles ayant partagé le hashtag de « prostituées » !!!!

Déni ?

Pourquoi donc cette violence dans les réactions face à un trend qui devrait en principe susciter solidarité et empathie ? « La société déteste en général voir un mauvais reflet d’elle-même. Les réseaux sociaux sont devenus ce miroir « défigurant ». Un tel trend qui ose dévoiler des actes abominables, incestueux et autres tabous va automatiquement engendrer une levée de boucliers. On se protège tant bien que mal de l’atroce réalité en essayant de la voiler. C’est du déni tout simplement », nous explique la psychologue.

Si cette dernière reconnaît que se livrer à propos de son viol sur les réseaux sociaux et à visage découvert demande beaucoup de courage, elle n’omet pas le pouvoir libérateur d’une telle attitude pour la victime. Reste à ce que la société soit assez courageuse pour affronter sa réalité et apprendre à assumer ses propres tares.