« Les agresseurs de L’Boulevard sont des jeunes mal entourés et mal encadrés »
Dr Mohcine Benzakour, psychosociologue

Les événements violents survenus vendredi soir à L’Boulevard laissent perplexes. Agressions, vol, harcèlement sexuel voire viols présumés… Une explosion de violence « incompréhensible » au cœur d’un espace voué à la musique et à la fête. Explications et analyse avec le psychosociologue  Dr Mohcine Benzakour. 

Entretien

Dr Mohcine Benzakour, psychosociologue



L’Observateur du Maroc : A votre avis, comment s’explique l’attitude de ces jeunes ? Est-ce un acte réfléchi ou plutôt des pulsions violentes provoquées par un éventuel détonateur ?

Dr Mohcine Benzakour: Avant de répondre à cette question, il est primordial de dissocier ces événements violents de L’Boulevard entant que festival et événements culturel et musical. Ce qui est arrivé est dû à la grande affluence de jeunes et d’adolescents, doublée de l’important manque d’agents de sécurité pour maintenir l’ordre dans de telles conditions. Ça a d’ailleurs été confirmé par les organisateurs qui ont affirmé qu’ils ne s’attendaient pas à un tel nombre et que la société de sécurité privée a été dépassée par la grande foule présente ce soir là. C’est la cause directe du scandale mais pas la seule pour autant.

Nous sommes là face à des adolescents et des jeunes mal accompagnés, mal entourés et mal encadrés qui ont abusé de drogues et d’alcool. C’est le même constat que l’on peut faire dans le cas de hooliganisme et de vandalisme lors des matchs de foot et après. Ce type de comportements est observé souvent lors d’événements avec une assistance constituée essentiellement de public de cette tranche d’âge. On a toujours lié cette mentalité et cette manière d’agir violente à la pauvreté et à la vulnérabilité socio-économique, personnellement je ne crois pas que c’est la cause principale. A mon avis, ça résulte de l’irresponsabilité et du manque d’encadrement des jeunes par les partis politiques, la société civile, de l’Etat, du ministère de la culture et de la jeunesse.

Comment se décline la responsabilité de ces entités dans l’encadrement de ces jeunes ?

En l’absence de programmes d’accompagnement pour jeunes bien réfléchis et bien adaptés, ces derniers sont livrés à eux-mêmes. Du coup, lorsque l’occasion de se défouler se présente à eux, ils ont tendance à s’oublier. L’on constate alors un manque de civisme, du sens de responsabilité vis-à-vis de son image et de l’image de sa nation avec un détachement certain des mœurs et des valeurs. Ceci dit, ces facteurs là n’excluent pas pour autant l’aspect criminel des agissements enregistrés ce soir là. Il y a toute une catégorie de crimes que l’on ne peut pas expliquer en se rejetant la responsabilité sur telle ou telle institution. Comme c’est d’ailleurs le cas pour les événements de L’Boulevard : Il faut poursuivre les agresseurs et les sanctionner même si mineurs. Car la responsabilité criminelle est bien là et les sanctions doivent être adaptées à la gravité des actes et à l’âge des criminels.

Y a-t-il un risque de revoir des manifestations de violence du même genre dans l’avenir ?

Bien sur que oui, il faut s’y attendre. La preuve : Chaque samedi ou chaque dimanche a son lot d’événements violents à des degrés différents. Ca peut exploser lors d’un match de foot ou d’un concert ou n’importe quel rassemblement. Toutes les occasions sont bonnes pour laisser exploser la violence de nos jeunes en mal d’encadrement et de canalisation de leur énergie et de leur fougue.

Beaucoup d’internautes estiment que les filles victimes de harcèlement ce jour là « l’ont bien cherché » ! Comment expliquer ce jugement et cette attitude ?

Ce genre de propos me rappelle l’affaire des filles d’Inezgane qui ont été agressées en plein public à cause de leur port de jupe. Beaucoup ont estimé alors que ces filles l’ont bien mérité car ayant provoqué ces réactions violentes « qui étaient le résultat logique » de leur accoutrement inadéquat. Aujourd’hui, nous sommes face au même phénomène. « Tu es habillée d’une manière suggestive. C’est toi qui excite les hommes... », ces idées et ces réflexions émanent sociologiquement parlant d’une « société de transition ». On n’a pas encore tranché avec la vie commune. On est toujours entrain d’essayer d’imposer un certain pouvoir sur la vie publique. On n’a pas encore compris la liberté personnelle, le droit à la différence et on a toujours cette idée fixe et archaïque d’avoir un pouvoir et un contrôle sur le corps de la femme.

C’est tout à fait normal de passer par là lorsqu’on est une société de transition. Mais le pire, c’est quand on incrimine ces victimes car elles se trouvaient justement à L’Boulevard ce soir là. Pourquoi c’est mal ? Car ce discours sous entend que L’Boulevard et les événements similaires sont des lieux de débauche consacrés aux délinquants et aux criminels. En sacralisant « les filles » qui sont considérées comme une propriété privée, ces internautes leur refusent le droit de se rendre dans un tel espace. Ils stigmatisent par conséquent tout ce qui a trait à la musique et à l’art. C’est un type d’idées rétrogrades qui ouvre la porte à la pensée intégriste en excluant toute expression artistique. Ils qualifient les festivals de lieux de débauche et mettent ainsi tout le processus de l’ouverture, de la culture et de l’art en danger.

Comment y faire face et couper le chemin à de telles idées et agissements ?

On a toujours responsabilisé la famille. Certes les parents sont responsables de l’éducation de leurs enfants, mais ils ne devraient pas être les seuls à assumer cette responsabilité qui dépasse parfois leurs capacités intellectuelles, économiques et pédagogiques. Lorsque la famille est démunie et n’a pas les moyens de cet encadrement, c’est l’Etat, les partis politique et la société civile qui devraient s’en charger car ayant les bons outils pour y arriver. L’énergie des jeunes devrait être canalisée, encadrée et bien orientée pour éviter de telles explosions violentes et c’est la responsabilité de tous.