Hausse du taux directeur. Qui sera impacté? et comment?
Avec cette hausse du taux d’intérêt directeur de la banque centrale, il sera plus cher pour les entreprises et les particuliers de s’endetter.

Bank Al-Maghrib a décidé d’augmenter le taux directeur de 50 points de base à 2%. Comment devrait-elle impacter l’économie nationale ? Quels impacts sur les ménages et sur les entreprises? Avis des économistes. 

Face à une inflation galopante qui a atteint 8% à fin août dernier, Bank Al Maghrib a décidé récemment de relever le taux directeur de 50 points de base pour passer de 1,5% à 2%, après plus de deux ans de statu quo. Un resserrement monétaire jugé «nécessaire », selon le wali de la banque centrale qui indique que sur les 116 sections de produits et services qui composent le panier de référence de l’indice des prix à la consommation, 60,3% ont connu une augmentation de plus de 2% en août contre 42,2% en janvier 2022 et 23% en moyenne entre 2018 et 2019.

Une décision judicieuse?

Pour Abdellatif Jouahri, l’objectif d’une telle décision est de « prévenir tout désancrage des anticipations d’inflation et assurer les conditions d’un retour rapide à des niveaux en ligne avec l’objectif de stabilité des prix ». Mais, qu’en pensent les économistes ? Les avis divergent. L’économiste et spécialiste des politiques publiques, Abdelghani Youmni salue cette décision et la qualifie même d’efficiente. D’après lui, « avec cette légère hausse du taux d’intérêt directeur de la banque centrale, il sera plus cher pour les entreprises et les particuliers de s’endetter. Donc cela freinera la demande en biens et services. Et, par ricochet, les prix ». Il insiste aussi qu’une hausse de 0,5 point n’aura pas d’impact significatif sur l’économie nationale à court terme notamment sur le volet croissance et emploi, d’autant plus qu’il ne s’agit pas d’une inflation monétaire, mais plutôt liée à une crise énergétique due à une flambée des coûts de fret et des prix à la pompe, aux effets de la sécheresse... ce qui se répercute sur les coûts de production et donc sur les prix de vente.

La vision de l’économiste Zaher Badr Al Azrak est différente. Pour lui, le moment n’est pas opportun pour un relèvement du taux directeur. Il fallait selon lui, attendre encore un moment avant de trancher. Pourquoi ? « Cette mesure pourra produire des effets indésirables comme résultat directe du ralentissement forcé de la demande, car certains secteurs dépendent fortement des taux d'intérêt et des crédits bancaires », justifie t-il. Il reste cependant convaincu que la BAM n’avait pas trop le choix. Elle était devant un dilemme : opter pour cette solution douloureuse ou laisser l’inflation se généraliser et s’amplifier ? Elle a donc choisit la première option qui vise « un alignement avec les mesures et les décisions prises par les différentes banques centrales au niveau international, notamment celles des États-Unis d'Amérique et de l’Europe, et aussi la régulation de l'offre et la demande à travers la limitation d'accès aux crédits d'investissement, de consommation ou autres, et enfin permettre aux mesures prises par le gouvernement à cette égard de produire leurs effets pour renforcer le pouvoir d'achat et la paix sociale ».

Quel impact sur les ménages ?

Pour les économistes, une révision à la hausse du taux directeur entrainera un recul des crédits de consommation et ceux de l’immobilier. Si Youmni note que cela va encourager l’épargne intérieure et extérieure, Al Azrak lui, insiste sur la problématique liée au pouvoir d’achat des ménages déjà ébranlé par les effets de la crise et l’inflation. «La valeur réelle des salaires n’est plus la même. Elle a baissé de 20 à 25% durant les deux dernières années. La plupart des ménages ont donc épuisé leur épargne et recourent à des crédits pour financer leurs dépenses », explique l’économiste alertant « qu’une augmentation des taux de crédits de consommation pourrait aggraver encore plus le pouvoir d’achat surtout des ménages issus de la classe moyenne ».

Et sur l’immobilier ?

Les avis sont unanimes : l’impact sera réel sur plusieurs secteurs comme le tourisme, l’artisanat...mais le coup sera dur pour l’activité immobilière qui dépend fortement des crédits au Maroc. «Un recul des crédits d’immobilier va affaiblir encore plus le secteur immobilier, déjà en crise en raison de la perturbation des chaines de production, de la flambée des prix de matériaux de construction...Le chiffre d’affaires de l’activité est en baisse. Et une telle mesure pourrait le plonger dans une récession profonde. Cela pourrait affecter aussi l’emploi puisque que l’immobilier est considéré parmi les secteurs qui absorbent le plus grand nombre de main d’œuvre. Il y a alors risque de hausse du taux de chômage l’année prochaine », prévient Al Azrak.

Quid des PME et TPE ?

L’économiste Zaher Badr Al Azrak est catégorique : suite à la décision Bank Al Maghrib, la relance économique sera en perte de vitesse. Il ajoute par ailleurs, qu’il sera difficile pour les TPE et les PME qui constituent 90% du tissu économique de supporter ce rehaussement du taux directeur, la plupart étant actuellement en difficulté. Il va encore plus loin et prévoit une baisse de la demande intérieure et extérieure en 2023 suite à une stagflation et donc un recul du chiffre d’affaires des entreprises qui pourrait aller jusqu’au gel ou même baisse en matière de la création d’emplois. Pour sa part, Youmni admet que les perspectives pour l’année prochaine dépendent fortement de la pluviométrie, de la campagne agricole à venir et aussi de l’évolution de la guerre Russie-Ukraine. «Si tout va bien, le Maroc pourrait enregistrer une croissance de l’ordre de 1,5 à 2,5%. L’inflation quant à elle pourrait se rétrécir à 2,5 ou 3% », prévoit t-il.