Reda Boulos : « Le Maroc et l’Egypte peuvent agir ensemble pour démarrer l’Afrique ».  
Reda Boulos, Directeur Général du consortium des entreprises Egaad (Egyptian African Arab Cosortium For Development)

Les grandes entreprises égyptiennes se se sont rassemblées en un consortium pour conquérir le continent africain. Elles veulent aller plus loin et comptent sur une collaboration étroite avec les compagnies marocaines dans ce sens. Détails avec le directeur général du consortium des entreprises Egaad (Egyptian African Arab Cosortium For Development), Reda Boulos.

L’Observateur du Maroc et d’Afrique : Comment est né le consortium Egaad ? Pour quels objectifs ?

Reda Boulos : Egaad est un consortium qui regroupe 33 des plus grandes entreprises en particulier égyptiennes opérant dans différents notamment, les énergies, les infrastructures, la construction, la transformation digitale, l’agriculture, la santé...et dont le chiffre d’affaires dépasse les 50 milliards de dollars.

Il a été créé en 2019, lorsque l’Egypte était à la tête de l’Union africaine. L’idée est de regrouper les entreprises qui ont prouvé leurs capacités de gestion, de savoir faire au cours des dernières années. Depuis 2014, l’Egypte a du reconstruire entièrement son économie et ses infrastructures, ...en donnant la possibilité au privé de parti de mettre la main à la pâte. C’est ainsi que bon nombre de groupes locaux ont pu atteindre une taille importante et acquérir un savoir faire et une capacité financière qui leur permet d’avancer leurs pions ailleurs. Or, si certaines entreprises ont pu voler de leurs propres ailes et étendu leurs activités à l’international, d’autres, même si elles sont devenues matures, et prêtes à s’exporter, ne peuvent pas faire cavalier seul. Aller à la conquête du continent africain en groupement est plus efficace et la force de frappe est plus importante. C’est l’exemple parfait d’une équipe de foot nationale qui va aller jouer à l’international en harmonisant ses efforts et en parfaite synergie avec chacun des membres de l’équipe.

Quel est le rôle de ce consortium dans le développement socio-économique des pays africains?

Notre vision est claire : la triangulation (Afrique/Egypte/Europe). Nous estimons que les sociétés égyptiennes ont l’expertise nécessaire mais il leur manque par contre la technologie. L’idée est qu’aujourd’hui vu les évolutions du contexte international, l’Europe a besoin de se développer sur la zone du Sud. Notre devise est de construire l’Afrique par les africains. L’Europe l’a fait auparavant. Après la deuxième guerre mondiale, si l’Europe a pu reconstruire le continent européen, assurer son développement dans la durée, c’est parce que les compagnies européennes se sont engagées dans ce sens. Il est temps que l’Afrique fasse la même chose. Construire l’Afrique par les africains mais avec de l’aide technologique et en matière de financement provenant de l’Europe. Tout le monde y gagne. L’Asie a complètement fermé ses portes pour les sociétés européennes. Nous pensons que si les conflits actuels persistent, il y aura besoin de relocaliser les entreprises et les industries ailleurs. Aujourd’hui l’Afrique est le candidat idéal puisque le continent a tout pour plaire (la proximité, la taille, le avoir faire, la disponibilité de main d’œuvre...).



Et les européens ont compris l’importance de rapprocher les entreprises de transformation des matières premières de la source de ces matières surtout que la crise sanitaire a prouvé qu’une localisation éloignée et une logistique complexe ne sont pas efficaces. Dans les 5 prochaines années, l’avenir de l’Europe sera en Afrique. Mais pour cela, il faut que le continent soit doté des infrastructures nécessaires, des routes, des ports, des énergies, d’une main d’œuvre formé...D’où l’importance de cette triangulation qui permettra d’agir dès maintenant.

Quid des projets en cours de déploiement par le consortium?

Durant les 3 ans et demi de son existence, le consortium a pu décrocher 12 projets dans 8 pays africains issus de ce que nous appelons la ceinture centrale. Nous avons pu aussi lever quelques 615 millions de dollars et nous avons un backlog de contrats signés avec des levées de fonds de 1,9 milliards de dollars. Parmi les projets en cours de réalisation on compte le déploiement d’une usine de sidérurgie au Kenya dont le montant d’investissement est estimé à 500 millions de dollars, la mise en place du plan énergétique au niveau du Congo Brazzaville...

Que voulez vous dire par la notion de « ceinture centrale » ?

Pour nous, la ceinture centrale va de Madagascar jusqu’au Sénégal en passant par le Kenya, la République démocratique du Congo, le Congo Brazzaville, le Togo, la Côte d’ivoire, le Ghana et le Sénégal. Cette ceinture est la plus représentative du continent africain regroupant à la fois des pays anglophones et francophones avec des cultures différentes, des climats d’affaires différents,...En s’implantant au niveau de cette ceinture, nous avons la possibilité de s’étendre vers le Nord ou vers le Sud plus facilement. D’ailleurs, nous ciblons aujourd’hui d’autres pays comme l’Angola, le Zimbabwe...

Comment les entreprises égyptiennes et marocaines peuvent elles collaborer et créer des synergies et se développer sur le continent?

L’Egypte, le Maroc et l’Afrique du Sud sont deux principales portes d’entrée en Afrique. Ce sont les vrais moteurs africains qui peuvent démarrer réellement le continent. Les deux pays sont déjà présents dans plusieurs pays africains. Ils sont industrialisés et leur expertise ne peut être remise en cause. Si ces moteurs ne fonctionnent pas dans le même sens, l’Afrique va tourner autour d’elle-même.



Les compagnies marocaines ont compris très tôt l’importance d’être présents en Afrique surtout l’Afrique de l’Ouest et celle francophone. Elles sont même présentes dans certains pays de cette ceinture centrale que nous visons. L’union fait la force.Grâce à l'alliance des entreprises marocaines et celles égyptiennes, l’Afrique pourra être construite par les africains. Les deux parties peuvent créer des synergies et proposer donc des solutions communes dans les pays où leur alliance pourra créer la différence sur le terrain. Des rencontres sont prévues avec le patronat marocain pour discuter d’une éventuelle coopération win-win. Et des pourparlers sont en cours avec de grands groupes locaux. Rien de concret pour le moment. Mais nous avons besoins d’alliés marocains dans tous les secteurs (agriculture, énergies...). Je suis convaincu que le Maroc et Egypte doivent agir ensemble pour soulever l’Afrique.

Qu’en est-il de la problématique du financement ?

Le Maroc comme l’Egypte n’ont pas d’Eximbank comme la Chine, la Turquie, les Etats-Unis et bien d’autres pays, une banque qui a pour rôle de soutenir les exportations des entreprises vers les différents marchés et qui peut même subventionner et financer la réalisation de projets structurants en Afrique. C’est une faiblesse majeure. On opte alors pour le financement multilatéral. Mais dans cette course, l’Europe doit aussi contribuer. Ce « Global Gateway » de 300 milliards d’euros lancé par l’UE visant à développer des liens durables dans le monde est une opportunité pour l’Afrique. Il faudra réfléchir comment ces fonds peuvent être utilisés de manière efficiente. Les entreprises africaines et européennes doivent travailler main dans la main et orienter les fonds vers l’investissement productif sur le continent. Il faudra aussi créer d’autres consortiums privés qui pourront travailler à rediriger les financements vers le continent. Pour l’Afrique de demain, il faut agir dès maintenant.