Andalousies. Mor Karbasi chante son attachement à la culture Amazigh
La nouvelle étoile du répertoire séfarade Mor Karbasi chante son amour pour la culture Amazigh à Dar Souiri.

Née à Jérusalem dans une famille aux origines marocaine, perse et israélienne, la nouvelle étoile du répertoire séfarade Mor Karbasi partage avec nous son amour inconditionnel pour le Maroc et la culture Amazigh. Son duo exceptionnel, en hébreu et tamazight, avec la chanteuse berbère Zora Tanirt à Dar Souiri lors de la 18e édition du Festival des Andalousies Atlantiques d'Essaouira, restera longtemps dans les annales.

Incarnant la nouvelle génération d'artistes israéliens soucieux d'empêcher l'oubli du ladino -mélange des langues utilisées en Espagne pendant la période médiévale et d'hébreu-, Mor Karbasi œuvre également contre l’oubli des chants des Juifs berbères qu’elle dépoussière et revisite à sa façon.

C’est la première fois que vous vous produisez à Essaouira. Quel est votre sentiment de chanter dans un lieu aussi magique et chargé d’histoire comme celui de Dar Souiri ?

J’ai déjà chanté dans une autre ville au Maroc mais Essaouira, c’est différent. J’ai l’impression que cette cité est bâtie sous l’eau, cette d’odeur de l’océan, c’est magique... Je sais que c’est une ville qui respire la musique et c’est un grand honneur pour moi de ramener ma musique ici et de faire partie de la culture Amazigh qui a exalté mon imagination depuis si longtemps. C’est aussi un hommage à mes grands-parents qui sont originaires de Marrakech. Le fait de faire entendre leurs voix ici et le fait que je retourne au Maroc, pour moi, c’est comme si je les ramenais ici. Donc, c’est un grand événement pour moi, mémorable ! Essaouira c’est aussi une ville où Juifs et Musulmans chantent ensemble dans un festival qui depuis des années véhicule des valeurs de paix et de tolérance. C’est une expérience unique dans le monde.

Oui, c’est unique, il y aussi beaucoup de Juifs qui chantent d’autres styles musicaux comme Ala par exemple mais ce projet incluant chants hébreux et Amazighs, c’est très rare, je crois que ça ne s’est jamais fait auparavant. Dans le cadre de mes recherches musicales en Israël, j’avais rencontré une vieille femme dans la librairie nationale qui m’a fait découvrir plusieurs enregistrements et tous les morceaux que j’avais choisi provenaient de la région du Souss au Maroc, de ma tribu, ... En Israël, beaucoup de gens oublient d’où ils viennent, comme c’était le cas pour mes grands-parents, et je suis ravie que Zora Tanirt ait bien accueillie cette idée de chanter ensemble.

Comment s’est passée justement la collaboration avec Zora Tanirt ?

En fait, lorsque j’avais choisi les morceaux qui m’ont plu à la librairie nationale, je voulais enregistrer une chanson et l’interpréter à ma façon. Je cherchais donc quelqu’un qui parlait la langue Amazigh et on m’a donné le nom de Zora. Elle a immédiatement été emballée par le projet, elle m’a beaucoup aidé pour les paroles et s’est montrée respectueuse quant à nos religions respectives et les similitudes qu’on avait dans nos cultures. C’est incroyable d’écouter le son émis par ces femmes juives Amazighs et les chansons que Zora avait, comportaient des paroles différentes ! Zora était fascinée, certaines chansons que je lui ai fait entendre étaient perdues, elle ne les connaissait même pas.

On a fait certains enregistrements ensemble, mais c’est la première fois qu’on fait un duo à Dar Souiri. Je suis arrivée il y a 4 jours à Agadir, elle m’a accueillie chez elle, elle nous a ouvert son ses portes et son cœur, je n’ai jamais vécu cette expérience auparavant.

Comment s’est fait le choix des chansons pour votre duo ?

Certaines chansons m’ont hanté depuis si longtemps, je les ai enregistrées mais je tenais à les chanter dans leur lieu et de les situer dans leur contexte. Tout ce que vous avez vu aujourd’hui, pendant le spectacle, c’est comme un rêve devenu réalité pour moi. Et ces danses avec ces femmes Amazighs qui accompagnaient Zora, c’était incroyable pour moi.

En plus des chansons qui font partie du répertoire de Zora, une chanson que j’ai interprétée était chantée par des femmes juives Amazighs et Zora a chanté une autre version de la même chanson mais interprétée par des femmes Amazighs musulmanes. Celle du répertoire d’Ahwach, je l’ai trouvé sur le net ; une autre que j’ai chanté A cappella, c’est une vieille femme qui la chantait pour moi en Israël et qui parle de nostalgie : « si je devais quitter mon village, le ferais à contre cœur, mais je l’accepterais avec amour ». La chanson « Bismillah » était une véritable obsession pour moi pendant des années, ma mère me la chantait souvent quand j’étais petite et je voulais absolument savoir d’où elle venait. Lorsque je l’ai fait entendre à Zora, elle ne la connaissait pas non plus, ça lui a pris un an pour trouver le Raiss qui était à l’origine de cette chanson.

Mor karbasi chantant à la synagogue de Marrakech.


Votre album « Ojos de Novia » est inspiré de la culture Amazigh.

Oui, je l’ai fait après beaucoup de recherches, et je sais maintenant que ma famille du côté de ma mère a des racines berbères. J’ignore le lieu exact parce que je cherche toujours mais je sais qu’ils viennent d’un village où vivaient beaucoup de berbères. C’est la même chose qui explique aussi mon intérêt pour l’espagnol, j’ai passé plusieurs années en Espagne, je parle la langue espagnole bien que ma famille ne parle pas un mot d’Espagnol ! Peut-être que mes recherches ne sont pas un hasard, je découvrirais certainement quelque chose un jour en rapport avec mes racines, ...Mais mon grand-père m’a toujours dit qu’on avait des origines espagnoles !

La dernière fois quand j’étais à Marrakech, j’ai visité la synagogue au Mellah, où mon arrière-grand-père vivait et sur la porte, il y avait cette inscription de l’année 1492, la même année où les Juifs ont été forcés de quitter l’Andalousie pour venir s’installer ici. A l’époque, ils ne pouvaient pas prier dans les synagogues locales parce que les mélodies des prières étaient différentes, et donc, ils ont construit leurs propres synagogues, et quand j’ai vu cette inscription, j’étais très émue.

C’est probablement une des raisons pour laquelle vous chantez en espagnol aussi ?

Oui, quand j’ai découvert que j’avais des origines espagnoles, j’ai compris que cette passion que j’ai pour la musique espagnole n’est pas fortuite, quelque chose en moi à l’intérieur se souvient...et peut être c’est ce qui se produit aussi avec cette culture Amazigh que j’ai l’impression qu’elle m’habite depuis toujours.

Que rêvez-vous d’accomplir en tant qu’artiste ?

Mon grand-père est décédé il y a un an, c’était une épreuve très difficile pour moi parce que j’étais très attaché à lui et à sa culture et surtout à l’amour qu’il vouait au Maroc. Je voudrais donc faire découvrir sa musique au monde entier, et mon prochain projet est un mélange de musique berbère, de chansons en hébreu, de pyoutims et mélodies marocaines, ... avec des versions plus modernes. Je souhaiterais également transmettre cette musique Amazigh et ce côté féminin des piyoutims berbères que je chéris tant. J’aime aussi cette musique parce qu’elle est tombée un peu dans les oubliettes et personne ne sait plus comment la chanter ou l’interpréter. Chaque femme a son propre timbre, c’est comme avec la musique andalouse, on doit chanter d’une manière spécifique. Moi, je chante surtout pour guérir les gens, la musique m’a toujours guéri depuis toute petite, c’est impossible pour moi de ne pas chanter, j’aime chanter mon ressenti, l’amour qu’on partage ensemble, c’est un peu prétentieux mais je veux guérir les gens, pour les aider.

Une expérience spirituelle et artistique unique à Dar Souiri entre l'ensemble Matrouz dirigé par le Rabbin Avraham Edri et la troupe Al Anouar Al Mohamadia sous la direction de Maître Hamza Jorti.


Vous savez que le Maroc et Israël ont renoué leurs relations diplomatiques depuis deux ans. Comment cet accord pourrait-il changer les choses pour les artistes ?

Ça sera beaucoup plus simple surtout pour voyager. Les Juifs qui n’ont pas encore renoué avec leurs origines marocaines pourront désormais venir ici plus facilement et s’intéresser plus au Maroc. De plus, il ne faut pas oublier que les Juifs Marocains qui sont venus à l’époque en Israël ont été forcés d’oublier d’où ils venaient : lorsque ma mère était jeune, elle disait souvent à mon père de ne pas jouer la musique marocaine parce qu’elle avait honte de l’écouter. Et c’est pour cette raison qu’elle ne parlait jamais darija et du coup, moi non plus ! Donc, le fait que ça soit plus facile pour eux de venir aux Maroc, va permettre à beaucoup de Juifs marocains de découvrir et de renouer avec leurs racines. Et pour les artistes bien sûr, il y aurait plus d’opportunités et cette collaboration entre Juifs et Musulmans va continuer à s’élargir.

Hier, j’étais témoin d’un concert assez atypique et rare entre Juifs et Musulmans à Dar Souiri, les deux étaient assis face à face le long d’une table, ils se regardaient dans les yeux et chantaient ensemble. Ça m’a vraiment ébloui de voir cela et ça m’a rappelé mon grand-père nostalgique qui regardait par la fenêtre avec sa djellaba, comme s’il était au Maroc, ce pays qui lui manquait terriblement. Ce désir, il me l’a transmis.

En retournant au Maroc, qu’avez-vous aimé ?

Quand je suis venue au Maroc, j’ai compris beaucoup de choses à mon sujet et à propos de ma famille, leur sens d’humour, ... ma grand-mère faisait des gâteaux marocains, cuisinait des plats marocains, tout est ici, ce n’est pas juste un folklore. C’est incroyable pour moi de l’expérimenter comme une culture vivante, and j’espère que les Juifs et les Marocains renouvellent cette magnifique relation qu’ils avaient dans le passé, parce que les Juifs n’ont pas quitté le Maroc parce qu’ils vivaient dans de mauvaises conditions ... ! Lorsque mon père évoque le Maroc, il parle avec beaucoup de nostalgie des relations d’entraide que les Juifs avaient avec leurs voisins Musulmans. Hier, quand j’ai assisté à ce concert mémorable à Dar Souiri, j’étais bouleversée et j’espère que ces relations reviendront encore un jour.