Istiqlal Une forte tradition de l’opposition

Benkirane, par tempérament ou pour d’autres raisons, a cru bon snober Hamid Chabat. Il aura suffisamment de temps pour se rendre compte qu’il a eu tort.

Le plus vieux parti du Maroc, l’Istiqlal, s’apprête à rejoindre l’opposition, un « métier » qu’il connait bien. En soixante-dix ans d’existence, le parti de la balance qui se voyait un temps comme le parti du pouvoir pour toujours, n’a en définitive été au gouvernement que moins d’une trentaine d’années, par intermittences et souvent de façon marginale.

Au début de l’indépendance, alors que son aile gauche qui donnera l’UNFP puis l’USFP, n’avait pas encore fait scission, l’Istiqlal s’était vu obligé de composer avec d’autres forces du pays moins engagées que lui dans la lutte pour l’indépendance et le retour de Mohammed V de son exil à Madagascar.

Deux fois il s’est trouvé à la tête du gouvernement. En 1958 pour une durée de huit mois avec Hadj Ahmed Balafrej, alors secrétaire général du parti ; et Abbas El fassi de 2007 à 2011, la période la plus longue et la moins glorieuse de ses participations gouvernementales.

Après la chute du gouvernement Abdallah Ibrahim, leader à l’époque de l’UNFP, l’Istiqlal revient au gouvernement avec trois ministres (M’hammed Douiri, M’hammed Boucetta et Abdelkhalek Torres) dont le président du conseil n’est autre que le roi Mohammed V qui a pour vice-président son prince héritier Moulay Hassan.

Au décès de Mohammed V en 1961, Hassan II, en même temps qu’il monte sur le trône, prend les rênes du conseil des ministres. Les istiqlaliens du gouvernement sont rejoints par leur leader historique Allal El Fassi aux Affaires Islamiques. Tout comme Benkirane et ses amis aujourd’hui qui se disent avoir été le rempart de la monarchie contre le

« Printemps arabe », les istiqlaliens avaient la fâcheuse tendance de laisser entendre qu’ils ont sauvé la monarchie que le colonialisme voulait anéantir. Velléité que leurs adversaires n’ont eu aucun mal à retourner contre eux.

La lune de miel ne dura pas plus de deux ans. En 1963, l’Istiqlal quitte le gouvernement pour une longue traversée du désert qui durera quelques quatorze années. Moins radical que l’UNFP de Mehdi Benbarka, Abderrahim Bouabid et autres Abderrahmane Youssoufi, l’Istiqlal connaît une moindre persécution mais recevra plus qu’à son tour les foudres du pouvoir.

Forgé dans la clandestinité de la lutte contre les autorités du protectorat, l’Istiqlal doit s’adapter à l’opposition aux « siens ». Il s’appuie sur un vaste réseau de sections et de sous sections qu’il colle au déploiement de l’administration territoriale. Il l’épie et la harcèle autant qu’elle le surveille et le réprime. Si en termes d’organisation et « d’encartement », les autorités réussissent à le cantonner, l’Istiqlal préserve une majorité sociale de telle manière que le pouvoir doit tenir compte de son poids.

Après le décès de Allal El Fassi en 1974 et l’arrivée de Mhammed Boucetta à sa tête, l’istiqlal, à la faveur de la mobilisation pour la récupération du Sahara Occidental, retrouve le chemin du gouvernement en 1977. L’idylle ne durera guère longtemps. La conscience malheureuse de ses bases et vite mise à mal par les émeutes du pain de 1981 et les jacqueries de 1984. L’Istiqlal prend des positions contre l’augmentation des prix et la répression qui s’en suit. Il n’en fallait pas plus pour exaspérer le roi. A son tour, il accuse l’Istiqlal d’avoir les fesses sur deux chaises. Commence le désamour.

En avril 1985, l’Istiqlal est « invité » à quitter le gouvernement. Mais les huit ans qu’il a passés au pouvoir l’ont délavé. Il doit se refaire une virginité. Un long travail de patience permet à Mhammed Boucetta de renouer avec les socialistes de Abderrahim Bouabid. Son enracinement territorial lui permet de reprendre rapidement du poil de la bête.

Qu’il pleuve ou qu’il fasse beau, l’Istiqlal garde toujours un substrat électoral qui lui permet de rester dans le peloton de tête. La préparation de l’alternance consensuelle accélère son retour sur les devants de la scène. Bien que laminés par l’administration aux législatives de 1997, les istiqlaliens vont jusqu’au bout de l’action commune avec l’USFP. Ils reviennent au gouvernement en 1998, d’abord dans la marginalité par rapport aux socialistes qui symbolisent l’alternance consensuelle, avant de prendre pour tout un mandat (2007 – 2011) la primature. Abbas El Fassi, successeur de Boucetta à la tête du parti et qui a réussi cet « exploit » par un effacement total en tant que premier ministre, donne un coup d’accélérateur aux mutations sociologiques de l’Istiqlal.

Driss Basri, puissant ministre de l’Intérieur au temps de Hassan II, définissait l’Istiqlal comme une Zaouïa, propriété d’un clan de familles

« consanguines ». Une bourgeoisie urbaine

répartie entre Fès, Casablanca, Rabat et Marrakech à la tête d’un parti dont la base est rurale et périurbaine. Par une politique encore plus clanique, plus centrée sur sa petite famille, Abbas El Fassi va finir par hâter une révolte qui couvait depuis des années contre l’égocentrisme des dirigeants istiqlaliens.

Hamid Chabat, un enfant de l’Istiqlal, descendu de la périphérie de Fès est l’illustration de cette génération de chair à canon dont se servait le parti. Il a été pour les anciennes directions de l’Istiqlal ce que l’éléphant domestique est pour les éléphants sauvages, un redoutable adversaire.

Les élites citadines lui reprochent ses « écarts de langage », son populisme mais lui s’adresse non pas à ceux qui vont pontifier dans les émissions télé sans jamais voter, mais à ceux qui le jour des élections se rendent aux urnes.

Benkirane, par tempérament ou pour d’autres raisons, a cru bon snober Hamid Chabat. Il aura suffisamment de temps pour se rendre compte qu’il a eu tort. Le tonitruant secrétaire général de l’Istiqlal est aujourd’hui à la tête d’un parti qui a un noyau dur de militants indéfectibles, une grande maitrise de l’opposition, qui a acquis également une bonne culture de gouvernement et qui sait autant que lui jouer sur les sensibilités populaires translate french to farsi