Yamani : « Si La Samir avait redémarré en 2022, elle aurait pu gagner plus de 10 MMDH »
Houcine El Yamani, président du front national pour la sauvegarde de la Samir et secrétaire général du Syndicat national des industries du pétrole et gaz affilié à la CDT.

A Mohammedia, la Samir est à l’arrêt depuis 2015. De nombreux groupes internationaux ont manifesté aujourd’hui leur intérêt pour la reprise du groupe. Rien de concret pour le moment. En attendant, combien a coûté au Maroc la fermeture de son unique raffinerie ? Quel serait le coût du redémarrage? …Précisions du président du front national pour la sauvegarde de la Samir et secrétaire général du Syndicat national des industries du pétrole et gaz affilié à la CDT,  Houcine El Yamani. 



L’Observateur du Maroc et d’Afrique : Fin janvier, le tribunal de commerce a décidé d’ouvrir une nouvelle procédure de cession d’actifs de La Samir. Le délai pour manifestation d’intérêt vient d’expirer. Quels résultats ?

Houcine El Yamani.: A l’issue de cet avis publié depuis plus d’un mois, le tribunal de commerce a reçu plus de 15 offres de la part de repreneurs issus de plusieurs pays. Les offres financières pour l’achat de la raffinerie et ses filiales sont importantes. Nous sommes au stade de lettres d’intention. L’étape suivante sera consacrée aux discussions avec les intéressés avant la sélection des offres les plus sûres. La continuité de La Samir ne dépend pas du verdict du dossier en cours avec l’ancien actionnaire majoritaire, le saoudien Al Amoudi. Ce sont deux procédures différentes. Le repreneur de La Samir va créer une nouvelle entité juridique où il va transférer uniquement les actifs acquis de la société.

Combien a coûté la fermeture de La Samir à ce jour ?

La fermeture de la raffinerie a coûté très cher au pays. Et les pertes sont colossales sur plusieurs niveaux. D’abord, l’emploi. La Samir employait 1.000 salariés entre ingénieurs et cadres. Aujourd’hui, ils sont moins de 520. Pour les emplois indirects, ils étaient 2500 emplois permanents. Depuis l’annonce de la liquidation, le nombre a été réduit à 120. Sur la base des estimations faites par le front national pour la sauvegarde de la Samir, l’activité de la raffinerie contribuait à nourrir entre 20.000 et 25.000 bouches de manière directe et indirecte, soit le 1/10 du total de la population de la ville de Mohammedia. Côté salaires, La Samir injectait dans l’économie locale près de 1,85 milliard de dirhams en matière de salaires versés. Un autre volet important concerne la contribution dans la vie socio-culturelle et sportive de Mohammedia. De plus, La Samir était une école de formation par excellence avec 1200 à 1500 stagiaires toutes discipline confondues par an.

Qu’en est-il de l’impact sur la facture énergétique et les prix pratiqués au Maroc ?

La facture énergétique du Royaume a atteint en 2022, un record de 153MMDH. Sur ce montant, 38 MMDH est liée à la marge de raffinage. Si le Maroc achetait le pétrole brut au lieu de celui raffiné, il aurait pu économiser ce montant. Par rapport aux prix, le secteur a été bouleversé par deux mesures décidées par l’ancien gouvernement. La première est relative à la décompensation et la deuxième concerne la libéralisation des prix. Ces deux décisions ont été conduites dans un contexte où le prix du brent ne dépassait pas les 50 dollars. Donc, l’impact n’était pas significatif au début. Mais quand le prix du brent a augmenté, tout a changé. Et on a commencé à sentir la différence surtout que les marges de raffinage ont de leur côté, augmenté de manière exponentielle. L’écart entre le prix du brut et celui du gasoil était à 100 dirhams la tonne. Aujourd’hui on est à plus de 300 DH la tonne. Autrement, si on achetait le gasoil plus cher que le pétrole brut de 1 DH, aujourd’hui on l’achète plus cher de 3DH. Cette différence est relative au coût du raffinage que La Samir se chargeait de faire et qui se fait aujourd’hui à l’international. C’est pour cela qu’on estime que si revient au raffinage au niveau local, cet écart de 3 DH , permettrait une baisse des prix et les marocains pourront bénéficier de cet avantage.

Selon vous, combien pourrait coûter le redémarrage de La Samir ?

Nous effectuons un travail trimestriel pour justement mettre à jour ce coût et définir la durée nécessaire pour une reprise normale de l’activité. La dernière étude montre que La Samir est toujours capable de redémarrer son activité.

Plus on est retard, plus ce temps nécessaire pour le redémarrage s’allonge. A fin 2022, le coût nécessaire est estimé à 2,2 MMDH. Dans 6 mois, il serait 3MMDH.

Si La Samir avait redémarré en 2022, elle aurait pu engranger un bénéfice net de pas moins de 10 MMDH, après réduction de toutes les charges fixes et variables. Cela s’explique par l’augmentation des marges de raffinage durant la même année. C’est donc une opportunité que nous avons raté en 2022 comme celle relative au stockage ratée en 2021 qui pouvait nous rapporter entre 12 et 15 MMDH.

Ce dossier traîne depuis des années. Comment expliquez-vous tout ce retard ?

Il y a des lobbies qui profitent de cette situation et qui souhaitent l’extermination de La Samir. La situation les arrange et ils engrangent des bénéfices monstrueux. Par exemple cette semaine du 1er au 14 mars, le gasoil ne devrait pas être vendu plus que 11,7 DH, si on adoptait l’ancienne structure avant la libéralisation des prix. Sur le marché, le prix minimum est de 12,6 DH, c'est-à-dire DH de plus. Si on multiplie 1DH par 8,5 milliards liée à la consommation annuelle, c’est l’équivalent de 8,5 MMDH d’extra-bénéfices. Le cumul entre 2016 et 2022 est estimé à quelques 50MMDH. Si on raisonne intérêt nation et intérêt citoyen, cette affaire devra être réglée rapidement.

Vous avez organisé récemment un sit-in pour faite entendre votre voix et faire avancer les choses. Mais que proposez vous concrètement pour clore ce dossier?

Nous sommes à notre 110ème sit-in, depuis l’arrêt de La Samir. L’objectif est d’attirer l’attention de toutes les parties prenantes sur ce dossier. Les raisons originelles de création de La Samir imposent de préserver la raffinerie de Mohammedia ainsi que tous les équipements, constructions et investissements reliés directement ou indirectement à la construction et à l’extension de la cette raffinerie.

Dans la mesure où la continuité des installations de Mohammedia en tant qu’unité industrielle de raffinage du pétrole brut est le choix le plus opportun pour protéger tous les intérêts et droits rattachés à la raffinerie nous avons proposé différents scénarios pour la reprise de la production de la raffinerie.

En attendant l’issue des négociations de cession des actifs de l’entreprise et des solutions proposées pour dépasser les entraves à ce processus, la gestion libre reste la première option, d’application immédiate et ce en autoriser la poursuite de l’activité pour une période minimale de 3 années, permettant ainsi au syndic judiciaire de conclure un contrat de gestion libre ou un contrat avec une société spécialisée dans le domaine ou se reposer sur les possibilités internes de la société La Samir, avec l’aide des grands créanciers, afin de préserver prioritairement les moyens matériels et humains de la raffinerie et de redémarrer rapidement l’activité de production. Nous proposons également soit la cession aux tiers ou la transformation des dettes en participations au capital. D’autres scénarii proposés : la cession à une société mixte ou la récupération et la nationalisation. L’idée est ne pas se focaliser sur le problème, mais de trouver la solution idéale. Mais pour le moment rien de concret.

Est-ce que vous voyez le bout de tunnel aujourd’hui ?

Nous sommes toujours optimistes. Mais il faut agir rapidement. On risque de perdre trois fois plus de ce que nous avons perdu à date. La machine se dégrade, la richesse humaine s’effrite...sans parler de pertes liées à l’exploitation.