Le DG de BFM TV reconnaît l’ingérence des services de l’Etat
La commission d'enquête auditionne le DG de BFM TV (capture d'image de La Chaîne Parlementaire (LCP)

Revenons sur la fameuse et fumeuse affaire BFM TV Rachid M’barki. Comme on l’a déjà rapporté ici, une commission d’enquête de l’Assemblée nationale française a été mise sur pied pour savoir si oui ou non il existe une ingérence étrangère dans les médias. Ce n’est plus uniquement M’Barki qui est en question, mais plus largement le fonctionnement des rédactions dans la chaîne et donc, on peut le supposer, pourquoi pas, dans d'autres médias du pays. C'est le tour du directeur général.

Le début du commencement

Après avoir auditionné Rachid M’Barki, la commission est passé au directeur général Marc-Olivier Fogiel qui a tenu à préciser que le journaliste a été licencié pour faute grave, plus précisément le « manquement au processus de validation de la chaîne ».

Les députés ont alors voulu avoir s’il y avait ingérence de manière générale au-delà du cas de M’Barki.

Très honnête, le directeur général a affirmé qu’il n’avait aucune preuve d’une quelconque ingérence. L’audit interne que la chaîne avait lancé n’avait rien trouvé. Mais l’affaire a été portée devant la justice qui dira ce qu’il une st au juste.

Mais si le soupçon d’ingérence étrangère a été plus ou moins écarté, le directeur général, toujours aussi honnête, a du répondre à la question de savoir si les services de l’Etat intervenaient dans le processus de l’information de BFM TV. C’est là que l’honnêteté peut parfois ne pas être finalement une bonne chose. Voilà que le directeur général de BFM TV a dit exactement:

La main des services

« Il nous arrive et moi en premier chef d’échanger avec les services de l’Etat...On a des échanges pas très fréquents mais réguliers quand on a un doute sur des choses ou eux-mêmes vont nous signifier des choses.... Des échanges off réguliers ça arrive sans interventionnisme, jamais, mais en bonne collaboration ».

Je ne sais pas s’il savait ce qu’il disait mais il venait de révéler que les informations fournies par la chaîne sont monitorées par les services de l’Etat. Bien entendu, il n’a pas spécifié quels services. Mais on ne peut pas s’égarer, il ne peut s’agir que des services en relation avec la sécurité et surtout la sécurité extérieure. Cela pourrait être la DGSE.

Si c'est le cas pour une télé privée, que dire des chaînes internationales détenues par l'Etat, comme France 24, TV5, Radio France international...qui abreuvent l'Afrique, par exemple d'informations supposées être répondant à la déontologie journalistique.

Pourquoi c’est si important de revenir sur les propos de Fogiel? Eh bien, cela permet de comprendre que les informations livrées par les médias français ne sont pas toujours des choix éditoriaux des journalistes mais qu’elles peuvent être fournies, conçues et rectifiées par les services de l’Etat.

Le directeur général ira un peu plus loin pour expliquer que, quand il s’agit d’inviter des experts pour discuter d’une question importante, disons, le Mali, le Burkina Faso ou la Russie, la chaîne appelle « les services » pour demander leur avis.

« Il y a plusieurs experts sur les plateaux, certains peuvent servir des intérêts qu’on ne connaîtra pas », dit le directeur général. Donc, question, on fait quoi dans ces cas?

« Il m’arrivait, à plusieurs reprises de solliciter les services de l’Etat pour avoir des informations sur certains experts potentiels que je n’aurais pas, pour savoir s’ils étaient exempts de .......le dernier mot n'était pas audible, mais on a compris, exempts d’intentions malveillantes.

La déontologie torpillée

Ainsi, on le voit bien, « les services de l’Etat » ont un droit de regard, non seulement sur les informations, mais aussi sur les experts que la chaîne invite. Ce n’est donc pas un processus journalistique pur. Il y a une porte dérobée qui laisse passer un petit courant d’air qui appuie, ajoute, rectifie, supprime des informations et qui se permet même de donner son avis sur les experts.

Si on peut accorder le bénéfice du doute à Fogiel lorsqu’il dit qu’il n’a aucune preuve d’ingérence, on peut aussi lui reconnaître sa franchise quand il révèle au grand jour l’ingérence des « services de l’Etat ».

La commission n’a pas bronché. On vient de lui dire les yeux dans les yeux que les services de l’Etat contribuent à la fabrication de l’information. C’était clair, net et définitif puisque c’est venu de la bouche du directeur général luit-même. Les 250 journalistes de la chaîne ne sont donc pas libres. Ni du contenu, ni de la forme, ni des experts qu’ils aimeraient entendre dans leurs infos.

Marc-Olivier Fogiel a torpillé le mythe de la déontologie journalistique. A sa décharge, on peut le rassurer, c'est le cas de pas mal de médias dans son pays et un peu partout dans le monde.

Sait-on à Reporters sans frontières que les chefs des services de l'Etat participent à la cuisine?