"La discrimination positive pour réduire l’écart entre le monde rural et celui urbain"
Mohamed Dich, Coordinateur national de la Coalition civile pour la Montagne

Dans un récent rapport sur la pauvreté et l’équité, la Banque Mondiale (BM) a prévu que les niveaux de précarité vont augmenter au Maroc d’ici fin 2023, notamment dans le monde rural. Particulièrement vulnérables aux aléas climatiques et à l’injustice territoriale, comment ces zones vivent-elles cette mauvaise passe ? Le point avec Dr Mohamed Dich, Coordinateur national de la Coalition civile pout la montagne qui regroupe 120 associations.

Entretien

Dr Mohamed Dich, Coordinateur national de la Coalitioncivile pour la Montagne

   L’Observateur du Maroc et d’Afrique : Le rapport de la Banque mondiale a prévu une augmentation des niveaux de pauvreté au Maroc en 2023, en particulier dans le monde rural. A votre avis à quel point ces prévisions collent avec la réalité vécue par ces zones ?

Mohamed Dich : Certes, les prévisions de la Banque mondiale dans son dernier rapport, sont choquantes, mais elles restent cependant réalistes et objectives, il faut le reconnaître. Nous le constatons d’une manière concrète au quotidien sur le terrain. Même si le rapport a salué les efforts déployés par le Maroc pour alléger l’impact de la flambée des prix, il n’en reste pas moins réaliste par rapport aux répercussions sur le niveau et les conditions de vie des citoyens.

D’ailleurs les données de la Banque mondiale sont venues confirmer les constats du Haut commissariat au plan. Ce dernier a déjà prévu en octobre 2022, que 2023 sera une année dure et que la situation socio-économique sera difficile à plus d’un titre ; spécialement pour les catégories les plus vulnérables. Une situation due principalement aux lourdes répercussions de la pandémie Covid-19 et l’impact  de plusieurs années consécutives de sécheresse en plus de l’inflation. Ceci sans oublier la situation géopolitique délicate à l’international imputable à la guerre en Ukraine.

Et concernant le monde rural et les zones montagneuses ?

Le concours de ces circonstances a aboutit au final à l’aggravation des niveaux de pauvreté et de précarité en particulier dans les zones déjà fragilisées. En 2023, de nouveaux pauvres se sont ajoutés aux rangs déjà longs des populations vulnérables tandis que ces dernières ont vu leur situation s’empirer.

En termes chiffrés, plus de 3,5  millions de citoyens se sont appauvris suite à la crise Covid-19. Ce chiffre a été agrandi en 2022 et 2023 à cause des vagues de sécheresse et l’impact de l’inflation au niveau international et national. Le système socio-économique marocain vulnérable et inégalitaire a d’un autre côté approfondi davantage les écarts entre les couches sociales.

Le Maroc est ainsi revenu en 2022 aux niveaux de pauvreté de 2014. D’énormes efforts de développement économiques perdus et une rechute regrettable qui ont profondément impacté le niveau de vie, en particulier le taux de pauvreté qui est passé de 3,9% en 2021 à 6,8 %. Entre 2019 et 2021, ce taux est passé de 11,9% à 17,4% dans les zones rurales qui étaient particulièrement touchées. En 2023, les choses se sont aggravées davantage à cause de l’inflation  et selon les prévisions des experts, cette tendance se confirmerait au cours de 2024. Ceci toute en influençant le pouvoir d’achat et en creusant davantage les écarts entre milieux sociaux.  

A la coalition, vous avez toujours fustigé les inégalités et l"injustice territoriale dont souffrent les zones rurales et la montagne. Avec la conjoncture actuelle, comment la situation a-t-elle évolué pour les populations locales ?

Comme nous l’avons toujours soutenu et comme le confirment les différents rapports officiels, les inégalités territoriales  restent le premier obstacle à l’instauration d’une justice territoriale. Les premières victimes de cette iniquité et de ce grand écart restent les populations des zones rurales ; et encore plus celles des zones montagneuses. Les inégalités territoriales sont approfondies par plusieurs facteurs dont la sécheresse.

Cette dernière frappe de plein fouet les sources de revenus des populations locales telles l’agriculture  et l’élevage. La rareté des précipitations a d’ailleurs obligé un grand nombre d’éleveurs à se défaire de leurs bétails car désormais incapables de les nourrir. Les cultures vivrières pratiquées généralement dans les montagnes n’ont pas été épargnées non plus, en exposant les paysans à l’insécurité alimentaire et au besoin. 

Aussi, l’exclusion des services sociaux et l’absence d’opportunités d’emploi pour les jeunes provoquent des mouvements massifs de migration des zones rurales et montagneuses vers les villes. Profondément touchées par l’inflation et son impact, ces régions enregistrent des taux de précarité et de chômage doublement supérieurs à ceux constatés en milieu urbain.

Même constat pour le taux d’analphabétisme qui atteint parfois 90% dans certaines régions montagneuses. D’où l’importance de faire la distinction lorsqu’il s’agit de statistiques officielles. Ces dernières ont souvent tendance à mettre le monde rural et les zones montagneuses dans le même panier. Or ces dernières sont beaucoup plus vulnérables, plus enclavées et plus touchées par l’injustice territoriale et la précarité. 

Les programmes gouvernementaux de développement ont-ils vraiment servi les zones rurales et montagneuses ? Les populations ont-elles pu en bénéficier d’une manière effective ?

Pour commencer, nous pensons à la Coalition qu’une discrimination positive est plus qu’indiquée pour rattraper le grand écart en termes de développement entre le monde rural, spécialement les zones montagneuses  et celui urbain. Nous appelons également à l’octroi d’aides directes aux familles en situation précaire, surtout si l’annulation des  subventions de l’Etat sur certaines denrées essentielles est toutefois maintenue.

Ceci dit, au bout de plusieurs stratégies et programmes de développement adoptés par les différents gouvernements, le résultat sur le terrain en dit long sur leur efficacité !!! L’accès aux services, les infrastructures, l’enseignement, la santé, l’emploi… malgré les efforts déployés et les budgets colossaux consacrés, ces zones sont toujours à la traine en termes de développement. La cause ? C’est l’absence de vision globale et de stratégie multisectorielle impliquant tous les acteurs et les départements concernés.

Ce qui donne des résultats fractionnés, éparpillés et toujours insuffisants et incapables d’insuffler un progrès effectif et durable. L’exemple du plan Maroc vert reste éloquent car au lieu de développer ces régions et soutenir les agriculteurs locaux, le programme a attiré des investisseurs qui n’ont fait que surexploiter les ressources hydriques de ces régions en les desséchant et en les appauvrissant davantage.          

 

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