Fête du mouton. Le pouvoir d'achat déclare forfait
Sur le gril, des citoyens choisissent de zapper l'Aid cette année

Des Marocains ont choisi de ne pas fêter Aid Al Adha à cause des prix exorbitants des moutons… Un choix forcé ou une prise de position ? Témoignages

 

  A quelques jours de la fête du sacrifice, de nombreux Marocains ont décidé de s’abstenir cette année. Découragés par les prix hors de portée, ils choisissent de ne pas célébrer le rite religieux le plus «familial » et le plus apprécié.

Smig et « chwa » des prix

« Je suis un smigard comme il y en a des milliers comme moi. Marié et père d’une fillette. Avec les allocations familiales, mon salaire, ne dépasse point les 3200 dhs. D’habitude j’achetais mon mouton à 1500 dhs. Cette année, impossible de l’avoir à moins de 2500 dhs. Comment voulez-vous que je fête l’Aid avec de tels prix et en l’absence de prime spéciale  de mon employeur ? », s’insurge cet employé en Cablage sur la page « Le Salarié ».

Scandalisé par la cherté hors norme des prix des moutons, ce père de famille s’est retrouvé obligé de s’abstenir cette année. « J’ai décidé finalement de partir fêter l’Aid avec ma mère… A mon âge ! Mon message est juste pour vous rapprocher du vécu de beaucoup d’employés, qui souffrent  en silence  et dont le pouvoir d’achat est extrêmement compressé par cette flambée des prix qui n’en finit pas de nous malmener », partage, le verbe abattu, le jeune homme.

Sur le gril

Un découragement et une profonde amertume qui sont palpables dans la rue, dans les marchés de moutons et sur les réseaux sociaux.« Je suis une mère divorcée. Cadre dans une entreprise de Casablanca. Avec mes filles, nous avons décidé de ne pas célébrer la fête cette année. Ce sont elles qui m’ont encouragée à prendre cette décision délicate en me voyant désemparée et choquée par les prix. Ma mère a acheté un mouton à 4000 dhs et mon oncle  à 6000 dhs. C’est hallucinant !!! », nous raconte Hanane. K. 

Elle explique comment son choix a été désapprouvé par sa famille, et comment ils ont essayé de la dissuader. « Mais j’étais ferme. Au-delà du coût qui va provoquer un énorme déficit dans mon budget, c’était une question de principe. Pas question de nous faire extorquer de la sorte sous aucun prétexte et surtout à la veille des grandes vacances », argumente cette mère. 

Elle a d’ailleurs décliné toutes les invitations de sa famille de venir partager « leur mouton ». « Pas question ! Si mon budget est en souffrance, ma dignité, elle, se porte très bien », ironise-t-elle en tournant en dérision son « malheur ». 

Question de principe

Versant dans le même sens, Youssef. M, chauffeur de petit taxi à Casablanca, fustige « une arnaque sous prétexte de sécheresse ». «Normalement on avance l’argument de la sécheresse et la cherté des fourrages pour expliquer le coût cher de l’élevage et les prix élevés des moutons. Or cette année, la pluie est bel et bien tombée et en abondance même. Pourquoi donc nous infliger ces prix doublés voire triplés ? Je dis alors  Non ! » se révolte Youssef.

« Je ne vais pas m’appauvrir pour enrichir des éleveurs et des intermédiaires cupides  et insatiables », renchérit, désabusé, ce père de deux garçons en bas âge. Et ses enfants dans tout ça. N’ont-ils pas réclamé la bête en faisant fi des prises de position de leur père ? « Avec l’argent du mouton, je leur offre un petit voyage au nord. Quelques jours au bord de la mer. Ils adorent et ils sont aux anges rien qu’à en parler », assure-t-il, avec satisfaction.

Les "recalés" de l’Aid

Un choix réfléchi et une conviction en fer… Mais ce n’est pas le cas pour tout le monde. « Dans ma famille, on aime cette fête. C’est une occasion que l’on ne rate jamais pour se retrouver ensemble dans une ambiance conviviale et festive. Cette année, on est forcé de la zapper », se plaint Abdellah.B, téléopérateur dans un centre d'appel à Casablanca, vivant toujours avec ses parents et sa fratrie. Pourquoi ?« Pas moyen d’acheter un mouton à 4000 ou 5000 dhs avec mon salaire de 6000 dhs et avec toutes les charges qui pèsent la dessus » argumente-t-il. 

« La pension de retraite de mon père ne dépasse pas 1000dhs. Je vous laisse imaginer le décor. Du coup, nous avons décidé à contrecœur, de nous approvisionner en viande avant l’Aid pour ne pas rater l’ambiance à 100%. Quant au côté religieux, Dieu seul sait que c’est hors de notre volonté et que c’est un choix purement forcé. On n’y peut rien », justifie le jeune employé  en résumant la situation de la majorité des « Recalés de l’Aid » de cette année.