Protection de la démocratie israélienne. Jusqu’où peuvent aller les sécuritaires?
(De gauche à droite) Le chef du Shin Bet Ronen Bar, celui du Mossad David Barnea et le chef de l’armée Herzl Halevi.

« Jamais les chefs de la sécurité...ils constituent la dernière barrière dressée avant l’effondrement de la démocratie et la montée de la tyrannie », disent Yuval Diskin et Eli Bahar dans une tribune. En Israël la question fait l’actualité, comment ces responsables doivent-ils agir en cas de menaces sur la démocratie.

Israël vit une crise constitutionnelle qui s’exprime à la fois dans les paroles et les actes du cabinet et de la coalition gouvernementale au sens large. « La crise n’a peut-être pas atteint son point le plus grave, mais nous y sommes déjà profondément enfoncés » mettent en garde Yuval Diskin et Eli Bahar dans une opinion sur Haaretz. 

La réflexion qu’ils vont élaborer mérite toute l’attention. Elle parle du rôle des sécuritaires dans la protection de la démocratie. 

Et ce sont justement deux sécuritaires qui en parlent dans l’article d’opinion en question. Yuval Diskin a dirigé le service de sécurité du Shin Bet de 2005 à 2011. Eli Bahar en a été le conseiller juridique. 

« Jamais les chefs des agences de sécurité israéliennes n’ont assumé une responsabilité aussi lourde. Eux et leurs collègues constituent la dernière barrière dressée avant l’effondrement de la démocratie et la montée de la tyrannie », disent les auteurs qui argumentent en rappelant quelques faits qui sont pour eux des entraves à la démocratie: « Lorsqu’un Premier ministre refuse de dire s’il tiendra compte d’un arrêt de la Cour suprême ; lorsque la coalition informe les juges qu'ils ne peuvent pas abroger les lois fondamentales ; Lorsque les législateurs de la coalition déclarent ouvertement, certains en utilisant un langage grossier, qu’ils ne tiendront pas compte de la décision du tribunal, il s’agit d’une violation extrêmement grave du système démocratique de freins et contrepoids », estiment-ils, soulignant que « la base principale de ce système est le devoir du gouvernement de respecter la loi ». 

Au lieu de cela, les deux auteurs ont relevé des dysfonctionnements très graves selon eux: « La crise constitutionnelle est en réalité bien plus large et touche de nombreux domaines, dans le but d’affaiblir et de délégitimer toute source potentielle de pouvoir d’opposition. C’est la raison qui sous-tend les mesures visant à affaiblir le chef d’Etat-major de Tsahal et le chef du service de sécurité du Shin Bet. C'est ce qui se cache derrière les mesures visant à saper le monde universitaire et à abolir l'unité du ministère de la Justice chargée d'enquêter sur les mauvaises conduites de la police ». Ainsi présentée la crise paraît effectivement inquiétante. 

Alors que doit-on faire si le gouvernement ne respecte pas la loi? Tel est le sujet.

Il y a d’abord ce principe, rappelé par les auteurs, qui stipule que les sécuritaires « doivent toujours obéir à l’Etat de droit tel qu’interprété par le procureur général et le système judiciaire dirigé par la Cour suprême ».

Comment les chefs des agences de sécurité doivent-ils agir ? « Cette question repose sur la reconnaissance du fait qu’un gouvernement qui, dans ses paroles et ses actes, viole la loi et s’efforce activement d’affaiblir les fondements démocratiques du pays est un gouvernement dont chacune de ses actions est suspecte, car il a perdu sa légitimité », avancent les auteurs, précisant que cette situation "d’anarchie gouvernementale met en danger la sécurité nationale et le bien-être des Israéliens et porte atteinte à la dissuasion et à la capacité d’Israël à se défendre". 

Ainsi, les chefs de la sécurité « ont le devoir d’examiner chaque directive du gouvernement, de s’assurer que les instructions qu’ils reçoivent sont licites et conformes aux valeurs démocratiques. Ils doivent également consulter leurs conseillers juridiques et le procureur général en cas de doute », proposent les anciens membres du Shin Bet.

Plus concrètement, cette obligation concerne « des cas où les revendications ont une forte connotation politique, comme l'ordre de traquer les manifestants antigouvernementaux, d'enquêter sur les rivaux politiques ou de garder les autorités à l'écart des contrevenants ayant des liens étroits avec la coalition ».

Les responsables de la sécurité doivent garder clairement à l'esprit leurs principes d'action et s'y tenir, chacun séparément et tous ensemble, prônent les auteurs qui disent aux sécuritaires que « l'indépendance et le professionnalisme du tribunal constituent un gilet pare-balles juridique pour vous et votre peuple » et que le non respect du tribunal les expose ainsi que leurs subordonnés « à des enquêtes et à des poursuites à l’étranger ». Bref, ils mettent en garde les sécuritaires: "un affaiblissement du tribunal met directement en danger la protection juridique de vous-mêmes et de vos agences ».

Pour les auteurs, les responsables de la sécurité doivent se méfier particulièrement de toute offensive militaire que le gouvernement cherche à lancer, et être unis pour examiner leur nécessité. « Si vous concluez qu'une opération n'est pas nécessaire, ou qu'elle est entachée d'arrière-pensées, vous devez vous y opposer, séparément et ensemble », leur conseillent-ils.

Les conseils des auteurs s’adressent aussi à la commission de nomination des hauts fonctionnaires qui « doit elle aussi prendre la mesure du poids de sa responsabilité. Tout candidat à un poste de haute sécurité qui évite le principe de suivre les décisions de justice et les instructions du procureur général n'est pas apte à occuper un poste de haut niveau dans la fonction publique. C'est particulièrement le cas pour un poste de sécurité, soulignent les auteurs.

Le débat n'est certainement pas clos, mais dans des démocraties où l'accès au pouvoir est garanti pour tous, il y a vraiment des risques. Il peut arriver que des tendances non démocratiques utilisent la démocratie pour parvenir au pouvoir et renverser l'ordre par la suite. C'est ce que les Islamistes ont fait en Egypte par exemple. L'une de leurs premières mesures a été de s'attaquer au pouvoir judiciaire afin de le soumettre à leur volonté. En tout cas, le débat reste d'une très grande actualité. 

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