Interview - Elad Levi : « La musique andalouse, c’est toute ma vie ! »

Musicien dans l’âme depuis son tout jeune âge, le violoniste prodige, arrangeur et directeur musical a livré avec son groupe Andalucious, un concert inédit à Dar Souiri lors de la 15e édition du Festival des Andalousies Atlantiques. Vouant un amour inconditionnel pour la musique andalouse traditionnelle, ce musicien hors norme connu pour ses compositions originales nous parle de l’importance de transmettre cet art aux générations futures tout en conservant son côté traditionnel.

 

 

 

Ce n’est pas votre 1ère fois à Essaouira. Vous êtes un peu habitués aux lieux ici. Quel est votre sentiment de revenir jouer dans ce festival si spécial ?

 

Pour moi, revenir à Essaouira, c’est comme être à la maison. C’est quelque chose que je ne ressens pas ailleurs ; il y a quelque chose d’unique dans cette ville ! J’étais à Marrakech il y a quelques mois et j’en avais profité pour faire un saut à Essaouira et c’est toujours le même sentiment. J’éprouve un besoin profond de vivre ici, chaque coin, chaque pierre, chaque personne que je rencontre ici, c’est comme si on se connaissait depuis 20 ans… Mon père est de Tiznit mais sa mère l’envoyait à chaque fois en vacances à Essaouira. Il y a quelque chose dans cette ville que je ne peux pas expliquer !

 

Vous et votre groupe Andalucious avez subjugué le public avec votre show à Dar Souiri.

 

Oui, c’est un endroit très spécial, c’est intime mais en même temps, il y avait un monde fou. Il y a tellement d’énergie qui émane du public, et pour un musicien, c’est juste parfait pour exceller. Dès la 1ère seconde, un sentiment de joie vous envahit et vous voulez que tout soit parfait. C’était comme une grande fête, sans tickets ni costards, comme si on jouait dans une grande maison ! Le public ici est spécial, on peut voir Juifs et Musulmans ensemble, c’est incroyable ! Je pense que c’est le seul endroit au monde où quelque chose comme cela peut se produire !

 

C’est facile pour des jeunes de jouer cette musique en Israël, vu qu’elle a été longtemps dénigrée ?

 

Quand les Juifs marocains sont arrivés en Israël, leur culture n’était pas valorisée. La culture principale venait d’Europe, les jeunes n’avaient que de mauvais échos à propos de la musique andalouse marocaine ! Aujourd’hui, il y a une nouvelle génération qui veut écouter de la vraie musique traditionnelle andalouse. Moi, j’ai grandi avec cette musique depuis l’âge de 6 ans, je sais que c’est la meilleure musique au monde. Certains membres de mon groupe sont d’origine russe ou polonaise et n’ont aucune connexion avec cette musique, certains d’entre eux viennent du jazz,… pourtant, ils l’adorent et ne veulent plus entendre parler d’aucune autre musique !

 

Vous n’avez pas choisi la musique andalouse, c’est elle qui vous a choisi ?

 

Quand j’étais enfant, j’avais une belle voix alors mon père m’a envoyé apprendre les Piyoutim (chants liturgiques en hébreu), j’aimais bien chanter. Et puis, lors de la fête de fin d’année, j’ai vu mon professeur de violon, j’avais 7 ans, il avait un petit gabarit, mais était vêtu d’une Djellabah et d’un Tarbouch,… tout d’un coup, je me suis retrouvé transporté au Maroc, impressionné par son allure de roi ! J’ai dit alors à mon père vouloir être comme lui, tel un roi ! Mon père a cru que j’étais fou, mais comme j’étais obstiné, j’ai fini par le convaincre. La musique andalouse m’a choisi mais moi, j’ai choisi le violon !

 

Vous saviez à cet âge que vous vouliez en faire votre carrière ?

 

Non, je n’ai jamais pensé vivre de cet art mais ces 15 dernières années en Israël, tous ces styles (yéménite, marocaine, arabe, grecque,…) sont soudainement devenus plus respectés et le public a commencé à les apprécier. La musique occidentale n’avait plus le monopole !

 

Pensez-vous que la musique a le pouvoir de changer réellement les choses ?

 

Je pense que la musique joue sa part mais ça ne devrait pas être une condition. On doit être amis parce qu’on est des êtres humains, pas parce qu’on a une culture en commun ! Je crois que le travail doit s’opérer à la base, tout est question d’éducation !

 

Vous avez formé un groupe « Tarab Al Qods » pour jouer de la musique traditionnelle andalouse.

 

Une des choses qui m’a impressionné à Fès, c’était cet orchestre qui jouait chaque matin pendant une heure avant d’aller travailler ! En Israël, il n’y a pas moyen de faire cela, la vie est très stressante. C’est pour cela je voulais former ce groupe pour jouer librement avec mes amis des morceaux plus élaborés, au-delà des titres connus comme Chams 3achiya, … sans se soucier du public. La plupart des musiciens du groupe ne connaissent pas la musique andalouse mais on arrive à jouer ensemble. C’est comme une rencontre musicale, sociale, on est comme des frères !

 

Vous enseignerez ce style à vos enfants ?

 

Il y a une semaine, ma fille de 6 ans m’a dit qu’elle voulait jouer du violon comme moi, sur les genoux ! Je crois que pour comprendre la musique marocaine, vous devez être nés marocain ou avoir un père marocain ... Dans l’école où j’enseigne, la plupart des étudiants sont Ashkénazes et ne comprennent pas le rythme du chaâbi. Ma fille, elle, avait le rythme dans la peau dès l’âge de 2 ans ! Mes enfants ont grandi dans cet environnement, donc, pour eux, ça coule de source.

 

Que représente pour vous cette musique ?

 

L’immense Rabi Haim Louk m’a dit une fois : « comment tu sais que la musique andalouse est la vraie musique dans la vie ? »  Il m’a répondu « qu’en réunissant les premières lettres des trois pays où la musique andalouse est jouée: Algérie, Maroc, Tunisie… : ça donnait le mot « vrai » en hébreu. Je pense qu’il y a quelque chose dans cette musique qui émane d’une autre force et que ses écrits ne sont pas humains ! Certaines mélodies, si vous les jouez au piano, vous obtenez une mélodie d’une puissance inégalée ! C’est spirituel ! La musique andalouse a un pouvoir unique de toucher votre cœur, sans jamais vous forcer à l’apprécier ! En fait, quand je joue de la musique andalouse, je me sens royal.

 

Y a-t-il un autre genre musical qui vous attire ?

 

J’écoute différents styles musicaux tout le temps (Dépêche Mode, du Jazz…), c’est ce qui rend mon style différent. Mais la musique andalouse, c’est toute ma vie.

 

Vous composez ?

 

Oui, mais je suis très dur avec moi-même, je ne suis jamais satisfait de mes compositions. Sur scène, il ne suffit pas que le public soit enchanté, il faut aussi que le musicien soit convaincu de sa prestation. Il faut être parfait tout le temps, qu’on joue pour une ou plusieurs personnes. C’est important pour moi de faire des arrangements, de mettre cette musique à jour tout en conservant son côté traditionnel. C’est ce mélange parfait qui permet de la maintenir en vie. On ne peut pas forcer les gens à l’aimer, on doit toujours trouver un terrain commun où se rencontrer. Le fait d’avoir une guitare électrique en background dans mon groupe ne dérange pas vraiment parce que ça reste fidèle au morceau traditionnel. Mais c’est la même mélodie, avec une touche différente ! Je suis doué pour arranger les morceaux existants qui vont plaire au public, mais j’ai du mal à apprécier mes propres créations. Et c’est sur quoi je compte travailler les prochaines années, arranger mes propres mélodies !

 

Comment dirigez-vous votre groupe ?

 

Je ne peux pas enseigner à quelqu’un s’il n’est pas mon ami. Cela ne veut pas dire que je suis trop indulgent. Lors de nos répétitions amicales, je suis très dur avec mes musiciens, mais ça n’a rien de personnel, je critique juste leur façon de jouer. Pour les motiver, j’essaie de leur faire prendre conscience de la chance qu’ils ont de pratiquer cet art et que le fait de jouer à Essaouira, c’est une aubaine pour eux, c’est historique ! On prend beaucoup de plaisir à jouer ensemble et le public le ressent, il sent que c’est vrai et pas artificiel.

 

Qu’aimez faire dans la vie à part la musique ?

 

J’adore enseigner et jouer de la musique. Cette année, j’ai décidé de ralentir mon rythme pour me consacrer à la composition. Je ne considère pas la musique comme un métier mais comme un privilège ! J’aime les films mais je ne les regarde pas, j’aime la télévision mais je n’en ai pas une chez moi. Je pense que c’est une perte de temps et d’énergie. La plupart de mon temps est consacré à la musique, à ma famille et à mes amis.  C’est ma 6e fois au Maroc et je n’ai pas eu le temps de visiter le pays. La prochaine fois, je viendrais sans mon violon, pour sentir les lieux, mieux connaître le pays, m’imprégner de la culture, connaître les gens...Je n’ai pas grandi ici mais je ressens un lien très fort avec ce pays !