Les jeunes marocains planent avec "Neffakha"
Drogue bon marché à effet euphorisant immédiat... elle séduit les jeunes

Détourné de son usage médical et culinaire, le protoxyde d'azote ou le gaz hilarant est de plus en plus prisé par les jeunes fêtards marocains. Pour une dose d'euphorie ponctuelle, ils mettent leur santé et leur vie en danger. Plongée à corps perdu dans l'univers de " Happy balloon "

Vendredi dernier, cinq personnes ont été arrêtées par les éléments de la Sûreté nationale à Casablanca et à Marrakech. Motif ? Trafic de protoxyde d'Azote. Plus de 150.000 cartouches de ce gaz ont été saisies lors de cette nouvelle opération qui n'est ni la première ni la dernière du genre. Détourné de son usage médical en anesthésie en tant qu'analgésique, le "proto" s'est trouvé une nouvelle vocation, festive cette fois : Drogue euphorisante à effet immédiat très prisée par les jeunes et les adolescents.

Neffakha pour les intimes

" S'il t'arrive de te balader du côté des boites de nuit et des pubs à Ain Diab, tu peux remarquer les balons multicolores jonchant le sol. Ce n'est pas une décoration d'anniversaire égarée ou le résultat d'une activité ludique, c'est l'indice d'une consommation  de protoxyde ou de "nefakha" comme l'appellent les intimes ", nous explique Youssef. M, chauffeur de petit taxi qui opère la nuit sur cette zone de Casablanca, particulièrement connue pour son activité festive nocturne.

Les capsules du " bonheur" !

Neffakha, Happy Balloon, proto ou encore gaz hilarant... Les appelations diffèrent, mais décrivent toutes l'effet escompté de ce gaz détourné de son usage médical pour aider les jeunes à planer. " Le protoxyde d’azote (molécule N2O) est un gaz incolore et inodore employé en médecine pour ses propriétés anesthésiques et analgésiques. Son usage est réglementé. Il est normalement conditionné sous forme de bonbonnes de grand volume. Il est utilisé en milieu hospitalier notamment dans les services d'urgences ou de pédiatrie, combiné à l'oxygène ", nous explique Dr Jamal Eddine Kohen, Président de la Société marocaine d’anesthésie, d’analgésie et de réanimation (SMAAR).

Cancerigène

D'après le spécialiste, il y a quelques années il était obligatoire d'être équipé de circuits dédiés à ce gaz avant l'ouverture de tout site hôspitalier qu'il soit publique ou privé. De l'histoire ancienne... Selon le président de la SMAAR. Actuellement l'usage du Protoxyde serait largement limité voir absent en anesthésie.

" Il est utilisé parfois en sédation en Urgences ou en pédiatrie. Cette utilisation très réduite s'explique par les effets toxiques et néfastes avérés de ce gaz surtout en exposition prolongée chez le personnel médical ", nous explique Dr Kohen. Cancerigène, le protoxyde pourrait également provoquer des malformations comme l'explique le spécialiste.

Gaz à effet de serre 

Ce dernier attire notre attention également sur son impact nocif sur l'environnement. D'après la SFAR ( Société française d’anesthésie et de réanimation ) le protoxyde d’azote est un gaz à effet de serre qui contribue activement au réchauffement climatique en absorbant et en émettant le rayonnement infrarouge dans l'atmosphère.

Gaz à effet de serre !

Pire encore, son potentiel de réchauffement global (PRG) est beaucoup plus élevé que celui du dioxyde de carbone (CO2). Ecorme ? Certes, surtout lorsqu'on considère sa durée de vie dans l'atmosphère: Il peut rester dans l'atmosphère pendant plusieurs décennies. Même émis en petites quantités, il peut avoir un lourd impact sur le climat à long terme.

" Démocratisation " des drogues

Gaz médical dont la manipulation est assez délicate, comment le protoxyde d'azote s'est-il transformé en Happy Balloon ? En une dorgue à portée de main de jeunes consommateurs ? " Il faut dire que les tranfiquants arrivent toujours à détourner des substances médicales en synthétisant des molécules similaires ou en faisant appel à des procédés chimiques pour potentialiser l'action initiale et provoquer l'effet euphorisant comme c'est le cas pour le protoxyde d'Azote. Ceci tout en offrant un produit bon marché et à la portée ", tente d'expliquer le président de la SMAAR.

Ce dernier évoque d'ailleurs une certaine " démocratisation des drogues". Une idée qui se confirme par les recherches que nous avons effectuées en élaborant cet article. " Je travaillais chez un caviste au centre ville de Casablanca et on vendait les capsules de proto. On en trouvait même chez les bureaux de tabac en détail ", nous assure Imad. B, jeune vendeur qui nous a par ailleurs expliquer comment un tel gaz se retrouve en " vente libre ". " Il est utilisé en patisserie ! C'est le subterfuge pour se procurer leur dose pour beaucoup d'utilisateurs ", note le jeune homme. Surprenante utilisation pour un gaz anesthésiant ?

Usage culinaire, la voie ouverte 

En effet en plus de son usage médical, le protoxyde d'azote est également commercialisé comme gaz de compression dans les cartouches pour siphon à chantilly. Mieux encore, il est accessible dans les commerces et sur Internet. Une petite recherche sur google, nous a permis de trouver différentes offres. Sur un site marchand, nous avons trouvé une offre "alléchante" : " Une boite de 25 capsules Azote pour siphon chantilly à 399 Dhs ".

Le vendeur se défait cependant de toute responsabilité en cas de détournement de fonction de son produit en affichant une mention en gras est mise bien en évidence : " Vente pour usage en cuisine seulement. En cas de doute la commande sera annulée ", met-on en garde sur le site.

En vente libre ... pour usage culinaire

Cette mise en garde est-elle suffisante pour dissuader des consommateurs en addiction et ne manquant guère d'idées pour se procurer leur drogue ? Comment ce site marchand et les autres "distributeurs" de ces capsules à usage culinaire peuvent-il vérifier " leurs doutes " par rapport à la véritable motivation de leur clients ; surtout lorsqu'il s'agit d'une vente en ligne ?

Un contrôle qui semble si difficile et qui reste une tâche assez compliquée comme nous l'explique Dr Jamal Eddine Kohen. " Le processus de production et d'industrialisation de ce gaz est assez sophistiqué et demande une certaine maîtrise. Ces capsules sont fort probable produites ailleurs et introduite au Maroc en contre-bande ", remarque le président de la SMAAR.

Contrebande ?

Des propos qui sont par ailleurs confirmés par le contenu d'une circulaire de l'Administration des douanes et des impôts indirects datant du 16 août 2022 (Circulaire N° 6359 311). Ayant pour objet : " Les restrictions quantitatives à l'importation ", cet arrêté désigne en effet le Protoxyde en capsules comme faisant partie des marchandises soumises à des restrictions quantitatives à l'importation et à l'exportation.

" Conformément aux dispositions de ce nouvel arrêté, l'importation des capsules de protoxyde d'azote est soumise à licence d'importation ", précise la circulaire. Un moyen pour limiter le flux du gaz hilarant et d'assurer de ce fait sa traçabilité une fois arrivé au Maroc ? En tout cas la circulaire a pris effet à partir d'août 2022. En parrallèle, plusieurs opérations d'interception et de saisie d'importants  lots de ce gaz hilarant sont effectuées par les services de la sûreté et de la douane, au port Tanger Med et ailleurs.

Le protoxyde d'azote est soumis à des restrictioons quantitatives d'importation

On s'alarme 

Déjà en 2015, le Centre antipoison du Maroc (CAPM) mettait en garde contre l’utilisation récréative du gaz hilarant . Dans une alerte spéciale, le Centre s'alarmait par rapport aux dangers et aux risques de ce produit pour la santé humaine. Mis à part son effet euphorisant très recherché, le "proto" peut provoquer des rires incontrôlés, une sensation d’ébriété, des distorsions auditives ou visuelles. Un effet immédiat et rapide à apparaitre et à disparaitre qui vaforise une utilisation répétitive à une fréquence soutenue.

Cible favorite : Les jeunes

Loin d'être anodine, l'inhalation de ce gaz peut entraîner des intoxications aigues voire des complications plus graves sur le court et le long terme, comme nous le confirme Dr Kohen. De son côté le CAPM évoque des conséquences immédiates neuropsychiatriques telles l'anxiété, la panique, les vertiges ou encore les céphalées aigues, la faiblesse musculaire, les gelures du nez, des lèvres, du larynx et des poumons. ceci sans oublier les troubles psychiques.

Mourir... de " joie "

Le centre met en garde contre d'autres effets beaucoup plus nocifs tels l’hyperthermie maligne, la perte de conscience, l’arrêt cardiaque chez les personnes souffrant de problèmes cardiovasculaires avec risque élevé de décès. A forte dose, le proto peut provoquer une hypoxie ( manque d’oxygène) pouvant entraîner la mort. A long terme et avec un usage chronique, ce gaz peut entraîner l’impuissance sexuelle chez l’homme et l'infertilité féminine ainsi que des troubles sphinctériens et des hallucinations.

Le CAPM insiste par ailleurs sur le grand danger de ce mésusage pour la survie de consommateurs. Neuf ans après cette alerte, est-ce que la consommation de cette drogue a-t-elle diminué ou tout au contraire l'engouement pour son euphorie artificielle a gagné du terrain ? En l'absence de chiffres officiels et d'études sur cette " nouvelle " addiction, on ne peut se prononcer surtout avec les nouveaux circuits de "commercialisation" en ligne et ailleurs. Le Maroc devrait-il organiser une riposte multidimentionnelle anti-proto pour en limiter l"étendue ? A suivre