Emploi des femmes. Ces obstacles qui persistent
En 2023, le taux d'activité des femmes ne dépasse pas les19%.

La baisse continue du taux d'activité au Maroc, surtout chez les femmes, demeure un défi de taille. Porter ce taux à 45% d'ici 2035 se heurte à des obstacles économiques, sociaux et culturels. Une étude du HCP s'est penchée sur cette question, en mettant en lumière les défis spécifiques dans les régions de Casablanca-Settat et de l'Oriental. Principaux enseignements.

Le taux d'activité au Maroc a connu une tendance à la baisse depuis le début des années 2000, passant de 53,1% à 43,6% en 2023, comparativement à une moyenne mondiale de 60%. Bien que cette diminution affecte à la fois les hommes et les femmes, l'écart entre leurs taux d'activité révèle que l'inactivité concerne surtout les femmes. En 2023, cet écart s'est élevé à près de 50 points de pourcentage, avec un taux d'activité de 69% pour les hommes contre seulement 19% pour les femmes, plaçant le Maroc parmi les pays ayant les taux d'activité féminin les plus bas au monde. Ces disparités sont exacerbées par un chômage élevé chez les femmes, leur concentration dans des secteurs précaires, et les pressions démographiques en cours.

D'ici 2035, l'objectif ambitieux est de porter le taux d'activité des femmes à 45%. Cependant, la réalisation de cet objectif est compromise par des défis économiques, sociaux et culturels. Une étude récente menée par le HCP confirme ces obstacles. Elle se concentre sur une analyse approfondie de la participation des femmes sur le marché du travail au Maroc, en mettant l'accent sur les régions de Casablanca-Settat et de l'Oriental. Le HCP explique que le choix de ces régions se justifie par leurs différences significatives dans les taux d'activité des femmes et des hommes, ainsi que par leurs contextes économiques, démographiques et sociaux distincts.

Analyse qualitative

Alors que le taux d'activité féminine demeure modeste dans la région de l'Oriental, ne dépassant pas 15,6%, il est nettement plus élevé à Casablanca-Settat, atteignant 28%. Outre ces écarts, la densité de population et le degré d'urbanisation constituent également des facteurs clés qui varient entre ces deux régions.

L'analyse du HCP met en lumière des disparités dans les probabilités d'inactivité, notamment chez les femmes. Si les hommes des deux régions affichent des probabilités similaires d'inactivité, oscillant autour de 7 à 8%, les femmes présentent des taux bien plus élevés, atteignant 68% à Casablanca-Settat et 81% dans l'Oriental. Les profils des femmes inactives mariées dévoilent des différences significatives. Dans les deux régions, les jeunes femmes sans diplôme ou avec un diplôme moyen, ayant des enfants dans le ménage, affichent les taux d'inactivité les plus élevés, dépassant les 90%. Les femmes d'âge moyen sans enfants dans le ménage présentent également des taux élevés, particulièrement dans l'Oriental. En revanche, les femmes mariées ayant un diplôme supérieur affichent des taux d'inactivité nettement inférieurs, avoisinant les 41%. Pour les hommes mariés, les probabilités d'inactivité sont très faibles pour tous les profils, avec des taux n'excédant pas 18%, soulignant le poids des responsabilités familiales pour les hommes et leur impact sur leur participation au marché du travail.

L'analyse des profils des femmes inactives célibataires révèle des disparités significatives entre les deux régions étudiées. Les femmes célibataires sans diplôme ou avec un diplôme moyen présentent les taux d'inactivité les plus élevés, atteignant 75% dans l'Oriental et 53% à Casablanca-Settat. Selon le HCP, ces chiffres reflètent les défis particuliers auxquels sont confrontées ces femmes sur le marché du travail, indépendamment de leur statut matrimonial. En revanche, les femmes célibataires ayant un diplôme supérieur affichent des taux d'inactivité moins élevés, estimés à 13% à Casablanca-Settat et 27% dans l'Oriental. Cependant, la présence d'enfants dans le ménage peut considérablement augmenter la probabilité d'inactivité pour ce groupe, en particulier chez les femmes plus âgées.

Education Vs marché de travail

Selon les résultats de l’étude du HCP, dans la région de Casablanca-Settat, l'éducation est un déterminant majeur de la participation des femmes au marché du travail. Les femmes célibataires ayant un diplôme supérieur affichent une faible probabilité d'inactivité, à seulement 17%. En revanche, celles sans diplôme ou avec un diplôme moyen présentent des taux d'inactivité bien plus élevés, atteignant environ 40% et 62% respectivement. Cette tendance est encore plus prononcée dans l'Oriental, où les femmes sans diplôme ont une probabilité d'inactivité atteignant 81%.

Cependant, à Casablanca-Settat, les femmes célibataires sans diplôme et sans enfants dans le ménage ont une probabilité d'inactivité de 58%, tandis que dans l'Oriental, elle grimpe à 82%.

Par ailleurs, dans les deux régions, d'autres facteurs tels que le statut matrimonial et la présence d'enfants dans le ménage jouent également un rôle crucial dans la décision des femmes de travailler ou non. Les femmes célibataires présentent des probabilités d'inactivité comparables à celles des hommes, mais des différences significatives sont observées pour certaines catégories spécifiques, notamment les femmes célibataires âgées de 35 à 44 ans et de 45 à 59 ans ayant des enfants dans le ménage, où les taux d'inactivité sont beaucoup plus élevés dans l'Oriental que dans Casablanca-Settat.

Contraintes à lever

Une analyse qualitative approfondie, basée sur 22 focus groupes regroupant 274 femmes des régions de l'Oriental et de Casablanca-Settat, révèle une série de défis complexes et interconnectés. Parmi ceux-ci, le « refus familial » émerge comme un obstacle majeur, souvent exprimé par le conjoint et influencé par les normes sociales et culturelles même en cas de besoin financier. Cette opposition est plus prononcée dans l'Oriental que dans Casablanca-Settat, illustrant des attitudes régionales variées envers l'emploi féminin. Parallèlement, Les contraintes économiques peuvent temporairement transgresser les normes sociales traditionnelles, conduisant à une réévaluation des attitudes envers le travail féminin, notamment à Casablanca-Settat où « le besoin financier » peut favoriser l'acceptation de l'emploi des femmes.

De plus, « la nature du travail » est un autre facteur majeur. Ainsi, les emplois dans la fonction publique sont mieux acceptés socialement que ceux dans des domaines traditionnellement féminins comme l'esthétique ou la couture. Cette différence de perception est plus marquée dans l'Oriental que dans Casablanca-Settat. La charge mentale et la conciliation travail-famille s’ajoute également à la liste. La gestion déséquilibrée des responsabilités domestiques crée une charge mentale importante pour les femmes, en particulier à Casablanca-Settat. Dans l'Oriental, un soutien familial plus substantiel peut alléger cette charge. Enfin, les conditions de travail, y compris les inégalités salariales, l’harcèlement, l'abus et la discrimination représentent des défis supplémentaires pour les femmes cherchant à s'intégrer professionnellement. La précarité des contrats et les salaires insuffisants sont des obstacles supplémentaires, plus prononcés dans l'Oriental que dans Casablanca-Settat.

Recommandations phares

Pour le HCP, ces résultats soulignent l'importance d'adopter des politiques publiques transformatrices pour promouvoir l'égalité des genres et l'inclusion des femmes sur le marché du travail, en tenant compte des spécificités régionales et des normes sociales. Le HCP préconise aussi de promouvoir une culture de l'égalité, notamment en termes d’accès à l’éducation pour les filles et d’encouragement à la scolarisation et à la formation continue des femmes. Il précise également que les politiques publiques devraient être accompagnées de mesures facilitant la conciliation entre vie professionnelle et obligations familiales, telles que l’investissement dans les services permettant la tertiarisation des tâches domestiques et le développement des services de garde d'enfants accessibles.