" Dar nssa ", dans l'enfer de l'inceste
Des femmes aux prises avec leur destinée

" Dar Nssa ", la série marocaine à succès provoque la polémique en traitant des thèmes tabous. Inceste, pédophilie, droits des mères célibataires... Ses créatrices sont accusées de s'attaquer aux valeurs fondamentales de la société marocaine.

La nouvelle série " Dar Nssa" aurait-elle donné un coup de pied dans la fourmilière ? A en croire la polémique que le feuilleton ramadanesque provoque depuis le début de sa diffusion, on dirait que ses créateurs ont touché une corde sensible.

Co-écrit par le trio Nora Sqalli, Jawad Lahlou et Samia Akariou et réalisé par cette dernière, " Dar Nssa" est un véritable succès en termes d'audience. Si au bout de quelques épisodes, la série a attiré 4,5 millions de téléspectateurs, elle n'a pas tardé, quelques épisodes plus tard, à drainer plus de 9,5 millions de téléspectateurs. Son secret ? Une histoire aussi captivante qu'émouvante, celle d'une famille tangéroise déchirée par un secret sordide.

Petits viols en famille

Les événements se déroulent dans une "houma" (quartier populaire) de la ville du Détroit. Amina, une mère de famille au caractère fort tente de mener son monde tout en trainant un lourd fardeau. Dix ans plutôt, elle a découvert que son mari violait à tout va sa fille Nadia au sein même du foyer familial. Ne soupçonnant rien, elle n'imaginait pas que son mari bien aimé était le père de l'enfant que portait son adolescente de fille.

Jusqu'au jour fatidique où elle découvre l'insoutenable vérité et commet l'irréparable en tuant son violeur de mari. Elle l'enterre dans un terrain vague avec l'aide de son amie et sa mère et envoie sa fille en Espagne pour la protéger. Ceci tout en tentant de mener une vie normale avec ses autres enfants en prétendant que le mari a également migré clandestinement.

Des vies boulversées et des destins brisés à cause de la loi du silence qui règne encore sur des sujets jugés tabous. C'est le message principal que le feuilleton tente de passer tout en sensibilisant à la souffrance des victimes. Un objectif qui vaut la peine vu les réactions fortes soulevées par les thématiques évoquées par la série. Quelques épisodes à peine et voici que le débat bat son plein sur les réseaux sociaux.

Critiques

" Je ne comprends pas pourquoi diffuse-t-on de tels insanités à une heure de grande audience pendant le mois sacré. C'est vraiment honteux de parler de tels sujets alors que les familles sont au complet devant leurs téléviseurs ", s'insurge un internaute en critiquant les auteurs de la série et Al Aoula qui la diffuse. " Lorsqu'on essaie de compatir avec cette fille tombée enceinte hors mariage, ayant fuit sa famille et s'entêtant à garder son bébé, ce n'est pas une incitation à la débauche ça ? ", ajoute-t-il, en colère.

Pour une autre internaute, " Ce type de série s'attaque frontalement à nos valeurs sociales et familiales marocaines. Qu'est ce qu'on essaie de nous faire comprendre ? Qu'il n'y a plus de confiance même dans les plus proches ? Que l'on doit se méfier même au sein de nos foyers ? Qu'il n'y a plus de valeurs et de respect ? ", s'exclame-t-elle. Une indignation et une incrédulité qui prend les allures d'un pur déni pour certains internautes refusant de reconnaitre que de telles choses puissent arriver chez nous.

" Vous avez consommé trop de productions turques et occidentales et vous tentez de calquer des modèles sociaux pourris sur la société marocaine pour faire du sensationnel tout court. Honte à vous ! ", attaque un internaute en colère. Tandis qu'un autre modère en reconnaissant l'existence de tels cas mais " Pourquoi le crier sur les toits ! Dieu nous a incité à " star ", à cacher nos vices et nos défaults. Et vous venez étaler ce linge sale au vu et au su de tout le monde. Quelle valeur ajouter à part "la chouha " (scandale) ", estime-t-il.

Libérer la parole

Une levée de bouclier de "conservateurs" qui préfèrent ignorer le problème au lieu de l'évoquer. " Ma chère amie, je tiens à t'exprimer ma grande estime, mon admiration et ma fascination devant ta maîtrise et la justesse de ton jeu. Tu as su porté le costume de Amina avec beaucoup de sincérité. Je t'invite à ignorer toutes ces attaques. Nous avons le mérite de vivre dans la réalité et de la voir en clair. Notre message est sincère et authentique c'est pour cela qu'il a pu atteindre notre public et nos spectateurs ", c'est ainsi que Samia Akariou s'est adressée à sa collègue Nora Sqalli dans un post sur Instagram et en répondant à ses détracteurs.

La réalisatrice a par ailleurs affirmé sa volonté de briser le silence à propos de l'inceste, la pédophilie et le viol des filles et des garçons. Appelant à la libération de la parole à propos de ces tabous, Akariou se joint aux mouvements féministes et ceux de la protection d'enfance pour dénoncer, à sa manière, les violences sexuelles contre les enfants.

Toucher par l'émotion 

Un défi gagné vu la charge émotionnelle des scènes réunissant Nadia, la victime, son beau père violeur et Amina sa mère blessée dans son amour maternel. Si Nora Sqalli a su transmettre le désroi, la peine et le sentiment profond de double culpabilité de la mère déchirée, fatim Zahra Qanbouâ a été magestueuse dans le rôle de Nadia. L'âme brisée, le corps meurtri, rongée de l'intérieur par les démons du passé, il est impossible d'échapper à la souffrance de cette fille.

Dix ans après, elle traine encore les séquelles des assauts à répétition de son violeur et n'arrive pas à émerger de cet enfer sans fin. " La quantité de souffrance, de colère et de sentiment d'injustice contenus dans les cris et les pleurs de Fatim Zahra Qanbouâ en tant que Nadia sont énormes. Elle a su nous transmettre tout le malheur des pauvres victimes impuissantes devant leurs bourreaux ", commente, émue, une internaute sur la page instagram de la série. " Dar Nssa " aurait-elle ainsi accompli sa mission en sensibilisant le grand public à l'un des phénomènes sociaux les plus dangereux et les plus destructeurs des victimes ?