La démesure de l’urbanisme. Casablanca est-elle le produit du protectorat ?
La période coloniale a toujours alimenté l’idée erronée selon laquelle Casablanca serait le produit du protectorat.

Considérée par les professionnels de l’urbanisme comme un fleuron architectural, Casablanca a connu en 100 ans une croissance urbaine effrénée et ininterrompue. Entre acharnement du destin et impostures de l’histoire, Ahmed Chitachni, spécialiste en anthropologie urbaine, nous propose dans « Casablanca 1907-1956- La démesure d’un urbanisme », une réflexion globale sur la transformation de la ville dans une déconstruction de la vision coloniale.

Au début du 20ème siècle, la société rurale imprégnait la vie du Maroc et conditionnait les équilibres politiques, sociaux et régionaux. À l’époque, la ville était de faible poids (taux d’urbanisation avoisinant les 7%), les centres urbains, peu nombreux, et de taille modeste, et Fès était la seule cité qui incarnait la grande ville avec environ 100 000 habitants. Vers la fin du siècle, près d’un marocain sur deux réside en milieu urbain et par conséquent, l’armature urbaine s’est nettement améliorée. Dominée par une conurbation littorale de 4 millions d’habitants, étirée de Kénitra à Casablanca, elle comprend de grandes villes régionales et une foule de petites et moyennes villes. Le centre des pouvoirs s’est déplacé, la ville a acquis une place stratégique primordiale dans la politique de l’Etat moderne par les enjeux qu’elle représente.

La modification de la distribution spatiale des populations, le passage du rural à l’urbain se sont produits corrélativement aux changements politiques, économiques et sociaux que l’histoire récente, colonisation et indépendance, les forces du marché et les modernisations ont imposés. L’urbanisation de la société marocaine est visible partout et les villes s’agrandissent. Casablanca, métropole économique du royaume, connaitra à elle seule plusieurs transformations au fil du temps et son paysage urbain subira plusieurs déstructurations et reconstructions avant de façonner son vrai visage d’aujourd’hui.

« Casablanca n’est pas un produit du protectorat »

En 1914, le premier code de l’urbanisme (dahir sur l’alignement et les plans d’aménagement) était promulgué, suivi par le premier plan d’urbanisme de Casablanca (plan Prost). C’était le prélude à une longue histoire de croissance urbaine effrénée et ininterrompue, et d’expériences d’urbanisme qui ont fait de cette ville une des principales métropoles méditerranéennes.

L'anthropologue Ahmed Chitachni livre ses idées sur la transformation de Casablanca et, par ricochet, du Maroc entier.

Cette transformation de la ville de Casablanca et de son impact sur l’ensemble du Maroc, Ahmed Hamid Chitachni, politiste, essayiste et chercheur en anthropologie urbaine, l’analyse dans son ouvrage « Casablanca 1907-1956- La démesure d’un urbanisme », un livre qui propose une rétrospective de l’évolution de la ville blanche et que l’auteur a présenté vendredi 29 mars, à la Coupole du parc de la Ligue Arabe dans le cadre des Rencontres du patrimoine organisées par l’association Casamémoire.

Dans son ouvrage préfacé par Mohamed Haddy, professeur de l’enseignement supérieur à l’Institut national d’aménagement et d’urbanisme de Rabat, Chitachni lève le voile sur le passé méconnu de Casablanca et revient principalement sur la période coloniale qui a toujours alimenté l’idée erronée selon laquelle la métropole serait le produit du protectorat.

Rétablir des vérités

Proposant une nouvelle lecture de l’ensemble des aspects historique, social, anthropologique et architectural de la capitale économique, le livre qui a nécessité 4 ans de recherche en anthropologie urbaine constitue ainsi une relecture de nombreux récits coloniaux prétendant que la capitale économique a été créée par le colonisateur.

L’ouvrage de près de 400 pages relève, preuves à l’appui, que la capitale économique existait bien avant et portait le nom d’Anfa et qu’après sa destruction, elle a été reconstruite par le Sultan Sidi Mohammed Ben Abdallah qui l’a dotée de toutes les structures économiques et sociales pour lui rendre son rayonnement d’antan.

Le récit nous mène bien avant 1907, avec les destructions et reconstructions de la ville, sa place dans les échanges internationaux, la ruée vers l’Eldorado et tout ce qui s’ensuit en termes de melting pot mais aussi de dilapidation de patrimoine foncier, de spéculation, d’urbanisation précédant tout urbanisme, de tâtonnements marqués par le sceau du sécuritaire et du culturalisme.

S’appuyant sur une bibliographie riche de 200 documents, le livre permet aux générations futures et aux chercheurs de découvrir les problématiques posées autour de la construction de la ville européenne par les Français après la colonisation de la ville en 1907 par l’architecte Henri Proust, sachant que la ville était interdite aux Marocains à l’époque.

Pour Chitachni, ce livre est l’aboutissement d’une recherche anthropologique minutieuse, appuyée par des documents sur l’histoire coloniale dans le Royaume et notamment la capitale économique, rappelant que le colonisateur a construit cette nouvelle ville européenne pour satisfaire ses besoins sans entreprendre un plan urbain pour loger les Marocains dans la ville de Casablanca.

Les problèmes et dysfonctionnements dont souffre la métropole actuellement remontent à la période coloniale notamment les bidonvilles qui ont vu leur apparition avec l’avènement du colonisateur, outre la problématique de la mobilité au centre-ville, conclut l’anthropologue.