Boujloud au cœur de la controverse
Boujloud new generation

Boujloud, Bilmawen ou encore Boulebtayne, le rituel traditionnel lié à Aid Al Adha est au cœur de la polémique encore une fois cette année. Ode à l’homosexualité, pratiques païennes, satanisme, patrimoine amazighe dénaturé … les accusations fusent contre une fête qui ne réjouit pas tout le monde.

Tout comme l’année dernière, dès le lendemain de Aid Al Adha, les réseaux sociaux sont inondés par les photos des festivités de Boujloud. Des jeunes déguisés en animaux, portant d’énormes perruques et vêtus de costumes en peaux de moutons et de chèvres.

Des personnages aux allures tantôt démoniaques tantôt burlesques arpentant les rues en dansant et chantant tout en attirant une belle foule curieuse… Des festivités réjouissantes qui font pourtant l’objet d’une grande controverse sur les réseaux sociaux et ailleurs.

Ne touchez pas à mon Boujloud !

« Depuis quand Aid Al Adha est l’occasion de se donner en spectacle de la sorte ? Des hommes travestis déguisés en femmes et en animaux et qui sont si fiers de surcroît ? » fustige un internaute en commentant une vidéo des festivités de Boujloud à Dchira, dans la région d’Agadir. Un commentaire parmi des centaines qui dénoncent « des pratiques païennes qui tranchent avec l’Islam et son esprit », comme le soutiennent-ils.

Boujloud new generation

« Ne prétendez surtout pas que c’est une tradition amazighe. Nous sommes soussis et Boujloud n’a jamais été une gay pride comme on le voit aujourd’hui. Certes c’était une pratique ludique consistant à se déguiser en monstre poilu pour amuser la galerie mais sans plus. Ce qu’on voit aujourd’hui est tout sauf amazigh », s’en défend une internaute d’Agadir.

"Patrimoine dénaturé"

N’appréciant guère l’aspect carnaval et parade du festival traditionnel, ses détracteurs crient à la dénaturation d’un héritage ancestral avec des « pratiques intruses nullement marocaines ». Des accusations qui ne sont pas totalement infondées. Pratique ancrée dans les traditions des différentes régions du Maroc, Boujloud ou Boulebtayne est une fête intimement liée à Aid Al Adha. «  Ceci dit, cette pratique est influencée par la couleur locale et diffère d’une région à l’autre. Le phénomène Boujloud reflète en effet un mix de chorégraphies et de rituels à la charge culturelle, civilisationnelle et cultuelle » explique le chercheur en anthropologie Mohamed Akdime.

D’après le chercheur, chaque région a ainsi son « Boujloud » portant son identité locale. Expliquant les influences ayant façonné cette fête à Imintanout, Akdime décrit un impressionnant meelting pot «  où se croisent les danses d’Ahwach et des Rwayess, la danse Taskiwine des montagnes, la danse Ahiyad de la région de Haha, la danse sahraouie des tribus Ouled Bou Sbaa  ou encore l’influence de la culture juive », détaille-t-il au microphone de la MAP.

Rituel en mutation

Des influences « originelles » qui viennent s’ajouter à celles modernes « importées » par des jeunes plus ouverts, comme l’explique l’acteur associatif local Mbarek Ezzabak. Ce dernier explique par ailleurs l’apparition de nouveaux personnages aux côté du traditionnel Boujloud par la nécessité de « moderniser » le rituel et d’améliorer le show. Donner du punch au spectacle en l’animant par les prestations d’autres « monstres ».

(1) Vidéo | Facebook

Une  nouveauté qui n’est pas cependant appréciée par tout le monde et qui, tout au contraire, soulève les protestations de part et d’autre. Si certains dénoncent la connotation homosexuelle de la parade, d’autres vont plus loin en évoquant des pratiques sataniques. Les prédicateurs des réseaux sociaux n’y vont pas de main morte en fustigeant l’aspect anti-islam des festivités. « Comment on a le cœur à faire la fête et à s’amuser avec Boujloud et ses spin off  efféminés alors que nos frères vivent un enfer à Ghaza ?!! », déclament-ils.

Au-delà de la solidarité avec la ghazaouis en détresse et son aspect païen, le festival dérange par sa « mutation ». « Quelle est la place de l’identité culturelle amazighe authentique dans cette sorte de carnaval latino-américain qui a dénaturé les festivités de Boujloud ces quatre dernières années ? Quel sera le destin du patrimoine culturel local actuellement broyé par cette machine impitoyable ? Quelle est la valeur ajoutée de l"adoption de certains aspects du carnaval de Rio de Janeiro, dans la célébration de Boujloud ? », s’interroge l’écrivain Mohamed Akdime dans un post, datant du 20 juin 2024, sur facebook.  

Au delà du spectacle et de l’aspect festif, Boujloud devient chaque Aid Al Adha une problématique identitaire qui départagent les « modernistes » désireux de suivre la « cadence », et les « conservateurs » jaloux de la spécificité culturelle marocaine et amazighe. Qui l’emportera au final ? A suivre