Peines alternatives. Justice avec justesse

Des prisons moins encombrées, des sentences visant la réhabilitation et la réintégration des inculpés plutôt que leur châtiment, des jugements favorisant l’esprit de citoyenneté et d’engagement social, autant de perspectives nouvelles qu’ouvrent les peines alternatives devant donner un nouveau «visage» à la politique pénale dans notre pays.

Volet important de la réforme du Code pénal, le projet de loi 43.22 relatif aux Peines alternatives a été adopté en juin dernier par la Chambre des représentants. Un vote à la majorité qui marque une nouvelle ère pour la politique pénale au Maroc. Proposant des solutions inédites au Maroc aux délits mineurs, les peines alternatives se basent sur une approche de réhabilitation et de réintégration loin du cadre carcéral. Trêve de punition, on est plutôt dans un esprit de réinsertion. Citoyenneté, sens du devoir et esprit engagé représentent en effet le fondement de ce volet important de la réforme du Code pénal. Ceci tout en alignant la politique pénale marocaine sur les recommandations des conventions internationales de droits humains.

Solution au surpeuplement carcéral

Travaux d’intérêt général, surveillance électronique, amendes journalières et restriction de certains droits parallèlement à l’imposition de certaines mesures de contrôle, d’hospitalisation ou de rééducation… C’est ainsi que les peines alternatives vont contribuer à lutter contre le surpeuplement carcéral et à l’amélioration de la prévention de la récidive. A la date du 7 août 2023, le nombre des prisonniers a franchi la barre des 100.004 détenus alors que la capacité d’accueil des pénitenciers marocains ne dépasse guère les 64.600 lits. Deux principaux facteurs seraient à l’origine de ce « surpeuplement carcéral » : La détention préventive qui représente, en moyenne annuelle, 40% de la population carcérale, et l’absence dans le droit pénal en vigueur à cette date de sanctions alternatives.

«Tout en exprimant sa grande préoccupation face à cette hausse, la DGAPR demande aux autorités judiciaires et administratives de trouver dans les plus brefs délais les solutions susceptibles de résoudre la problématique de la surpopulation dans les établissements pénitentiaires afin d’éviter les dysfonctionnements ou les complications d’ordre sécuritaire pouvant découler de cette situation inquiétante, outre les problèmes liés aux conditions d’hébergement, de restauration, de soins de santé et d’accès aux programmes de réhabilitation et de réinsertion», s’alarme la Délégation générale de l’administration pénitentiaire et de la réinsertion (DGAPR) dans un communiqué rendu public en août 2023.

L’adoption du projet de loi relatif aux peines alternatives tombe alors à point nommé pour participer au désengorgement des pénitenciers. Surtout si l’on apprend que plus de 44,97% des détenus se trouvant dans les prisons marocaines purgent des peines ne dépassant pas un an selon les données de 2020, comme le précise-t-on dans le préambule du projet de loi relatif aux peines alternatives qui concernent essentiellement les délits ne dépassant pas 5 ans de prison.  

Des statistiques qui confirment par ailleurs le grand intérêt des peines alternatives et le rôle primordial qu’elles joueront dans la réduction de la population carcérale. Un double intérêt puisque c’est également une manière d’accompagner les évolutions que connaît le monde dans le domaine des libertés et des droits. Ceci tout permettant de rationaliser les dépenses et les budgets des prisons.

Travaux d’intérêt général

Consistant pour le condamné à accomplir des travaux d'intérêt général (TIG), cette peine est définie par le texte de loi comme étant un travail que la personne condamnée doit effectuer sans rémunération.  Accomplie au sein d'une structure agissant dans l'intérêt collectif, cette mission permettra d’éviter la prison aux personnes âgées de plus de 15 ans dont la peine d’emprisonnement ne dépasse pas 5 ans. Ce travail pourra être au bénéfice de l’État, des institutions ou instances de protection des droits, libertés et de la bonne gouvernance, des établissements publics, des associations caritatives des établissements, des ONG, des organismes non gouvernementaux ou encore des lieux de culte. Ainsi au lieu de croupir en prison, en étant une charge supplémentaire pour les contribuables et l’Etat, l’inculpé sera au contraire rentable et utile pour la société.

Surveillance électronique

Autre alternative à l’emprisonnement, la surveillance électronique est une mesure  permettant d'exécuter une peine de prison sans incarcération. Elle peut également être décidée dans le cadre d'une libération sous contrôle ou dans le cadre d'une assignation à résidence. Selon le projet de loi, la surveillance du condamné et de ses déplacements se fait par voie électronique en utilisant une ou plusieurs des méthodes de surveillance électronique agréées, notamment le bracelet électronique.

Les conditions de la surveillance électronique seront ainsi déterminées par le juge. Ce dernier prendra en considération la gravité du délit commis, la situation personnelle et professionnelle du condamné et la sécurité des victimes. Cette peine alternative permettra de réaliser un équilibre entre le respect des droits et libertés des individus et le devoir de préserver l'intérêt général et celui des victimes. Un impératif qui oblige l'État de prendre des sanctions à l’encontre des auteurs de crimes.

Restriction de droits et réinsertion

Avec cette catégorie de peines alternatives, il est question de restriction de certains droits ou encore l’imposition de certaines mesures de contrôle, d’hospitalisation ou de rééducation. Selon le projet de loi, le magistrat a la possibilité de statuer pour une ou plusieurs peines alternatives définies dans cette catégorie. Au lieu de se contenter d’envoyer l’inculpé en prison, le juge peut le condamner à l’exercice d'une activité professionnelle, de poursuivre des études ou suivre une formation professionnelle déterminée. Cette mesure contribuera ainsi la réinsertion du mis en cause à travers des formations à des professions et des métiers compatibles avec ses capacités cognitives ou à travers des études ou des formations spécifiques.

Une peine qui, au-delà de sa portée pénale, va permettre une réintégration socio-économique des inculpés au lieu de mettre en péril leur avenir. L’obligation pour le condamné de passer un examen afin d’évaluer sa disposition à corriger son comportement et à réintégrer la société garantira l’aboutissement de cette mesure. Autre point fort de cette peine alternative, c’est de minimiser les risques de récidive et de lutter contre la vulnérabilité socio-économique des inculpés qui reste l’un des facteurs principaux de récidive.  

Amendes journalières, une peine rentable

L'une des propositions "phares" des peines alternatives, les amendes journalières ont été introduites dans la nouvelle version du projet de loi N°43.22 voté par la Commission de la Justice de la première Chambre. Une solution judicieuse au surpeuplement carcéral qui a l’avantage d’être « une peine plus humaine » comme l’estiment les défenseurs de cette mesure qui reste assez controversée à cause de la notion « d’achat de liberté ».

En plus de la réduction de la population carcérale, cette peine alternative marque l'évolution vers un système de justice pénale plus humain. Bon moyen de réhabilitation des personnes condamnées, les jours amendes permettent de dépasser la notion infructueuse de châtiment et de rentabiliser le processus de justice. Réduisant les charges de l'État, les jours-amendes vont, au contraire, alimenter ses caisses. Mieux encore, cette peine évitera de nuire à l’avenir et de bouleverser la vie des condamnés. Il faut toutefois noter que la peine de jours-amendes ne s’applique pas à tous les délits et que tous les condamnés n’auront pas le droit à une telle peine. Protégeant le droit des victimes à la justice, elle exclue les affaires d’abus sexuels sur mineurs, trafic d’organes, trafic de drogues, terrorisme, abus de pouvoir; blanchiment d'argent et corruption.

 

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