Elles cuisinent, nettoient, soignent, éduquent… sans contrat, sans pause, sans congé, sans salaire. À l’occasion de la Fête du Travail, l’Association Tahadi pour l'Égalité et la Citoyenneté (ATEC), avec le soutien de l’ONU Femmes Maroc, lance une campagne nationale pour briser le silence autour du travail domestique non rémunéré. Objectif : reconnaître enfin la valeur de ces millions de femmes marocaines qui portent le foyer à bout de bras, dans l’ombre et l’oubli.
Femme au foyer, contrat : éternel, rémunération : 0 Dhs, c’est la Fiche de poste élaborée par l’Association Tahadi pour l'Égalité et la Citoyenneté (ATEC) pour décrire le travail domestique et la mission des femmes dans les foyers marocains. « Un cahier de charge avec des missions à ne pas en finir et à plein temps, sans congé ni répit et dont la fiche de paie affiche un grand zéro. Mère, cuisinière, infirmière, femme de ménage, professeur, baby sitter, éducatrice, lave-vaisselle, couturière, bricoleuse, plombier...
Un partenariat pour le changement des mentalités
C’est le quotidien des femmes marocaines qu’elles soient femmes au foyer ou même actives et tout ceci sans rémunération. Il est temps que cela change ! », explique à L’Observateur du Maroc et d’Afrique Bouchra Abdou, directrice de l’ATEC, lors de la conférence de presse annonçant le lancement de cette campagne nationale à l’occasion de la Fête du Travail.Machi 7ograIntitulée « Ch9a Dare Machi 7ogra », cette campagne est lancée en partenariat avec ONU Femmes Maroc pour mettre en lumière le rôle primordial mais largement ignoré des femmes dans l’ensemble des foyers au sein de la société marocaine, ajoute la directrice de l’ATEC.« C’est un investissement quotidien sur lequel se base la stabilité familiale, qui permet le bon fonctionnement des foyers et qui permet surtout d’économiser des coûts très importants de prestations et de services extérieurs tels le ménage, la garde des enfants, le soutien scolaire, soins aux personnes âgées... » détaille de son côté Mehdi Laimina, responsable de projets et communication à l’Association Tahaddi pour l’Égalité et la Citoyenneté (ATEC). Frein à l’égalité Une véritable cheville ouvrière de la stabilité familiale, ce rôle des femmes au foyer reste pourtant invisible et surtout non valorisé et non reconnu. « Pire encore, ces corvées quotidiennes sont rarement partagées au sein des foyers, alors même qu’il représente un pilier essentiel de leur fonctionnement. Seules les femmes doivent s’en charger en s’y consacrant à 100%, à plein temps et en oubliant souvent de s’accorder une pause pour prendre soin d’elles », déplore Abdou.
Partage et répartition équilibrée pour un foyer égalitaire
Versant dans le même sens, Mehdi Laimina explique comment le travail domestique pourrait entraver l’inclusion socio-économique et l’évolution de la carrière professionnelle des femmes (actives ou femmes au foyer). Réclamant le changement de cette situation « injuste », les activistes de l’ATEC ont déjà tracé une feuille de route. Le tablier de la révolteLe point de départ de la mobilisation est une « fiche de poste » imaginaire, listant avec précision les multiples responsabilités assumées quotidiennement par les femmes dans leur foyer. « Ce document symbolique reproduit fidèlement les tâches accomplies quotidiennement par des millions de femmes marocaines. Il a été matérialisé sous la forme d’un tablier spécialement conçu pour l’occasion. Il devient un véritable objet manifeste de la campagne », nous apprend la directrice de l’ATEC. Un «tablier-plaidoyer » qui a été, le 1er mai, porté dans les rues par des femmes, mais aussi par des hommes, lors d’une marche organisée par ATEC en collaboration avec la Confédération démocratique du travail (CDT) au quartier Derb Omar à Casablanca.« Une manière d’interpeller l’opinion publique sur une injustice structurelle encore largement absente des débats nationaux. Cette campagne souhaite en effet provoquer une prise de conscience collective, d’insuffler un changement de mentalités car tant que les missions domestiques des femmes restent invisibles, que ce travail n’est pas valorisé, cette situation continuera d’alimenter les inégalités de genre », ajoute de son côté Myriem Noussairi, Cheffe du Bureau-Maroc de l’entité des Nations Unies pour l’égalité entre les sexes et l’autonomisation des femmes (ONU Femmes). Cette dernière estime que pour commencer, il faudrait le nommer, le reconnaître et surtout mieux le partager.5 heures contre 43 minutesMême approche égalitaire du côté de l’ATEC. Bouchra Abdou affirme par ailleurs que « Nous contribuons ainsi à déconstruire les stéréotypes et à poser les bases d’un nouveau contrat social au sein des foyers ». Des stéréotypes persistants et des mentalités récalcitrantes que les chiffres confirment. Selon les dernières données du Haut-Commissariat au Plan (HCP), les femmes marocaines accomplissent plus de 90 % du temps total dédié aux tâches domestiques.En moyenne, elles y consacrent cinq heures par jour, contre seulement 43 minutes pour les hommes. « Un déséquilibre qui façonne silencieusement l’organisation des foyers, pèse sur les trajectoires professionnelles et personnelles des femmes, et freine l’égalité des chances », commente-t-on auprès de l’ATEC.Patrimoine matrimonialMais au-delà de la simple reconnaissance du travail domestique et de la remise en question de sa répartition inégale, les activistes de l’ATEC visent la reconnaissance légale de sa valeur. Décryptage ? « Cette doléance faisait partie de nos principales propositions pour la réforme de la Moudawana : Reconnaitre la contribution des femmes au foyer dans le patrimoine matrimonial en valorisant leur travail domestique », explique Bouchra abdou. Évoquant le problématique article 49 du Code de la famille actuelle, l’activiste féministe crie à l’injustice. Une injustice juridique à réparer, insiste-t-elle.
Un tablier-manifesto
« Comment est-il possible qu’une femme qui passe sa vie à servir sa famille, à en prendre soin, à aider son époux à construire sa fortune en le soulageant des charges de prestataires externes et en sacrifiant tout son temps et son énergie, se retrouve le jour du divorce dans la rue démunie et sans le sou ? », s’insurge Abdou. Cette dernière rappelle que cette campagne, en plus de la sensibilisation visant le changement des mentalités, c’est également un plaidoyer pour la réforme des « lois injustes ».DéroulementDémarrant le 1 mai, cette campagne se décline sous forme d’un programme d’action déployé jusqu’en septembre 2026 à l’échelle nationale. Porté par ATEC, avec le soutien d’ONU Femmes et la mobilisation d’un collectif d’associations partenaires, « ce projet s’appuie sur une mobilisation inclusive et intergénérationnelle, impliquant des jeunes à travers des campagnes digitales, des événements sportifs, du théâtre itinérant et de l’affichage urbain. Il encourage la création de contenus engagés vidéos, podcasts, courts-métrages conçus avec et pour les jeunes », détaille Mehdi Laimina.Le projet prévoit également un accompagnement des familles sur le terrain avec l’appui d’une application mobile innovante permettant de mesurer la charge domestique réelle au sein des foyers. Ce projet s’intègre dans le cadre du programme régional d’ONU Femmes « Dare to Care », une initiative novatrice visant à remettre en question les normes sociales discriminatoires et à déconstruire les stéréotypes qui freinent la participation des femmes à l'emploi rémunéré dans la région des États arabes.