Poutine, plein gaz
Vincent HERVOUET

Vladimir Poutine accueille les membres du G20 à Saint Petersburg et comme tout maître de maison, il fait bonne figure à ses hôtes. En ouverture, il s’est présenté en défenseur de l’ordre international dont le Conseil de sécurité serait le garant et que la mise en oeuvre de la « responsabilité de protéger » dynamiterait, avocat inlassable de la prudence diplomatique et de la raison opposée aux débordements occidentaux. Aux journalistes qui l’interviewaient, il a dit combien le spectacle des enfants gazés de Syrie l’avait choqué. En gage de sa bonne foi, il a même annoncé la suspension des livraisons de missiles S-300 vendus à la Syrie et dont le déploiement représenterait une menace pour toute aviation étrangère. Enfin, il s’est dit impatient que les inspecteurs de l’Onu lui présentent des « preuves convaincantes ». On imagine mal que les experts en question aient trouvé le pistolet fumant qui soit assez « convaincant » pour le maitre du Kremlin. Rien ne réussira à le convaincre de laisser tomber la clique sanglante qui tient le pouvoir à Damas.

Vladimir Poutine se veut conciliant mais ses ouvertures sont en trompe-l’oeil. Il prétend oeuvrer à une solution politique mais n’hésitera pas à user de son véto au conseil de sécurité comme il l’a déjà fait à trois reprises pour empêcher que le régime syrien soit mis en accusation, en danger, en joue. Les Russes sont au centre du jeu et en profitent. Vladimir Poutine assure le gite et le couvert aux membres du G20 mais il est l’assurance-vie du régime syrien. L’entêtement du Kremlin exaspère les opinions publiques en Occident et dans le monde arabe. Les Russes n’en ont cure. Les médias ne les comprennent pas ? Aucune importance ! Cela fait plus de mille ans que la Russie est présente entre Damas et Alep. Des centaines de milliers de syriens vivent à Moscou. 90% des officiers syriens sont passés par ses académies militaires, tous les chrétiens d’Orient cherchent un protecteur dans l’autre berceau de l’orthodoxie.

Autant dire que la demi-douzaine de navires de guerre ancrés aux trois quais du port de Tartous ne donne qu’une vague idée de l’importance que le Kremlin attache à son alliance avec le régime syrien. L’enjeu économique est dérisoire, rien à voir avec les milliards de dollars perdus avec la chute de Kadhafi. L’alliance avec Damas est stratégique. Dans l’intimité de ses têtes à têtes avec les dirigeants occidentaux, Vladimir Poutine répète depuis deux ans et demi la même démonstration. Le pire en Syrie, serait l’effondrement de l’Etat. Il faut travailler avec Bachar el Assad ou avec ses sbires. Il faut imposer à l’opposition en exil le strapontin que lui offre le régime. A défaut, on obtiendra une nouvelle Somalie ou le triomphe d’Al Qaida. Ce qui est en jeu, selon lui, c’est tout l’équilibre de la région, minée par la rivalité entre chiites et sunnites. Dans cette guerre séculaire, les Russes ont choisi leur camp. Ils dialoguent avec les chiites, même s’ils restent solidaires des pressions exercées sur les Iraniens pour les retenir dans leur course au nucléaire.

Pourquoi ? Parce que le Kremlin assimile les djihadistes du Caucase ou d’Asie centrale aux « Wahhabites ». La presse de Moscou utilise même ce mot pour désigner les terroristes. Vladimir Poutine lui-même est convaincu qu’il a gagné la guerre de Tchétchénie le jour où il a conclu un accord avec l’Arabie Saoudite et qu’elle a cessé de financer la rébellion. La vision poutinienne se veut sans illusions. Elle est sans espoir. Elle fait évidemment peu de cas de la souffrance des civils que le régime baas terrorise avec ses armes interdites. Le Kremlin ne manque pourtant pas d’imagination pour évoquer le pire qui suivrait la défaite des alaouites, l’émiettement du pays, le début d’une guerre qui ressemblerait davantage au Vietnam qu’au conflit en Libye, avec un arrière-pays de 80 millions d’Iraniens, un Irak au bord de basculer, le Hezbollah prêt à mettre le feu au Liban, etc.

Autant dire que les Russes se résigneront à voir les Américains et les Français tirer quelques missiles contre des cibles symboliques tant que cela ne changera rien au rapport de forces sur le terrain. La vraie énigme, c’est que le Kremlin ne se serve pas de son influence sur Bachar El Assad pour le faire évoluer. En privé, Serguei Lavrov prétend qu’il n’a aucune influence sur le clan alaouite qui se bat dos au mur, avec en mémoire des siècles d’oppression. La vérité semble plutôt que le Kremlin refuse d’engager son crédit tant qu’Occidentaux et Orientaux n’auront pas eux-mêmes forcé la main de l’opposition qu’ils sponsorisent. Genève 1 et Genève 2 n’ont rien donné parce que les opposants ont refusé de s’asseoir à la table des palabres. Le jour où la coalition de l’opposition, libérée de ses parrains du Golfe, se mettra d’accord en donnant un mandat clair de négociation à une délégation reconnue, la Russie cessera d’être complice pour devenir arbitre. Alors les jours de Bachar seront comptés. translation portuguese to english