EGYPTE: Les vraies leçons

CONFLIT Le cas égyptien est riche en enseignements qui méritent d’être analysés en profondeur par tous les pays où l’islamisme politique existe. Surtout que l’heure est à la radicalisation...

La crise égyptienne a une importance capitale pour plusieurs raisons. Le rôle stratégique du Caire pour la stabilité au Moyen-Orient en est une. L’Egypte est un fabuleux laboratoire. Les frères musulmans y sont une force politique majeure depuis 80 ans. C’est le berceau de l’Islam politique qui n’est arrivé au Maghreb qu’à la fin des années 60 du siècle dernier. Malgré leurs révisions idéologiques successives et leur acceptation « formelle » du jeu démocratique, les frères Musulmans ont été incapables, une fois au pouvoir, de respecter le pluralisme social et politique. Et ce n’est pas une erreur de gouvernance. L’Islamisme politique est incapable d’assumer les règles de la démocratie, au-delà de celle de la majorité numérique. C’est une pensée totalitaire parce qu’elle s’appuie sur le dogme de la religion encadrant à la fois la société, l’Etat et les relations internationales.

Le président déchu Morsi a engagé dès son investiture des mesures qui, au nom du conservatisme religieux et au nom de ce qu’ils appellent « L’art propre », entravaient la liberté des créateurs dans des domaines tels que le cinéma ou la chanson. Ce comportement visant à l’islamisation de la société se retrouve chez les islamistes en Turquie où il a causé des manifestations et des morts dernièrement, mais aussi en Tunisie ou encore au Maroc. Partout dans le monde, les islamistes croient que leurs succès électoraux leur donnaient la légitimité pour imposer leur projet au reste de la société. Selon le général Sissi, Morsi lui aurait déclaré que les frères musulmans étaient là au pouvoir pour 500 ans. L’alternance démocratique ne fait pas partie de leur vision. Ces phénomènes se retrouvent dans tous les pays du Moyen-Orient. La transition démocratique est impactée par le poids de l’islam politique qui instrumentalise le réflexe identitaire, mais aussi les déficits sociaux.

La faiblesse de l’adhésion aux valeurs démocratiques s’illustre par les comportements sectaires et la forte survivance des loyautés tribales, tel est le cas en Libye par exemple. Mais il ne faut pas croire que le dernier soulèvement populaire en Egypte, mené par une partie de la population égyptienne laïque et libérale, et la destitution de Morsi vont conduire à l’émergence de véritables élites démocratiques, car son alliance pas naturelle et conjoncturelle avec une institution comme l’armée égyptienne pourra provoquer des dissensions au sein de ses courants, surtout après les tueries perpétrées dernièrement des deux côtés. La démission de Baradai en est une preuve. Aujourd’hui, les Etats-Unis dénoncent la violence et plaident pour une solution politique, difficile à envisager. Leur intérêt est dans la stabilité de l’Egypte et du maintien de la paix aux frontières d’Israël. Mais il ya d’autres acteurs. Les monarchies du Golfe se sont divisées. Les Emirats arabes unis et l’Arabie Saoudite ont changé leurs options stratégiques.

Ils appuient ouvertement aujourd’hui l’armée égyptienne, parce que leur propre sécurité intérieure a été mise en danger. Dans ces deux pays, des cellules terroristes encadrées par des frères musulmans égyptiens ont été démantelées. Le Qatar, à qui les puissances occidentales ont dévolu un rôle important dans la région, continue à soutenir les Islamistes, beaucoup moins depuis l’arrivée au pouvoir du nouvel émir, alors que médiatiquement, l’influente chaîne de télévision Al Jazeera continue à véhiculer les messages de la confrérie. En tout état de cause, ce qui est en jeu, fondamentalement, c’est la sécurité dans cette partie du monde, qui est depuis toujours poudrière. Une observation minutieuse permettrait de saisir un phénomène inquiétant : celui de la radicalisation des mouvements intégristes et de la résurgence des menaces terroristes. L’Irak et la Syrie sont déjà dans une guerre confessionnelle. La Lybie, la Tunisie, mais aussi l’Algérie sont en lutte contre des Jihadistes, armés, revigorés par l’échec des Islamistes dit modérés, arrivés au pouvoir.

Au Maroc, pourtant pays stable, une cellule terroriste composée d’enseignants a été démantelée cette semaine, alors que ses préparatifs d’attentats étaient avancés et visaient en premier lieu les intérêts américains et français dans le Royaume. Une vraie vision stratégique consisterait à renforcer la construction d’Etat-nations efficaces, modernes, avec de véritables institutions dans l’optique de la démocratisation. C’est pour cela que tous les efforts doivent converger vers une conférence internationale pour l’Egypte. Les Etats-Unis, l’Union Européenne et surtout les monarchies du Golfe doivent s’y impliquer de manière forte. La construction démocratique prendra beaucoup plus de temps que ce que croient certaines chancelleries. Et tout empressement ne fait qu’accélérer l’instabilité et renforcer l’insécurité au mépris des intérêts de tous. Devant la complexité de la situation, le pilotage à vue ne peut produire que des catastrophes. Une vision stratégique commune à tous les acteurs s’impose. разработка стиля