Les petits commerçants sont-ils manipulés ?

 

Brahim a un petit magasin de vente de produits alimentaires. Il a baissé le rideau de son commerce trois fois depuis le début du mois de janvier. Il estime son manque à gagner à quelques milliers de

dirhams, mais semble persuadé de répondre à l’appel à chaque fois qu’on lui demande de ne pas ouvrir. L’Observateur du Maroc et d’Afrique lui a posé la question sur ses motivations réelles. « Je suis contre ces nouvelles lois », rétorque t-il. Mais de quelles lois s’agit-il ? « Je ne sais pas trop. On m’a dit que je dois déclarer mes revenus par voie électronique et payer plus d’impôts ». La réponse est la même pour beaucoup d’autres commerçants grévistes. Dans les faits, les commerçants s’insurgent contre les dispositions fis- cales introduites par la loi de finances concernant en particulier la facture électronique et l’identifiant ICE des entreprises. Pour la première, la loi a été votée, mais le décret d’application n’a pas été publié. Et même si elle est appliquée, elle ne concernera que les grands commerçants qui détiennent une comptabilité. Le gouvernement a souligné que les commerçants générant un chiffre d’affaires annuel inférieur à 2 millions de dirhams ne sont pas concernés par la facturation électronique, puisqu’ils sont d’ores et déjà soumis au régime d’une fiscalité forfaitaire. Quant aux commerçants soumis au système de la comptabilité, aucun texte de loi organisationnel n’a été adopté pour l’heure, pour que ce régime soit immédiatement appliqué. Pour l’ICE, les petits commerces sont exclus du champ d’application. D’après la DGI, c’est le commerce de gros qui sera ciblé et non le commerce de proximité. Et de préciser que les opérateurs du commerce de gros sont au nombre de 5.000 et ne payent qu’un IR professionnel autour de 4.000 dirhams par an, ce qui engendre un manque à gagner de pas moins de 6 milliards pour l’Etat. Ainsi, les petits commerçants ne sont ciblés en aucun cas. Pourtant ce sont principalement eux qui ont entamé les grèves au cours de ce dernier mois, et ce malgré les explications fournies par l’en- semble des parties prenantes, que ce soit la DGI, ou encore le gouvernement. Selon Moulay Hafid Elalamy, ministre de l’Industrie et du Commerce, « il s’agit d’une manipulation des petits commerçants par les grands. Ces derniers les utilisent pour faire pression sur l’administration fiscale et la douane pour ne pas payer leurs impôts », estime t-il. Avant de qualifier la situation de « pagaille », le ministre avait tenu une réunion de concertation avec les syndicats représentatifs et avait expliqué à l’issue de cette rencontre que les commerçants de proximité ne sont pas tenus de présenter leur identifiant commun de l’entreprise (ICE) dans le cadre de leurs transactions, rappelant que le problème de la facturation électronique « ne se pose pas » compte tenu du fait que le décret de son application n’a pas encore vu le jour. Le ministre de l’Industrie a également indiqué que l’ICE « ne concerne pas les petits et moyens commerçants et que seuls les grands commerçants sont tenus de le mentionner sur les factures ». S’agissant du contrôle routier, l’Administration des douanes a assuré lors de cette réunion que la présentation de bons suffit pour le transport des marchandises en camion. Un accord a été même signé le 15 janvier entre la DGI, la Douane et la coordination des commerçants pour mettre fin à la grogne de ces derniers et aux menaces de grève.

Désaccord sur l’accord

Mais au lendemain de la signature de cet accord, des voix se sont élevées contestant la légitimité de la représentativité des commerçants. D’après Abderrazak Mouatadi, président de l’Instance nationale des commerçants et professionnels (INCP), les syndicats ayant signé l’accord ne sont pas crédibles. Ce sont les mêmes qui ont laissé passer ces dispositions lors des discussions au Parlement. Le président de la Fédération nationale des chambres marocaines de commerce, d’industrie et de services, Hassan Moro, est du même avis. Selon lui, il n’y a pas eu de concertations avec les principaux intéressés. Le contexte actuel n’est pas propice à l’application de ces mesures. Il propose ainsi l’organisation d’Assises nationales du commerce, avant la tenue de celles de la fiscalité prévues en mai prochain. Le vice-président du syndicat SNCP Mohamed Amghar va encore plus loin. Pour lui, c’est une déclaration de guerre contre les commerçants. Nabil Nouri, président du SNPC, évoque un autre point qui n’a pas été soulevé lors de la réunion de concertation. Il s’agit de la couverture médicale en faveur des commerçants et des professionnels. « Tout est lié et les points abordés ne sont pas suffisants pour résoudre tous nos problèmes », estime-t-il.

La CGEM a tenté de son côté de rassurer les commerçants quant à l’ICE. « L’entreprise n’a aucune responsabilité financière ni comptable au cas où l’identifiant commun de l’entreprise (ICE) ne figure pas sur la facture », a tenu à préciser Salaheddine Mezouar lors d’une réunion avec différentes instances (fédérations sectorielles, commissions permanentes, représentants à la Chambre des conseillers ainsi que les présidents des antennes régionales). La CGEM précise, en outre, que la production de l’ICE des clients dans l’état des ventes, produit annuellement par les entreprises, n’est pas obligatoire. Mais, cette mesure est censée assainir le milieu des affaires, lutter contre l’informel et la contrebande.

Malgré tout ce qui a été entrepris pour rassurer les commerçants, ces derniers ne semblent pas convaincus. Et on continue de voir les petits commerçants qui protestent, alors qu’ils ne sont même pas concernés. Y’aurait-il de la manipulation derrière ? « J’ai l’impression que pour certains, cette facturation ne doit pas exister. Ils ne veulent pas de traçabilité. En gros, toute cette affaire de grève des commerçants est le fruit de la volonté de certains qui sont conscients qu’ils doivent passer prochainement à la caisse », conclut Omar Faraj DG des impôts ✱