LES MISSILES DE LA PROPAGANDE
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SYRIE A coup de bluff, Moscou et Damas disputent aux Occidentaux les opinions publiques hostiles à des frappes contre Assad.

C’est l’histoire d’une intervention militaire dont personne ne veut. Ce conflit, qui décime une société et dévaste un pays, est en effet porteur de terribles non dits. Tout se passe comme si nul ne défendait le maintien au pouvoir de Bachar al Assad, mais comme si personne ne voulait pour autant une victoire de l’opposition. La peur, parfois proche de l’obsession et du fantasme, des islamistes assimilés à des djihadistes, est devenue le dénominateur commun et contre nature de Washington, Moscou, Berlin, Paris et Londres.

C’est donc à reculons qu’Américains et Français envisageaient des frappes contre le régime de Damas. D’autant que Barack Obama est enclin à privilégier l’Asie plutôt qu’un Proche-Orient en perte de valeur stratégique. Washington et Paris, convaincus qu’il faut dissuader Al Assad de recommencer à utiliser des armes chimiques, redoutent surtout que « ne rien faire » leur fasse perdre toute crédibilité et autorise, demain, fanatiques et autres tyrannies à y recourir à leur tour.L’allemande Angela Merkel – les yeux rivés, à la veille des élections du 22 septembre, sur l’hostilité de la grande majorité des Allemands à une intervention– a fini par se rallier à contre coeur à la déclaration européenne. Appelant à une « forte réponse internationale » contre Damas, ce texte se garde toutefois d’en définir la nature et d’évoquer des frappes militaires, mais permet de donner l’impression d’une entente minimum entre les Occidentaux.

Russes et Syriens ne cherchent, de leur côté, qu’à éviter les frappes et multiplient les manoeuvres de diversion. Avec un seul objectif : chambouler les agendas, gagner du temps encore et toujours pour éloigner la pression de Damas.

Emouvoir pour convaincre

Ces grandes manoeuvres se déroulent dans une ambiance de guerre de communication, voire de propagande, destinée à troubler l’opinion publique internationale et à la faire basculer de son côté.Émouvoir pour convaincre de la nécessité d’une intervention en Syrie : c’est le mot d’ordre de la France et des Etats-Unis qui ont diffusé des vidéos terrifiantes des victimes du gaz sarin utilisé le 21 août par Assad à Damas. Le marathon médiatique de Barack Obama et de John Kerry en atteste. Le président américain - qui a donné six interviews en un jour avant de s’adresser mardi à la nation - s’occupe de convaincre les Américains du bien fondé de frappes contre Assad. Son secrétaire d’Etat tente d’y rallier les opinions et les dirigeants européens. De leur côté, Russes et Syriens se délectent de la diffusion de vidéos insoutenables censées montrer la barbarie de rebelles exécutant en 2012 sept hommes pliés au sol présentés comme des « prisonniers loyalistes ».Pourquoi cette vidéo apparaît-elle maintenant, en pleines tractations sur des frappes contre Assad ? Difficile aussi de ne pas s’étonner de la libération d’un enseignant belge et d’un journaliste italien, enlevés en Syrie il y a cinq mois, en entendant le premier qualifier les rebelles de «demi-dingues » et de « brigands » et jurer, en se fondant …sur une « conversation que nous avons surprise », que «ce n’est pas le régime qui a utilisé des gaz mais les rebelles » !

Le pacifisme n’explique pas tout

La seule réponse à ces questions dans cette affaire où Assad tente contre toute évidence de prouver que ce sont les rebelles qui ont utilisé des gaz chimiques, c’est que l’opinion est devenue l’acteur à convaincre à tout prix. Car elle est globalement très hostile à toute intervention militaire en Syrie. C’est le cas de 62% des Américains, de 64% des Français, de trois quart des Européens et de 72% des Turcs…Un retournement majeur par rapport à d’autres interventions, au Kosovo, en Afghanistan dans un premier temps, en Libye ou au Mali. Il est bien sûr normal, et rassurant, que personne n’aime la guerre.Mais ce pacifisme n’explique pas tout. Les pacifistes d’aujourd’hui sont convaincus que seuls les lobbies économiques et politiques imposent la guerre qui relève d’une « coalition d’intérêts » prête à jouer avec le sang des autres et dirigée par les Etats-Unis perçus comme « la » puissance impérialiste… D’autres raisons pèsent de tout leur poids : les divisions de l’opposition syrienne et la nature des rebelles dont Assad et Moscou rabâchent, non sans succès, qu’ils sont des djihadistes et des terroristes ; le précédent irakien enfin où l’opinion s’est sentie « trahie » et « manipulée » par des états qui avaient justifié l’intervention contre Saddam Hussein par la présence d’armes nucléaires en Irak qui n’ont jamais été trouvées…

Instiller la peur dans les opinions

Dans cette stratégie de persuasion, tous les coups sont permis. Quand Assad affirme qu’en cas de frappes, les Occidentaux « doivent s’attendre à tout », c’est aux opinions qu’il s’adresse.Instiller la peur pour les empêcher de basculer. Le dernier coup de théâtre en date de cette guerre de persuasion où la manipulation et la gestion par la confusion sont devenues la règle, est venu lundi soir de Moscou. Le Kremlin, champion de la manoeuvre dilatoire et du bluff, a proposé de « placer sous contrôle international » le stock d’armes chimique syrien puis de le détruire. Une manière de retourner habilement la situation la veille d’un vote au Sénat et au moment où la signature d’une déclaration des Européens a (relativement) sorti Washington et Paris de leur isolement. Moscou a une raison tout aussi importante de vouloir repousser les frappes : si celles-ci avaient lieu, cela montrerait que les Etats-Unis peuvent contrer directement la Russie sans craindre de riposte militaire. Une situation peu confortable pour un Kremlin qui utilise la Syrie pour s’imposer comme une puissance incontournable sur la scène internationale.

On peut également se féliciter que l’offre russe, en évoquant seulement les armes chimiques de Damas, reconnaisse implicitement que l’opposition syrienne n’en possède pas.

Il n’en reste pas moins que la proposition de Moscou, à laquelle Damas s’est empressé d’adhérer, repousse les frappes aux calendes. Le processus de contrôle est en effet très complexe, lent et difficile à organiser dans un pays en pleine guerre où ces armes sont entreposées dans près de 80 sites et sans doute souvent changées de place.

Report du vote au Sénat américain

Faute d’apparaître comme des va-t-en guerre et de s’aliéner un peu plus les opinions, Washington et Paris sont en effet contraints de saisir une perche dont on ne peut exclure qu’elle résulte d’un marchandage avec Moscou qui aurait préféré prendre l’initiative avant la présentation du rapport des experts de l’ONU. Nul ne peut non plus jurer qu’elle ne constitue pas un « soulagement » pour la Maison-Blanche et même l’Elysée.

Américains et Français ont donc salué l’offre russe, tout en précisant qu’ils « ne tomberont pas dans le piège » et en annonçant le dépôt d’une énième résolution au Conseil de Sécurité. Mais le fait est que le bluff russe a changé la donne. Le vote au Sénat américain, censé autoriser les frappes, a été repoussé sine die. El Assad peut continuer à pilonner son peuple avec des barils de TNT, des Scud et des bombes à fragmentation portuguese translation