SINAÏ Au bord du chaos
Mireille DUTEIL

Le Sinaï est devenu une véritable pétaudière. Au lendemain de la destitution du président Mohamed Morsi par l’armée, le 3 juillet, les plus lucides des Egyptiens craignent que des islamistes radicaux ne transforment la péninsule du Sinaï en base terroriste. Ils n’avaient pas tort. De la mi-juillet à la mi-septembre, 58 policiers, 23 soldats et 17 civils ont été tués dans des attentats ou des attaques. En réponse, l’armée a éliminé plus d’une centaine de djihadistes. Mais les habitants du Sinaï l’accusent de nombreuses bavures parmi les populations bédouines. Le double attentat à la voiture piégée de Rafah, à la frontière avec Gaza, aurait été commis pour répliquer aux bombardements contre des civils, a déclaré, il y a quelques jours, un groupe jusqu’alors inconnu, « Jound al-islam ». Vaste, désertique, et montagneuse, bordée à l’ouest par le canal de Suez, à l’est par Israël et Gaza, et plongeant au sud dans la mer Rouge, la péninsule du Sinaï est un territoire de prédilection pour la guérilla.

Depuis qu’elle a été rendue à l’Egypte après l’accord de paix israélo-égyptien de 1979, elle n’a jamais été totalement contrôlée par le pouvoir central. Ses habitants, les descendants des tribus bédouines arrivées dans la région en provenance de la Péninsule arabique entre le XIVe et le XVIIIe siècle, ne se soucient guère des lois édictées au Caire. Marginalisés par le pouvoir central qui ne reconnaît pas leur droit à la terre, ne bénéficiant pas des royalties tirées des superbes plages touristiques du sud de la péninsule, ils vivent de la contrebande avec Israël et Gaza. Les Bédouins servent d’intermédiaires pour approvisionner les Palestiniens de Gaza (1,7 million de personnes) dont 60% de l’économie transite par les centaines de tunnels creusés sous la frontière. Tout passe : les hommes, les marchandises (jusqu’à des voitures entières) et bien sûr des armes pour le Hamas et les autres groupes armés. Au grand bénéficie de certaines tribus. Le coup d’état en Egypte a, d’un côté, donné un coup de pied dans la fourmilière.

L’armée a détruit des centaines de tunnels en les inondant. Gaza est de nouveau asphyxié. De l’autre, il a entraîné une multiplication des attaques. Des Frères musulmans, recherchés par l’armée, se sont réfugiés dans les zones montagneuses. On estime à 3000 le nombre de combattants au Sinaï aujourd’hui. Ces Frères cohabitent avec des groupes djihadistes liés à Al-Qaeda (ce sont eux qui commettent les attentats à la voiture piégée), et d’autres venus se réfugier depuis Gaza. Tous bénéficient de la protection des Bédouins qui monnayent leur sécurité. Un casse-tête pour l’Egypte et pour Israël qui collaborent militairement. Le traité de 1979 interdisait aux Egyptiens de mettre l’armée dans le Sinaï. Ce n’est plus d’actualité. Déjà sous Morsi, et plus encore maintenant, l’Etat hébreu a donné son feu vert pour que les Egyptiens déploient des chars et des hélicoptères. Israël craint que le Sinaï ne devienne une base arrière d’attaque pour son territoire. Pour l’Egypte, c’est une zone stratégique et économique essentielle d’où elle tire les revenus du canal de Suez, ceux des gazoducs venus du Moyen-Orient et les devises tirées du tourisme греция тур на майские