« El Hiba » (l’Aura)

Par Ahmed Charaï

La chaîne MBC a présenté à son public une série de très haut niveau. Les artistes syriens (et libanais), dont le pays est en ruine depuis 7 ans, ont démontré une nouvelle fois la maîtrise de la fiction, du scénario à la réalisation, avec un jeu d’acteurs de très grande qualité. L’histoire est celle d’une famille, dans les montagnes frontalières entre la Syrie et le Liban. Le tribalisme fait que cette famille prend réellement le pouvoir dans cette région. Grâce à des trafics, d’armes notamment, elle a les moyens de faire de la redistribution et d’obtenir l’adhésion des populations qui y voient un protecteur bienveillant et non pas une mafia. L’histoire est le récit de ce qui fait la vie humaine partout dans le monde : l’amour, la jalousie, la trahison, la lutte pour le pouvoir. Une fiction d’un niveau que la production marocaine n’a jamais pu tutoyer et on ne peut que le regretter. Mais c’est un autre débat.

« El Hiba » (l’Aura) a des messages très forts, mais l’un d’entre eux paraît le plus important: Le désengagement des gouvernements. En Colombie, Pablo Escobar avait réussi à se faire élire au parlement avec un pourcentage avoisinant les 80%, alors que tous les électeurs savaient qu’il était le patron des narco trafiquants et qu’il avait commandité des dizaines de meurtres. Mais à l’inverse, il avait construit des routes, des écoles, financé le club de football, payé les soins des malades. Ces situations se retrouvent un peu partout dans le monde. Leur dénominateur commun c’est la démission des gouvernements, l’abandon de leurs fonctions Régaliennes.

Dans « El Hiba » ce constat est très clair. Le gouvernement n’assume plus ses fonctions, les politiques sont totalement discrédités, la société civile est presque inexistante. Dans ce contexte les gens se réfugient auprès des organisations sociétales, comme la tribu, pour survivre. Au sein de celle-ci les phénomènes mafieux s’imposent, parce qu’en l’absence d’une activité pérenne, seule l’économie souterraine peut procurer les moyens de survie. C’est ainsi que des structures mafieuses se substituent au rôle des gouvernements défaillants. Les jugements moraux n’ont pas lieu d’être quand la survie matérielle est en jeu.

Ces mafias assurent leur propre ordre et les populations s’y plient, non seulement par crainte de la violence, mais parce que cet ordre protège contre l’anarchie généralisée et procure un soutien matériel. Ces situations sont un danger pour les Etats-nations. Elles sont l’antithèse d’un projet national, d’un Etat de droit. C’est bien montré dans « El Hiba », la nation s’efface totalement devant le particularisme, parce que l’absence de l’acteur essentiel d’un Etat, le gouvernement en l’occurrence, réduit l’idée de nation à une chimère.

Les Etat-nations n’ont de sens que quand une certaine équité régionale est assurée. Sinon ce sont des organisations hors-la loi, régressives ou les deux à la fois, qui se substituent à lui.

A méditer !