Mardi 1 octobre, Beaulieu sur mer
Vincent HERVOUET

Le président du Mozambique parle d’une voix douce, répond des banalités modestes aux questions gênantes et pouffe de rire quand on insiste. Non, il n’est sûrement pas l’homme le plus riche du pays ni le plus pauvre de l’Afrique australe ! D’autres ont fait fortune depuis qu’il est revenu au pouvoir, il y a dix ans... Non, il ne regrette pas d’avoir été prosoviétique à l’époque de la guerre civile qui a fait un million de morts. Tout est de la faute de l’ennemi, stipendié par la Rhodésie raciste et l’Afrique du sud de l’apartheid! Non, il n’a pas eu tort au lendemain de l’indépendance de signer le décret 24/20 qui expulsait les Portugais présents depuis cinq siècles et leur donnait 24 heures pour quitter le pays en emportant 20 kilos de bagages maximum… La gentillesse du Président Armando Guebuza est désarmante mais elle ne fait pas illusion. Il a été l’apparatchik en chef d’un communisme tropical qui a achevé de ruiner le pays. Puis, le big boss de la libéralisation, quand il s’est lancé dans les affaires en créant un petit empire sur les décombres de l’économie du Mozambique. Armando Guebuza a ainsi incarné tour à tour, le communisme le plus dur et le capitalisme le plus sauvage. Avec ses yeux vifs et son visage sans rides, on a du mal à croire qu’il ait 70 ans. On a du mal à le croire tout simplement. Mais on l’écoute avec une grande attention comme tous les gagnants du loto. Car il règne désormais sur un rêve. Le Mozambique était choyé par les institutions internationales, avec ses 7% de croissance annuelle. C’est désormais l’eldorado africain. On y a découvert en 2009 des mines de charbon d’une qualité sans pareille et d’immenses gisements de gaz. Il y a dix ans, la moitié du budget national provenait de l’aide internationale. Dans dix ans, les royalties touchées sur le gaz représenteront dix milliards de dollars. Passer ainsi de l’économie de survie à la prospérité est un défi. Quand on demande à Armando Guebuza s’il redoute que cette fortune réveille les démons du Mozambique, il répond qu’il n’y a rien de pire que la pauvreté. Que la pauvreté ne laisse aucun choix. En attendant, il n’a pas l’intention de partager le gâteau avec les reliquats de l’opposition, dont le chef a repris le maquis. Il a mieux à faire : piloter les débuts d’une grande aventure industrielle. Tout est à bâtir, les routes, les ports, les voies ferrées. Il faut apporter l’électricité et l’éducation dans les provinces. Il faut construire des villes et des esprits. Des centaines de kilomètres de plages sont à exploiter, les hôtels et les golfs attendent pour sortir de terre. Tout est à faire. C’est exaltant. Cela prendra une génération. Lancer le chantier occupera ses vieux jours. Armando Guebuza est d’ailleurs sur la Côte d’Azur parce qu’il a acheté sur plan une trentaine de chalutiers et de patrouilleurs que doivent lui livrer les chantiers de Normandie, premier pas pour la reconquête des eaux territoriales braconnées par les bâteaux-usines du monde entier. Dans un an, il laissera la Présidence, promis, juré ! Mais il restera à la tête du comité central du Frelimo, le parti majoritaire où il a été réélu et il reprendra les rennes de son groupe (BTP, pêche, médias, etc.). Cet âge est insatiable. Le pouvoir comme un élixir de jeunesse.