Parlement européen: Une machine imprévisible

Bruxelles est la capitale politique de l’Europe. Elle est aussi la capitale des lobbyistes. D’où son surnom : Lobbyland. Chaque jour, les 3000 groupes de pression et les milliers de lobbyistes qui ont élu domicile dans cette capitale tentent par tous les moyens de défendre les intérêts de leurs donneurs d’ordre. Ceux-ci peuvent être des industriels comme ils peuvent être des pays… De la sorte, les décideurs européens, dont les parlementaires, sont mis à rude épreuve. Ce jeu d’influence, considéré comme dangereux pour la démocratie européenne, défraie la chronique de temps à autre. Il explique aussi certaines bonnes ou mauvaises surprises que réserve parfois l’Union européenne à ses partenaires. Les Marocains semblent d’ailleurs avoir tiré la leçon du rejet, il y a deux ans, de l’accord de pêche entre le Royaume et l’UE. Mais, aucun responsable marocain n’ira jusqu’à affirmer avec certitude ce qui pourrait se passer après la mi-octobre, quand le Parlement européen devra voter en plénière un nouvel accord du même genre. Parce que d’ici là, les lobbyistes ne vont pas chômer, L’Observateur du Maroc s’est invité à Bruxelles dans les coulisses du Parlement européen pour mieux comprendre ses rouages et son rapport avec les lobbyistes.

La géante Union européenne élargie dispose de gros appareils pour assurer son fonctionnement. Avec ses 766 députés élus au suffrage universel direct dans ses 28 pays membres, le Parlement, qui « co-légifère » avec le Conseil de l’UE et la Commission européenne, en est la principale plaque tournante. Cette institution tient ses plénières à son siège à Strasbourg, mais tout se prépare, voire se décide, à l’Espace Léopold à Bruxelles où les parlementaires européens tiennent leurs commissions et certaines séances plénières additionnelles. Ces législateurs sont craints, tant leurs rapports, et a fortiori leur voix, peuvent changer le cours de l’histoire dans un secteur industriel, ou encore entacher l’image d’un pays… Ce n’est donc pas par hasard que la capitale Belge, devenue par la force des choses capitale politique de l’Europe, attire les lobbyistes du monde entier. Et parce que cette activité dérangeait les électeurs européens qui craignaient de voir leurs élus céder aux pressions et aux forces persuasives, la Commission et le Parlement européens ont lancé, le 11 juillet 2011 le registre de transparence qui n’est autre que le registre recensant les lobbyistes déclarés.

Cet outil a permis de recenser, au 25 septembre 2013, pas moins de 5.881 entités qui entretiennent avec les institutions européennes, dont le Parlement, des « relations continues et légitimes ». La moitié de ces lobbyistes représentent des intérêts privés. Le nombre le plus imposant est celui « des représentants internes et des groupements professionnels » (2.947). Dans ce lot, on trouve 1.796 associations professionnelles, 845 sociétés et groupes et 108 syndicats ainsi que 198 organisations analogues. Les ONG sont aussi présentes en force avec 1.514 entités. Les groupes de réflexion, organismes de recherche et institutions académiques ne sont pas en reste avec 421 entités. Les organisations représentant des autorités locales, régionales et municipales ainsi que d’autres entités publiques ou mixtes, entre autres, sont représentées par 273 entités. Les églises et les communautés religieuses sont aussi conscientes de la nécessité du lobbying puisqu’elles sont représentées par 37 entités. Ces chiffres donnent du crédit aux différentes sources rencontrées au Parlement européen et en dehors de cette institution qui estiment le nombre de professionnels du lobbying à 30.000 personnes.

Tout ce beau monde tente de défendre l’intérêt de ses clients en travaillant au corps les députés européens. Cela vaut pour l’ONG écologiste qui veut sauver le ton rouge dans l’Atlantique, ou un pays, comme l’Algérie, qui fait tout pour mettre son frère-ennemi le Maroc, dans une mauvaise posture. Des eurodéputés nous ont confié (sous couvert de l’anonymat tant le sujet est embarrassant) qu’ils ne voient aucun mal à être approchés par des forces de pression, même quand il s’agit de défendre l’intérêt d’un pays au détriment d’un autre. L’un d’eux ira jusqu’à s’exclamer : « C’est de bonne guerre !». « Nous savons distinguer le bon grain de l’ivraie », ironise un autre. Mais son sens de l’humour a mué en langue de bois quand il a fallu parler de l’utilisation de l’argent et des cadeaux par ces « forces de pression ». Pour lui, aucun parlementaire ne pourrait jouer à ce jeu-là. Tous disent que c’est trop dangereux.

Il est certes difficile de prouver le contraire, mais quand on voit les budgets colossaux que des multinationales réservent au poste budgétaire « Lobbying », le doute est permis. Que l’on en juge ! Une liste de 161 lobbyistes opérant auprès des eurodéputés pour le compte du fabricant de cigarettes américain Philip Morris montre que chacun de ces lobbyistes se voit affecter un budget spécifique pour l’organisation « d’événementiels », pour un montant total de 548.927 euros. L’information vient d’être révélée par le quotidien français Le Parisien. Elle fait scandale actuellement en France. Peut-être pousserait- elle certaines langues à se délier.