Comment relancer le secteur touristique ?
Villes touristiques au Maroc

Quels sont les dysfonctionnements du modèle touristique marocain ? Quelles sont les contraintes qui limitent sa contribution à l’économie nationale et régionale ?  Quelles stratégies à adopter en réponse aux effets des crises sanitaires, environnementales et économiques ?...Le CESE décortique le secteur.

« Bien que l’industrie touristique ait été mise en difficulté par le passé, la pandémie de la Covid-19 a fortement exacerbé ces difficultés structurelles et a eu de forts impacts économiques et sociaux sur son évolution », déclare Ahmed Réda Chami lors de la présentation de l’avis du CESE qu’il préside sur la relance du tourisme et son repositionnement stratégique à l’échelle nationale et internationale. L’objectif est « de mettre en place une nouvelle stratégie, basée sur une vision globale et intégrée et visant à promouvoir un tourisme durable, résilient et inclusif, favorisant le développement d’un tourisme des régions et la création de richesses et d’emploi en particulier au profit des femmes et des jeunes », ajoute le président du CESE. Le conseil s’est appuyé sur une approche participative basée sur l’écoute des principaux acteurs concernés par la thématique, parmi lesquels les institutions publiques (MTATAES, ONMT etc.), les associations/fédérations des professionnels du secteur (CNT, CRT), les organismes privés (tours opérateurs, bureaux d’études etc.), et une contribution écrite des acteurs actifs de la société civile dans ce domaine (CGEM, syndicats, fondations et ONG nationales, etc.).

Des dysfonctionnements majeurs

« L’analyse du secteur du tourisme au Maroc durant ces vingt dernières années révèle un certain nombre de dysfonctionnements récurrents », note le CESE qui cite notamment des stratégies qui peinent à réaliser leurs objectifs fixés, la problématique de la triple concentration (aux niveaux des villes, des arrivées/nuitées par pays émetteur, et saisonnalité de l’activité), une défaillance majeure du dispositif de pilotage, les difficultés de financements au niveau du secteur, absence de la cartographie de l’emploi...Dans le détail, le CESE souligne que sur le plan des objectifs quantitatifs, la mise en œuvre de la vision 2010 a révélé des résultats relativement bons au regard des indicateurs établis par le département de tutelle. Les résultats de la vision 2020, restent cependant mitigés et les objectifs escomptés sont encore loin d’être atteints. En effet, l’objectif de mobiliser 150 MMDH d’investissement à répartir sur les différentes destinations n’est pas atteint. Sur 64 MMDH mobilisés, seulement 37,7 MMDH émanent du secteur privé dont 22% porté par des investisseurs étrangers. Les régions de Marrakech-Safi et de Casablanca-Settat accaparent successivement 32% et 23% de l’investissement mobilisé. « Avec la crise de Covid-19, le PIB touristique accuserait un manque à gagner de 72,1 milliards de dirhams en 2020 dû entre autres, au déficit de 64,3 milliards de dirhams en termes de recettes de voyage », révèle le CESE qui ajoute que ces écarts ont engendré 335.272 postes non créés. Concernant la problématique de la triple concentration, le CESE insiste que le fort déséquilibre en termes de développement touristique selon les villes et les régions et de ventilation des arrivées/nuitées par pays émetteur et en fonction des saisons. En effet, les statistiques de l’ONMT indiquent une forte concentration de l’activité, soit 60% des nuitées, au niveau de deux villes : Marrakech et Agadir. Le développement de nouvelles zones touristiques n’a pas permis l’essor d’autres pôles ou grandes villes touristiques en dépit des programmes mis en place. Le deuxième aspect de concentration du secteur est reflété par la répartition des différents pays émetteurs, dans la mesure où 52% des arrivées de touristes étrangers sont issues de deux pays européens : la France et de l’Espagne. Cette concentration accroît la vulnérabilité des recettes touristiques et des revenus des populations qui travaillent dans le secteur, par rapport aux fluctuations de la conjoncture économique de ces deux pays. Le troisième aspect est lié à la saisonnalité des nuitées touristiques qui engendre une instabilité de l’emploi, des revenus au niveau local, et impacte négativement la rentabilité des investissements touristiques réalisés au niveau régional. « Cette triple concentration impose la nécessité de réviser le modèle de développement touristique afin qu’il soit davantage résilient, territorialisé et capable d’assurer une activité plus pérenne et des emplois plus stables tout au long de l’année », recommande le CESE.

Un dispositif de pilotage défaillant

Une défaillance majeure, concerne le dispositif de pilotage. « Le pilotage stratégique de la mise en œuvre de la stratégie nationale a fait défaut, le Conseil National du Tourisme (CNT) devant assurer le suivi de l’exécution des deux visions (2010 et 2020) et de ses mesures d’accompagnement n’a pas été créé. Les Agences de Développement Touristiques (ADT) pour la mise en œuvre des stratégies territoriales n’ont également pas été créées et la mise en œuvre et le suivi des contrats programmes régionaux (CPR), n’a pas été correctement assurée », regrette le CESE. En outre, le cadre de coordination stratégique et opérationnel prévu entre les acteurs publics en charge des relations étrangères pour l’accompagnement de la promotion du Maroc n’a pas été formalisé . Pour le secteur privé, le tissu des opérateurs est particulièrement fragmenté et vulnérable et le dialogue institutionnel avec les professionnels reste, d’après les acteurs auditionnés, très difficile. Sur le volet financement, le CESE affirme que le financement des investissements par fonds propres demeure prépondérant avec 55% en nombre de projets et 32% en capacité litière. La fiscalité à la fois nationale et locale liée au secteur reste moins attractive comparativement à d’autres secteurs et à d’autres pays.

Tourisme interne, un produit inadapté

En matière de promotion touristique, les performances enregistrées sont en retrait par rapport aux objectifs de la vision 2020, car les parts de marché dans les principaux marchés émetteurs sont globalement moins élevées que ceux des concurrents. A l’exception de la Chine, les parts de marchés du Maroc se sont relativement détériorées et/ou stabilisées comparativement à 2010. S’agissant du marché interne, il se caractérise par l’inexistence de produit adapté et de mécanismes de soutien dédiés avec des réseaux de distribution structuré. Concernant la question de la durabilité, l’intégration des critères de durabilité dans le cadre de la nouvelle loi n° 80-1423 est une avancée significative qui reste tributaire de l’adoption des textes d’application. La mise en place d’indicateurs de durabilité et de dispositifs de veille régionaux a été lancée mais s’est heurtée à la problématique d’adhésion des différentes parties concernées par le processus de collecte de données.

Les recommandations du CESE

Le CESE a formulé une série de recommandations articulées autour de six axes majeurs. S’agissant du volet de la gouvernance, le CESE recommande d’instaurer une loi-cadre du tourisme et de promouvoir une planification stratégique intégrée, impliquant une convergence des moyens et des ressources et un suivi-évaluation pour toute la chaîne de valeur. Pour ce qui est du tourisme durable et responsable, le conseil propose d’opérationnaliser la charte marocaine du tourisme durable, de contribuer à travers le système fiscal à la promotion des investissements durables, productifs, créateurs d’emplois et catalyseurs de la valeur au niveau des territoires hôtes et d’opter pour une approche « Tourisme 365 jours ». Au niveau du tourisme national, il conviendrait, selon le CESE de proposer des produits touristiques spécialement dédiés au tourisme national en ses divers segments et adaptés au pouvoir d’achat, de promouvoir le tourisme social et solidaire et développer les auberges des jeunes et d’inventer une offre adéquate pour les MRE en prenant en considération leurs styles de vie et leurs modes de consommation des loisirs et sports.

Sur le plan de la digitalisation, pour le CESE, il y a lieu de promouvoir des destinations et des produits touristiques durables à travers la communication, la connectivité et la digitalisation en proposant un circuit de réservation et de paiement marocain permettant d’éviter la sortie de devises et des commissions hors Maroc et en faisant évoluer la communication numérique officielle vers l’expérience-client.

Par ailleurs, il importe de qualifier le capital humain en s’alignant sur les tendances mondiales et en visant l’excellence par la mise à jour de la cartographie de l’emploi dans le tourisme et l’initiation de la signature d’une convention sectorielle collective en matière de formation et de renforcement des compétences.

Enfin, le Conseil considère que la territorialisation constitue un cadre propice à la mise en œuvre des stratégies pour assurer la coordination entre l’échelle nationale et régionale. Dans ce sens, le CESE préconise de mettre en corrélation les stratégies nationales du tourisme, de la culture, de l’artisanat, de la jeunesse et sport et du développement durable et en assurer la déclinaison territoriale, de soutenir la mise en œuvre des stratégies régionales du tourisme durable en appuyant les conseils régionaux dans l’élaboration de leurs PDR et de concevoir une offre diversifiée autour de corridors traversant plusieurs territoires avec une thématique touristique commune.