La ville de toutes les connexions

Les avis diffèrent quand il s’agit de parler de la ville du futur ou du futur de la ville, mais ne s’opposent pas. Ils sont autant de morceaux d’un puzzle que nous avons tenté de constituer. L’ensemble forme une esquisse à travers laquelle on peut entrevoir ce que sera la ville de demain.

Parmi nos interlocuteurs, nombreux sont ceux qui estiment que la ville du futur sera fortement connectée. Pour eux, les réseaux télécoms devront permettre une circulation sans barrière des informations entre les services publics locaux. On n’est pas loin en cette occurrence du schéma futuriste de la Smart city où les panneaux de signalisations servent aussi à signaler un accident au commissariat le plus proche et à envoyer le même message à l’ambulancier disponible… Cette ville ressemblerait aussi à ces réfrigérateurs déjà en vente qui renseignent leur propriétaire sur l’état des provisions qu’ils contiennent. Serait-ce là un rêve inaccessible pour des villes marocaines ? Tous les spécialistes s’accordent à dire que non. Au contraire, ces outils sont aujourd’hui facilement «implémentables», encore faut-il qu’il y ait une politique bien réfléchie pour les intégrer dans la vie courante des citoyens. Parce qu’il s’agit avant tout, et c’est là un point qui fait l’unanimité chez nos interlocuteurs, de mettre le citoyen au centre de la démarche. C’est pour lui que la ville doit être conçue, bâtie, agrandie, transformée, viabilisée... Le citoyen, la citoyenne, le jeune, le vieux, la femme, l’handicapé… Chaque citoyen doit être considéré et son avis entendu et respecté.

C’est ce qui donne à la démarche participative tout son sens. Dans cette perspective, des mécanismes de concertation nouveaux sont réclamés et avec eux de nouveaux organes locaux de représenta-tivité citoyenne. C’est dans le quartier que doit commencer cet exercice démocratique, pour échapper à la verticalité des décisions. « La politique locale ne doit pas rester l’apanage de l’élite dirigeante qui est souvent déconnectée des réalités », nous ont répété des connaisseurs des affaires locales venues de divers horizons et de différents pays. Certains parmi ces derniers veulent que les villes de demain soient plus vertes et par dessus tout plus respectueuse de l’environnement. Cet aspect devra concerner le transport, l’industrie et tout ce qui fait vivre une ville. Par ailleurs, tous nos interlocuteurs savent que les challenges qui doivent être relevés dans la ville de demain sont énormes.

Et pour cause ! Pas moins de 80% des populations vivront demain dans des zones urbaines. Cet afflux massif que rien n’arrêtera, à en croire d’éminents spécialistes, posera des problèmes de logement, de sécurité et d’accès aux services de base, à l’éducation, à la culture, au divertissement… Ce sont là aussi des questions élémentaires qui ne devront pas être occultées. D’où l’insistance du prix Nobel de l’économie, Roger B. Myerson, qui a participé au CGLU de Rabat, sur le leadership local. La ville doit donc avoir ses propres laboratoires d’idées, ses managers visionnaires, ses politiques audacieux et ses planificateurs perspicaces. Sinon, le risque est grand de voir l’improvisation régner. Et c’est là la source des vrais problèmes des villes d’aujourd’hui qui servent d’exemples à éviter pour demain.

Témoignages :

Nabil Benabdallah, ministre de l’Habitat, de l’urbanisme et de la politique de la ville

La ville de demain devra être équitable. C’est une ville qui devra permettre à l’être humain de s’épanouir, de créer des activités tout en assurant une bonne répartition des richesses. C’est une ville qui tiendra compte de toutes les contraintes rencontrées aujourd’hui, qui donnera du sens au développement durable. Une ville qui puisse, dans le cadre de la mixité entre les différentes couches sociales, donner accès le plus équilibré possible aux services les plus élémentaires, tout en intégrant les technologies les meilleures et les plus innovantes. Tout cela pour faire en sorte que la ville de demain ne soit pas un lieu de déperdition des énergies ou d’atteinte à l’écosystème. Cela est beau à dire, mais très difficile à réaliser. Nous sommes dans une période de transition. La prise de conscience est là et les premières initiatives apparaissent, y compris au Maroc. Nous avons désormais un ministère chargé de la ville, à côté de l’urbanisme et de l’habitat. En outre, un certain nombre de programmes d’habitat et d’urbanisme sont marqués du sceau du développement durable et de la recherche d’efficacité et d’équilibre.

Abdelaziz Rebbah, ministre de l’Equipement et du transport

La ville de demain devra être vivable, avec tout ce que ce mot englobe. Et on est dans cette perspective au Maroc puisque chaque ville a d’ores et déjà son propre plan de développement urbain. L’objectif est de développer les services rendus aux citoyens et d’améliorer les infrastructures notamment celles du transport. Le tout avec l’animation de la ville sur le plan économique, social et culturel. Il faut aussi rendre la ville visible à l’échelle nationale et internationale.

Miriem Bensalah- Chaqroun, présidente de la CGEM

La ville de demain devra être encore plus intelligente et intégrée. Elle devra assurer une meilleure cohésion à la fois sociale et spatiale. Les lieux de travail doivent être bâtis en harmonie avec ceux des loisirs et les autres lieux de vie. Dans ce cadre, les entreprises doivent disposer d’espaces dédiés savamment conçus et disposant de toute la logistique nécessaire. A la base, même au stade de la planification urbaine, le secteur privé doit être partie prenante dans les concertations.

Mohamed Rabie Khlie, Directeur général de l’ONCF

La ville de demain sera celle qui permettra le déploiement concret du développement durable. Là dedans, la composante tranpsort de masse, par rail, est un élément essentiel. D’ailleurs nombre de villes nouvelles ne doivent leur réussite qu’ à la mobilité qui est assurée et qui est incluse avant même la réalisation de ce genre de projets.

Latefa Ahrrare, actrice et metteur en scène

La ville du futur est un espace de vie où hommes et femmes devront jouir des mêmes droits. C’est aussi un espace où la sécurité doit être bien assurée pour toutes et pour tous. Bien sûr, on n’insistera jamais assez sur la nécessité des espaces verts et décloisonnés. Il faut que les différentes couches sociales puissent vivre ensemble dans l’harmonie et la cohésion en bannissant le modèle français des HLM. Sur un autre registre, ça me fait mal de voir qu’il y a des Maisons des jeunes qui ont été construites à coup de milliards et qui restent fermées. C’est une erreur à réparer en ouvrant des espaces de proximité pour l’art, la culture, le dialogue, les multimédias, le sport… Il faut aussi que ces lieux puissent répondre aux vrais besoins des jeunes d’aujourd’hui.

Latifa Menaouar, directrice du Centre culturel Agdal à Rabat

La ville du futur devra disposer de beaucoup d’espaces verts. C’est une cité qui devra offrir les espaces nécessaires pour l’épanouissement des enfants et des jeunes. C’est aussi un lieu de vie où les habitants trouveront où se sortir et où pratiquer les loisirs.

Penny Xiang, responsable locale dans la municipalité de Pékin en Chine

La démocratie participative est essentielle pour le développement local. A la base la ville doit être au service de ses habitants. Toute l’attention doit donc être donnée au bien-être de ses derniers, à la qualité de leur vie. Cela passe par la mise en place des commodités nécessaires comme le transport et le logement, et les services publics permettant, par exemple, l’accès aux soins, à l’éducation...

Abderrazak Abdellah Hattab, président d’un Conseil municipal au Bahreïn

C’est par la démocratie et par la démocratie seulement que la ville pourrait aspirer à un meilleur avenir. Sans démocratie, point de développement ni même d’avenir. Si cette condition vitale est assurée, on pourrait alors voir grand et aspirer à une ville numérique et à une cité ultra moderne. Dans ce sens, l’ouverture sur le monde est essentielle. Il n’y a qu’à recenser le nombre d’idées lumineuses qu’il nous a été offert d’échanger ici à Rabat avec des participants venus des quatre coins du monde à l’occasion du CGLU. S’inspirer des expériences réussies est aussi une démarche porteuse pour bâtir la ville de demain.

Jasmina Vidmar, secrétaire générale de l’association des municipalités de la Slovénie

La ville de demain devra être très verte et accueillante. C’est une ville où les services de proximité devront être assurés. Femmes et hommes et toutes les tranches d’âge devront pouvoir évoluer dans un cadre agréable et où il fait bon vivre. L’avenir nécessitera aussi un usage plus poussé des nouvelles technologies. Encore faut-il que celles-ci restent au service de l’homme sans l’asservir et sans pousser encore plus loin l’individualisme.