MERCREDI: Le scoop d’Ayrault
Vincent HERVOUET

Garder un secret est un supplice pour tout journaliste. Pourtant, pendant cent jours, la presse a réussi à se taire sur la capture de deux confrères tombés entre de mauvaises mains en Syrie. Personne n’a vendu la mèche, aucun journal n’a laissé passer d’indiscrétions. Quand on parlait des dangers du métier, on citait le cas de Didier François et d’Edouard Elias, disparus en juin du côté d’Alep mais sans jamais évoquer deux autres professionnels enlevés quelques jours plus tard. La mésaventure de Nicolas Henin travaillant pour Le Point et Arte et de Pierre Torres, le photographe qui l’accompagnait était un sujet de préoccupations, pas un sujet de conversation. On ne fait pas de scoop sur le dos des confrères. Leurs familles tenaient à cette confidentialité. Les services spécialisés français et allemand qui oeuvrent à leur libération s’en félicitaient. Les reporters se rendant à Raqqa au nord de la Syrie rapportaient les rumeurs colportées par les insurgés et les réfugiés.

Aux dernières nouvelles (plus ou moins recoupées…), les deux journalistes étaient toujours en vie, entre les mains de geôliers islamistes le jour et bandits la nuit, un canal de négociation avait été ouvert et un intermédiaire diligenté. Ce secret d’Etat, respecté pour la bonne cause par les journalistes a été trahi par le Premier ministre en personne. En direct, à la radio, à l’heure de la plus forte écoute, Jean-Marc Ayrault a révélé l’existence de ces deux prisonniers, a donné leurs noms et précisé avoir reçu des preuves de vie. Personne ne s’attendait à ce coup de théâtre et l’intervieweur en a été le premier surpris. Le lapsus du premier ministre, cette gaffe magistrale est sans précédent dans l’histoire pourtant longue et pleine de rebondissements des kidnappings de Français à l’étranger.

Personne n’imagine que Jean-Marc Ayrault ait voulu faire l’intéressant. Ni qu’il ait fait ses révélations par ignorance ou pour venir en aide aux otages. L’explication est plus prosaïque : il ne doit pas dormir assez. Les sondages qui mesurent au quotidien l’impopularité de l’exécutif et montrent qu’elle atteint des sommets inconnus dans l’histoire de la V° république auraient de quoi le déprimer. Peut-être est-il surmené ? A moins qu’il soit aussi nul que le prétendent depuis des mois l’opposition et la plupart de ses ministres