Libre cours
Naim KAMAL

« LA FIBRE AROUBI [DE DRISS BASRI] sur laquelle était censée reposer sa sollicitude à l’égard des cadres du monde rural ou urbain pauvre ne menait pas à une inimité. Il réservait celle-ci et, paradoxalement, au monde urbain raffiné. Cette utopie citadine n’était pourtant pas payée en retour, dans la mesure où les citadins de souches le considérait comme un péquenot indécrottable, voire comme un adversaire qui voulait dégommer les Fassis ». Le propos est de Aziz Hasbi, l’un des hommes que l’on a mis sur le compte de l’ancien puissant ministre de l’intérieur. Lui-même n’occulte pas sa proximité avec Basri, mais on l’aura compris sinon on le relèvera à la lecture de son ouvrage, la scène et les coulisses, il aura toujours tenu à garder une certaine distance avec le zèle poussé de nombre de ceux qui ont servi sous les ordres de cet homme. Que l’on ne s’y méprenne pas. Le récit de Aziz Hasbi n’est pas consacré à celui qui a dominé pendant vingt-cinq ans l’un des plus puissants appareils de l’Etat. A peine quelques pages où il essaye de démonter la méthode basrienne et de démêler avec succès l’écheveau du rapport de Driss Basri avec le milieu universitaire.

L’IDÉE DE CE RÉCIT A PRIS FORME À PARIS dans le couloir des prostatiques. Quelques jours ou quelques semaines auparavant, Aziz Hasbi apprend qu’il souffrait d’un cancer de la prostate. Déchiré entre ses rapports avec son fils, le devenir de sa famille, son « entrée dans le couloir d’une mort » qu’il croyait prochaine, il a ouvert ses notes et ses dossiers qui l’ont amené à une interrogation existentielle : « Par quoi commencer ? Comment faire pour être en règle avec ce passé [qu’il était] en train de classer ? ». Débute un récit sobre où se mêlent le personnel et le professionnel, l’anecdotique et le fondamental. J’AI CONNU AZIZ ALORS QU’IL ÉTAIT SECRÉTAIRE GÉNÉRAL du ministère de l’information dont avait la charge le ministre de l’intérieur. Jeune journaliste, je fus frappé par son amabilité et son accessibilité. Il s’écartait de la morgue, comme l’appelle lui-même d’ailleurs, qu’affichaient la plupart des collaborateurs du puissant ministre. Les points cardinaux du Vatican Basri lui pesaient.

C’est ce constat qui m’amène à témoigner de la crédibilité de son récit. Universitaire, auteur de plusieurs ouvrages académiques, il a pris l’ascenseur social grâce à ses compétences intellectuelles mais aussi à sa constance et persévérance. Après l’information, Aziz fait un bref détour par la diplomatie comme représentant permanent du Maroc à l’ONU. Un piège à rat auquel il survivra et dont il raconte les péripéties dans son ouvrage. Sa pudeur d’homme du terroir l’empêche de citer des noms quand il s’agit de critiquer. Dommage. Il sera plus tard ministre des Affaires administratives et finira comme recteur de l’université Hassan II de Casablanca. Ce sont ces pérégrinations dans les dédales de l’Etat qu’il livre dans son récit. Un compte rendu clair, une analyse fondée et des propositions pertinentes pour améliorer la machine Maroc. Et sans avoir l’air d’y toucher c’est le royaume des années soixante-dix à ce jour, avec ses contradictions mais aussi ses cohérences, ses subtilités mais aussi ses futilités, ses pesanteurs mais aussi ses propres dynamiques, que Aziz raconte