Management: Les profits sont aussi nuisibles que les pertes
Peter Loscher

Par Andrew Hill

Demandez à un CEO de faire des déclarations publiques controversées sur son activité centrale et il aura tendance à être timide. Je le sais, parce que j’ai passé quelques années à tenter de les inciter à parler aux médias en tant que rédacteur au quotidien FT. Mais accordez-lui une ouverture pour exposer au monde ses initiatives de développement durable et vous aurez du mal à le faire taire. Le Pacte mondial des Nations Unies et les consultants d’Accenture viennent de donner à 1.000 dirigeants d’entre eux leur chance triennale de s’exprimer dans ce qu’ils appellent la plus grande étude sur la durabilité jamais faite par les dirigeants d’entreprises. Mais le buzz crée par les patrons du monde n’était qu’une cacophonie déprimante de gémissements et d’auto-congratulations: deux tiers d’entre eux pensent que l’entreprise ne fait pas assez d’efforts pour répondre aux défis environnementaux, sociaux et ceux liés à la gouvernance. Par contre, les trois quarts sont satisfaits de la rapidité et de l’efficacité du développement durable entrepris par leurs propres entreprises. Les auteurs de l’étude sont polis. Il ne fallait pas écarter les dirigeants d’entreprises qui se sont engagés, par le biais du Pacte mondial, afin de promouvoir les valeurs fondamentales dans des domaines importants tels que les droits de l’homme et la lutte contre la corruption.

Ils se réfèrent à «l’ambition frustrée» des dirigeants qui ont actuellement atteint un niveau de leur ascension vers un avenir plus durable. Pourtant, c’est un niveau où la plupart des dirigeants se feront un plaisir d’y faire une pause pendant une certaine période. La proportion de ceux qui considèrent le développement durable comme «très important» pour l’avenir de leurs sociétés a diminué depuis 2010. Et 83% d’entre eux font appel aux gouvernements pour les tirer vers le niveau suivant. En bref, ils sont à peu près aussi "frustrés”» que les grimpeurs qui observent à partir de leurs tentes réchauffées leurs rivaux les plus aventureux qui s’accrochent désespérément au rocher au moment où éclate une tempête au sommet. L’intérêt personnel est, comme il l’a toujours été dans le domaine de la responsabilité sociale des entreprises, une grande source de motivation. Carlos Brito, le directeur général d’AB InBev, a déclaré dans l’étude: «L’intégration du développement durable est plus facile quand il y a une logique d’en faire un choix judicieux du point de vue des affaires ». Mais comme me l’a indiqué Gavin Patterson, le nouveau directeur général de BT, il y a deux semaines, d’autres entreprises ont récemment modifié les priorités quand à certaines de leurs ambitions en matière de développement durable : dans les économies occidentales, au moins, «il ya eu d’autres urgences à gérer, comme payer les factures par exemple».

Beaucoup d’entre eux se lamentent que leurs cibles les plus importantes - les clients et les investisseurs - sont équivoques sur les avantages de renforcer cette politique. Même les entreprises pionnières envoient parfois des messages contradictoires. Siemens remporte les éloges du rapport de l’ONU pour ses initiatives d’énergie propre. Ces produits et services respectueux de l’environnement ont constitué le segment à croissance la plus rapide l’année dernière. Pourtant, en juillet dernier, l’anxiété des actionnaires et des membres du conseil suite aux mises en garde sur l’évolution des résultats et la réduction des marges, s’est conclue par le limogeage de Peter Löscher, le PDG de la compagnie allemande. Mais ce sont des excuses faciles. L’analyse de rentabilisation veut que l’entreprise prenne des mesures plus audacieuses. Ioannis Ioannou de la London Business School est co-auteur d’une étude montrant qu’une stratégie de développement durable cohérente conduit à une meilleure performance opérationnelle ainsi qu’à celle du marché boursier à long terme. Il indique que le rapport de l’ONU est une bonne nouvelle.

Dans certaines entreprises, la frustration conduira à l’innovation - comme c’est le cas lorsque les fabricants ont cherché d’abord à réduire la taille des ordinateurs centraux et à élargir le marché - tandis que celles qui n’ont pas réussi à s’adapter seront dépassées. Pour progresser, les grimpeurs les plus rapides doivent collaborer plus étroitement avec les fournisseurs et les clients. Afin de promouvoir une «économie circulaire», ils auront besoin de concevoir et construire un kit – du routeur BT au système d’éclairage Philips - pour le recyclage et la réutilisation. Pour améliorer la confiance, ils auront besoin de montrer que les plans radicaux dont notamment le nouveau programme contre-intuitif de Syngenta visant à encourager les agriculteurs à faire plus avec moins en matière de pesticides et d’engrais- sont plus que de simples actions de «greenwashing» et améliorent le rendement pour l’entreprise, le client et la communauté. Comme dans toute innovation, les dirigeants doivent faire preuve de courage pour franchir ce pas. Mais ils auront aussi besoin d’une autre composante: une volonté de prouver publiquement que le bon sens et la rentabilité dans le développement durable sont une seule et même composante. Un CEO cité dans l’étude de l’ONU l’a bien formulé : «L’entreprise ne fait absolument pas assez d’efforts: Nous sommes freinés par la timidité, par un manque de compréhension et par l’absence d’une approche plus holistique ». A la publication du rapport 2016, peut-être qu’il ou elle aura le courage de s’identifier.