Tunisie : Une construction contrastée

Par Ahmed Charaï

Le peuple tunisien, depuis 2011, est engagé dans une transition démocratique où les acquis sont remarquables. La société civile a joué un rôle très important pour éviter une hégémonie islamiste, alors qu’Annahda était le parti le mieux organisé à la chute du régime de Ben Ali. Il y a eu différentes  étapes, qui laissaient apparaitre une vraie volonté de construire une démocratie réelle.

Les élections présidentielles devaient être un palier supérieur dans cette construction. Les débats contradictoires, l’absence de violence ou même d’incivilité, ont été salués par tous les observateurs, comme un fait démocratique avancé.

Mais les débats n’ont pas influencé le vote. Sauf énorme surprise, la finale se jouera entre deux candidats anti-système. Nabil Karoui est emprisonné, pour fraude fiscale et blanchiment. Il était un proche de l’ancien président Ben Ali, il détient une chaîne de télévision. Kaiss Saied, est un constitutionnaliste, islamisant, qui s’est exprimé contre l’égalité devant l’héritage, mais qui promet un référendum révocatoire, comme moyen de contrôle des élus. Les deux promettent la croissance et la prospérité.

C’est un séisme politique parce que tous les partis traditionnels sont battus, y compris ‘’Annahda’’ et Nidae Tounis. La crise est sûrement très profonde, parce que face à Chahed, le premier ministre en exercice, il y avait son ministre de la défense et deux autres candidats se réclamant de la même matrice.

Les islamistes ont présenté leur numéro 2, Abdelfattah Mourou, contre leur ex-premier ministre Jebali et le trublion Said Kaissi qui était un proche et qui serait arrivé en tête. La gauche, déjà battue en 2014 avec une candidature unique, en a présenté quatre. Ces divisions sont révélatrices de la difficulté de la classe politique à répondre aux attentes de la société. Déjà durant la campagne électorale les observateurs notaient que les Tunisiens ne s’intéressaient qu’à deux sujets : l’économie et la sécurité nationale.

Les convulsions politiciennes ont fini par fatiguer les populations. La révolution n’a pas amené de bien-être matériel. Dans ces conditions, le populisme a des chances de l’emporter. C’est le risque de la démocratie et il faut l’accepter.

Mais le problème est dans la stabilité future de l’Etat. Le Président élu aura des compétences réduites à la sphère régalienne: Diplomatie et sécurité. Le gouvernement sera issu du rapport de forces à l’intérieur d’une classe politique, déchirée et déjà désavouée. Ce n’est pas la meilleure perspective, pour apaiser la société.

La construction démocratique n’est jamais un long fleuve tranquille, les transitions peuvent durer très longtemps, avec des convulsions extrêmes.

La Tunisie, grâce à l’existence d’une véritable classe moyenne, paraissait mieux armée que les autres pays du printemps arabe. La crise économique a largement fragilisé cette classe moyenne. Le séisme politique, trouve, peut-être, son origine dans cette réalité.