Interview - Fethi Debbabi : « L’ONU reste incontournable et irremplaçable »

L’ONU vient de clore la 74e session de son Assemblée générale. Les réunions, les pourparlers, les rencontres en coulisses suffiraient-ils à calmer les esprits belliqueux, à changer la donne concernant la catastrophe climatique annoncée et à peser sur les nombreuses grandes questions supranationales qui se posent dans le monde d’aujourd’hui ? Il faut être un utopiste pour répondre par l’affirmative. Alors à quoi sert cette organisation et que pourrait-elle changer face aux grandes puissances ? Pour répondre à ces questions, nous avons rencontré, Fethi Debbabi, Directeur du Centre d’information et porte-parole des Nations Unies à Rabat.

Entretien réalisé par Hamza Makraoui

 

 

L’Observateur du Maroc et d’Afrique : L’ONU vient de tenir son Assemblée générale à un moment où le monde bouillonne de toutes parts. Que peut apporter cette organisation face aux grands défis mondiaux ?

Fethi Debbabi : Il y a environ 75 ans, l’ONU a été créée justement pour apporter des solutions aux grands défis mondiaux ; pour jouer un rôle d’initiateur, de rassembleur et de facilitateur et aider ses pays membres à dialoguer et à oeuvrer ensemble pour un monde meilleur. Depuis sa création, l’Organisation a pu épargner au monde des catastrophes certaines, désamorcer des crises, résoudre des conflits sanglants et remettre des pays sur la voie de la paix et du développement. Après toutes ces années, l’ONU reste incontournable et irremplaçable quand il s’agit de défis mondiaux. Prenons des exemples brûlants comme le changement climatique, la migration, le dialogue des civilisations, est-ce que vous voyez une organisation autre que l’ONU qui puisse avoir cette capacité d’initier et organiser le débat mondial, faciliter le consensus, l’adoption et la mise en oeuvre de plans d’action globaux ?

Cette année, par exemple, en plus du débat général de la session annuelle de l’Assemblée générale, le Secrétaire général António Guterres a réussi à réunir, en l’espace d’une semaine, cinq sommets qui ont mobilisé les leaders du monde autour de cinq questions stratégiques pour l’Humanité : le Climat, les Objectifs de Développement Durable, la couverture santé pour tous les citoyens du monde, le financement du développement ainsi que les défis particuliers auxquels font face les petits États insulaires en développement.

Concernant précisément l’Assemblée générale qui se tient à New York, la Russie vient de ratifier l’Accord de Paris sur le climat. Est-ce là, selon vous la plus importante annonce de cette 74e session ?

L’adhésion de la Russie à l’accord de Paris est, sans doute, une annonce importante. Cela conforte encore davantage la tendance de l’adhésion assez marquée de la majorité des pays du monde à l’Accord de Paris et aussi la conscience que nous faisons face à une urgence climatique qui demande un changement de la façon de faire et qu’il n’est plus possible de continuer « le business as usual ». Cela reflète la conviction des pays membres et d’autres acteurs aussi qu’il y a une nécessité absolue d’agir rapidement et de façon plus conséquente afin de pouvoir maintenir le réchauffement planétaire dans les limites de 1,5 degré Celsius. Le sommet a donné lieu à d’importantes annonces d’actions concrètes dans le sens de la réduction des émissions et l’acheminement vers un monde sans carbone d’ici 2050. Il y a eu d’importantes annonces par des gouvernements, par le secteur privé, le secteur de la finance et des banques, mais aussi par les villes. Je citerais à titre d’exemples, l’engagement de 77 pays pour atteindre zéro carbone d’ici 2050 ; 70 autres qui ont annoncé que d’ici 2020 ils auront soit augmenté leurs engagements nationaux pour réduire les émissions, soit entamé ce processus.

En parlant de la Russie, comment voyez-vous l’avenir de ses relations avec les USA ?

Le Secrétaire général a toujours plaidé pour des relations de coopération saine et fructueuse entre tous les États membres de l’ONU et s’est toujours déclaré prêt à servir dans ce sens.

Pourtant, les plus alarmistes parmi les observateurs craignent une nouvelle guerre mondiale, surtout après ce qu’il vient de se passer en Arabie saoudite. Partagez- vous ces craintes ?

Dès les premiers jours à la tête de l’Organisation, le Secrétaire général a plaidé pour une « poussée diplomatique pour la paix » dans le monde. Il a toujours appelé à augmenter la diplomatie et à réduire la rhétorique. Il s’est toujours dit prêt à offrir ses bons offices pour désamorcer les crises et servir la paix mondiale. Le monde a en fait besoin de coopération pour la paix et le développement et pas du tout de conflits. Le monde a besoin de coopérer pour faire face à des menaces existentielles comme le changement climatique et ses impacts dévastateurs. Pour le cas de l’Arabie saoudite, le Secrétaire général a condamné les attaques contre les installations pétrolières saoudiennes et a appelé les parties à faire preuve de la plus grande retenue, afin de prévenir toute escalade dans un contexte déjà tendu.

 

Pour en revenir aux Assemblées générales de l’ONU, de nombreux observateurs estiment que, mises à part quelques grandes annonces, ces grandes réunions annuelles se suivent et se ressemblent. Est-ce aussi votre sentiment, vous qui connaissez l’Organisation de l’intérieur ?

Les Assemblées générales se suivent, mais ne se ressemblent pas en réalité. Chaque Assemblée générale

intervient dans un contexte bien particulier et essaie d’apporter des réponses réelles à des défis globaux en favorisant une meilleure compréhension des problèmes, le consensus, et en mobilisant un partenariat global qu’il s’agisse du climat, du financement du développement, de la couverture santé ou autres sujets. Il ne faut pas aussi oublier que les sessions annuelles de l’Assemblée générale offrent des opportunités de rencontres uniques pour les dirigeants du monde. En parallèle avec les réunions plénières, les coulisses de l’ONU deviennent le théâtre d’intenses activités diplomatiques qui ne sont pas forcément visibles mais qui contribuent beaucoup à faire avancer l’entente, rapprocher les points de vue et contribuer à la paix et la coopération bi et multilatérale.

 

Que répondez-vous à ceux qui estiment que l’ONU ne pourra jamais avoir une force réelle face aux puissances mondiales tant qu’elle reste dépendante de leurs financements ?

« Les Nations unies » n’est pas une notion abstraite ni un gouvernement mondial. C’est une union d’États souverains qui n’ont pas forcément les mêmes intérêts, mais qui adhèrent et partagent des valeurs universelles bien exprimées dans sa charte. C’est justement une organisation où tous les États membres ont la possibilité de se faire entendre et défendre leurs positions et intérêts dans le cadre du respect de la légalité et du droit international. L’ONU et son action ne peuvent prétendre être parfaits,

comme toute oeuvre humaine, d’ailleurs. Tout le monde s’accorde sur la nécessité d’adapter les Nations Unies, son architecture et son mode de fonctionnement de façon à refléter les réalités du 21e siècle. Il y a tout un programme de réforme de l’Organisation dont le succès dépend de la volonté et de l’accord des États membres.

 

Que pensez-vous de la participation du Maroc à la 74e session de l’AG de l’ONU ?

La diplomatie marocaine a montré de l’initiative et du leadership africain lors de cette assemblée, notamment pour promouvoir la coopération Sud-Sud et pour porter la voix de l’Afrique sur le climat et sur des objectifs stratégiques de l’Agenda 2030 tels que la couverture santé universelle et l’éradication de la faim.